
Face à la crise du cheptel ovin, le Maroc et l’Algérie adoptent des stratégies diamétralement opposées pour l’Aïd El-Adha 2025. Tandis que Mohammed VI demande à ses concitoyens de renoncer exceptionnellement au sacrifice rituel, Abdelmadjid Tebboune importe massivement des moutons pour satisfaire la tradition. Deux approches qui révèlent des conceptions différentes du leadership et alimentent la rivalité régionale.
Le 26 février 2025, Mohammed VI a surpris les Marocains en leur demandant de « renoncer exceptionnellement » au sacrifice rituel, faute de cheptel suffisant après sept années de sécheresse. Une baisse de 38 % des effectifs ovins a poussé Rabat à prévoir l’importation de seulement 100 000 bêtes, principalement d’Australie, pour tenter de stabiliser les prix.
Dans son message lu à la télévision publique, le souverain alaouite invoque un « devoir moral ». L’objectif : éviter que la flambée des prix ne frappe les ménages modestes et permettre, à terme, de reconstituer le troupeau national. Le gouvernement a levé les taxes sur les importations de bétail, mais encourage la population à choisir des formes d’aumône alternatives.
À l’inverse, dix jours plus tard, Abdelmadjid Tebboune a ordonné l’importation d’un million de moutons en définissant un prix maitrisé. Le président algérien se pose ainsi en garant du maintien du rite et du pouvoir d’achat des Algériens.
Mécontentement populaire et marchés clandestins
À Salé, Rabat ou Oujda, les contrôles se multiplient pour empêcher la vente de moutons. Pourtant, les points de commerce informels fleurissent. Des éleveurs vendent « sous le manteau » et des familles affirment ne pas vouloir « rompre avec la tradition » malgré le décret royal. La suspension du rite n’avait plus été décrétée depuis 1995.
L’image d’un pouvoir jugé distant se renforce car dans le même temps le roi Mohammed VI, souverain le plus riche d’Afrique, continue d’afficher un luxe ostentatoire, notamment avec l’achat ne nouvelles voitures de luxe.
L’Algérie approvisionne le marché
Dès le Conseil des ministres du 9 mars, Alger a mobilisé ses institutions publiques. Une consultation internationale a été lancée et des bateaux affrétés. Des avions de transport militaire ont même été déployés vers le Grand Sud pour garantir l’arrivée échelonnée des bêtes. Le prix de vente des moutons importés a été fixé à 40 000 DA (environ 270 €), soit deux à trois fois moins que le tarif du marché noir en 2024.
Associations de consommateurs et imams saluent une mesure « réparatrice » qui répond à « une revendication ancienne ». Les premiers moutons roumains et espagnols déchargés à Alger, Oran et Skikda se sont écoulés en quelques heures. Cette rapidité atteste d’une forte demande et d’une grande confiance dans le dispositif public.
Certes, des éleveurs dénoncent la concurrence des importations, mais ils n’étaient pas en capacité de répondre à la forte demande du marché. En outre, le gouvernement promet des subventions fourrage pour préserver le cheptel local.
Au-delà de l’économie, une bataille d’image
Dans la presse maghrébine, le contraste est saisissant : « l’Algérie de Tebboune soutient sa population, le Maroc de Mohammed VI l’abandonne à son sort », a été un titre repris par plusieurs sites d’actualité africaine. Alger se positionne ainsi comme le défenseur des traditions et du pouvoir d’achat, quand Rabat revendique une posture de « sobriété sacrificielle » face aux contraintes climatiques.
Mais finalement, la pertinence du choix entre satisfaction populaire versus discipline morale est d’abord politique: En plafonnant les prix et en organisant la logistique, Alger répond à un besoin exprimé depuis la flambée de 2023. La décision est un geste social, même si elle s’inscrit aussi dans une stratégie d’apaisement face à l’inflation.
Rabat de son coté défend une approche de long terme, centrée sur la durabilité des ressources. Mais l’aspect vertical de la décision et l’absence de concertation nourrissent le sentiment d’un décalage entre le Palais et la rue. Sentiment renfocé par le fait que le Souverain et sa garde rapprochée ne pratique pas cette austérité.
Quels impacts régionaux ?
Cette opposition de style illustre la rivalité maroco-algérienne sur le terrain symbolique : qui, du roi « réformateur », qui ne l’est plus depuis le départ de Lalla Salma, ou du président « protecteur », incarne le mieux la réponse aux crises contemporaines ?
Sur le plan pratique, le mégaprogramme algérien risque de peser sur les marchés européens du bétail, mais pour l’instant cela fait le bonheur des éleveurs espagnoles. Par contre, la demande marocaine pourrait se reporter sur la viande importée et mettre à l’épreuve les filières locales d’engraissement.
En plaçant la problématique du mouton d’Aïd au cœur de leur communication, Mohammed VI et Abdelmadjid Tebboune révèlent deux conceptions du leadership. Pour l’heure, c’est la seconde qui recueille l’adhésion la plus visible dans la rue maghrébine.