Algérie : l’opposition réclame le « départ du système»


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L’opposition algérienne revient à la charge. La Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) a décidé de défier une nouvelle fois les autorités et de marcher samedi pour réclamer le « départ du système ». Les mesures annoncées récemment par le gouvernement, notamment la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1992, n’ont pas convaincu. « Le pouvoir baigne dans le mensonge et la corruption», s’indigne Fodil Boumala, co-fondateur de la CNCD.

Malgré les promesses du pouvoir de lever l’état d’urgence et de prendre des mesures pour répondre aux attentes des Algériens, l’opposition a maintenu son appel à redescendre dans la rue samedi à Alger, Oran et d’autres villes du pays. La Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), qui regroupe divers partis d’opposition, syndicats autonomes et associations de jeunes, a décidé de braver une nouvelle fois l’interdit et de marcher. Samedi dernier, ils avaient été 2000 à se rassembler sur la place du 1er mai à Alger, mais la marche avait été empêchée par un important dispositif de sécurité. Mais s’il admet que « la tâche sera rude », Fodil Boumala, journaliste et militant des droits de l’homme, l’un des fondateurs de la CNCD, est convaincu que l’Algérie est en marche pour le changement. Rencontre.

boumala.jpgAfrik.com : En dehors de la marche de samedi, quelles actions sont prévues par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD)

Fodil Boumala :
Il a été décidé lors d’une réunion de la Coordination au lendemain de la marche du 12 février d’organiser une autre marche le 19 février qui serait éventuellement suivies d’autres actions. Nous envisageons aussi d’autres modalités d’actions, conférences, meeting, édition de textes, etc. Des marches, sit-in, rassemblement et grèves sont également à l’étude.

Afrik.com : En Egypte on a réclamé le départ de Moubarak, en Tunisie le départ de Ben Ali. En Algérie, le mot d’ordre (« le départ du système ») semble quelque peu inintelligible. Pourquoi ce choix ?

Fodil Boumala :
En Algérie, le mal est trop profond pour qu’on le réduise à un homme politique. Et le pouvoir n’est que l’expression de la culture du régime, caractérisé par le mensonge, la corruption institutionnalisée, les résistances à la démocratie. Le pouvoir actuel en Algérie est aussi bien incarné par les responsables politiques que l’institution militaire. Le problème se situe dans la structure mentale même du pouvoir, son anthropologie politique.

Afrik.com : La tâche sera donc rude…

Fodil Boumala :
Nous reconnaissons que la tâche est rude, que cela prendra du temps. Le régime algérien se recoupe avec la Tunisie et l’Egypte dans la culture de la corruption, la non-gouvernance, l’ingérence du pouvoir militaire dans le pouvoir civil. Mais nous considérons que le mal est plus profond en Algérie parce que c’est un pays plus riche. Les enjeux sont donc plus importants.

Afrik.com : Nombreux sont ceux en Algérie qui n’entendent pas s’inscrire dans les mouvements de révoltes qui secouent actuellement les pays arabes, et pense que le pays à déjà payé très cher de tels soulèvements populaires, notamment lors des émeutes de 1988 et les dix ans de guerre civile qui ont suivi. Que répondez-vous à cela ?

Fodil Boumala :
Depuis plusieurs siècles l’Algérie connaît chaque décennie des bouleversements profonds, des tensions, des résistances, des révolutions. De 1999 à nos jours, nous assistons, toutefois, à un autre type de violence. Il y a une génération de la violence à la fois physique et symbolique due à la généralisation de la corruption. Ce sont les gens qui trouvent leur compte dans la corruption qui disent que les Algériens n’ont pas à se révolter. La génération qui a 20 ans aujourd’hui est une génération qui est née dans la violence et a grandi dans la corruption. Une génération de déracinés qui n’ont pas connu d’autre modèle que le dérapage, la violence, le vol, la violation de la constitution, pratiqués par l’Etat.

Afrik.com : Qu’est-ce que vous pensez des mesures annoncées récemment par le gouvernement, à savoir la levée de l’état d’urgence et l’ouverture de l’audiovisuel public à l’opposition ?

Fodil Boumala :
Le pouvoir baigne dans le mensonge institutionnalisé. Il pense qu’en levant l’état d’urgence gagner les faveurs de la société. Ce n’est que de la poudre aux yeux, destinée à l’opinion internationale. Parallèlement à la levée de l’état d’urgence, le gouvernement a annoncé qu’il préparait des lois pour la lutte contre le terrorisme, des les lois qui peuvent se révéler plus dangereuses que l’état d’urgence. Le pouvoir continue ainsi d’improviser. Il ne sait pas quoi faire. Certes, il a annoncé l’ouverture de la télévision et la radio publiques, mais la vraie ouverture ce n’est pas cela. Ce que nous demandons c’est l’ouverture du champ audiovisuel aux opérateurs privés. De plus, et alors qu’elle venait d’annoncer ces mêmes mesure d’ouverture, la télévision publique a renoué, lors de la marche du 12 février, avec les pratiques de l’ère Brejnev, la propagande, le mensonge et l’exclusion, soutenue en cela par une certaine presse écrite privée. L’interdiction des marches est en outre maintenue à Alger et bien qu’elles ne sont pas interdites dans les autres villes, elles sont tout de même réprimées. Le pouvoir est complètement déconnecté de la réalité sociologique de l’Algérie. C’est un pouvoir autiste qui n’a pas tiré les leçons de ce qui c’est passé en Tunisie et en Egypte. C’est un pouvoir complètement vieilli, agonisant, dont la moyenne d’âge est de 74 ans alors que plus de 70% des Algériens ont moins de 35 ans.

Afrik.com : Un mot sur le mouvement Res Publica II dont vous êtes le fondateur ?

Fodil Boumala :
C’est un espace de réflexion et d’action pluriel, un mouvement d’idées accompagné d’un mouvement d’action pour le changement vers une Algérie nouvelle, l’Algérie du 21e siècle, en rupture totale avec le « système » et les mentalités archaïques qui hypothèquent son avenir.

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