Ahmed Attia dresse le tableau du cinéma arabe


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Drapeau de l'Egypte
Drapeau de l'Egypte

Entretien du président du jury du Festival de Carthage recueilli par notre partenaire El Watan

Le cinéma arabe, fortement représenté à cette 6e édition du festival de Carthage, a renvoyé une image d’un cinéma en faillite. Le cas le plus édifiant est celui sans conteste du cinéma algérien, totalement absent de ce festival. Et à ce titre, M. Ahmed Baha Eddine Attia, président du jury du Festival de Carthage, un habitué des lieux, nous parle de cette vacuité du 7e art. Entretien

On a l’impression que le cinéma arabe d’une manière générale décline par rapport à ce qu’il était, et qu’il est comme qui dirait en panne…

Je pense que cette « panne » est due à un manque de stratégie dans le monde arabe sur le cinéma. Les seuls pays qui ne souffrent pas de cette indigence sur le plan de la production sont l’Egypte et le Maroc. Ces deux pays qui étaient un petit peu à la traîne durant la décennie 80 ont investi énormément dans le secteur et ont bénéficié de l’apport non négligeable et assez lourd de la participation du privé dans la mise en chantier de beaucoup de salles de cinéma ainsi que dans la production du film proprement dite. De ce fait, 180 nouvelles salles de cinéma ont été construites en Egypte de 1990 à 2000 dont des complexes et des multiplexes, et on remarque aussi un rajeunissement du personnel de plateau égyptien.

Pour le Maroc, l’amélioration des conditions de travail ainsi qu’une bonne gestion des recettes des salles de cinéma, réinjectées dans le circuit de la production cinématographique, et la participation active de la télévision marocaine dans toute la chaîne de cette production, ont généré une dynamique nouvelle. L’Etat pour sa part n’a pas abandonné le secteur à l’arrivée des investisseurs privés. Il a créé un organisme qui s’appelle le Fonds du cinéma marocain qui n’a pas la vocation de produire, mais de légiférer, de suivre, de contrôler et, ce qui est encore plus important, d’aider le secteur. On peut dire de ce fait que le Maroc dispose d’une réelle industrie cinématographique, ce qui n’était pas le cas il y a une décennie.

Cette industrie a produit durant l’année 2000 dix longs métrages, ce qui est énorme et appréciable en même temps. Quant à la qualité de ce cinéma, il plaît à son public, et c’est l’essentiel. Le film qui a inauguré ce nouveau cycle du cinéma marocain est sans conteste le film  » A la recherche de ma femme « , de Abderrahmane Talbi qui a eu un énorme succès auprès du public marocain.

On parle d’une crise du scénario dans le cinéma arabe, est-ce que les choses ont atteint un point où l’on peut parler de crise ?

Oui tout à fait. Il y a aussi cette seconde crise qui est à mon avis responsable à plus d’un titre de ce cinéma de mauvaise qualité. C’est la crise du scénario. Le cinéma arabe n’a pas su faire la différence entre l’écrivain à la plume et le scénariste, on n’a pas su négocier ce virage. Et l’on constate actuellement que les éditeurs réalisateurs fleurissent, ils font presque tout à la fois, ils sont en même temps producteurs, réalisateurs, scénaristes et même acteurs. Cela était valable dans un certain cinéma et à une certaine époque. Mais de là à tout monopoliser et postuler à un cinéma de qualité, ce n’est pratiquement pas possible. Et ce monopole des tâches a déterminé à mon avis cette médiocrité ambiante.

Je cite le cas de la Tunisie, où la politique actuelle encourage tout le monde à la production, du n’importe quoi et pour n’importe qui. Et de ce fait, il existe actuellement en Tunisie 400 sociétés de production dans un même secteur d’activités, avec quasiment le même capital. Et ce qui avait pour but d’encourager la production cinématographique l’a handicapée et le secteur s’en est trouvé par la suite atomisé.

Est-ce que le manque de liberté d’expression, bien ancré dans les moeurs politiques du monde arabe, participe d’une certaine manière à cette production en déclin ?

Je ne pense pas que ce soit le cas. Parce que les régimes arabes savent pertinemment qu’un cinéma de bonne facture, un cinéma transgressant, redore leur image de marque à l’étranger. C’est plutôt aux médias lourds, à la télévision par exemple, qu’est alloué le rôle de caisse de résonance pour leurs politiques.

Existe-t-il une évolution dans le cinéma arabe à l’étranger ?

Absolument aucune ! Ce cinéma renvoie une image préfabriquée de la société arabe, c’est en quelque sorte un néo-orientalisme si je peux dire. Il est plus destiné à la consommation locale européenne qui, elle, se soucie de la présence sur son sol et parmi elle d’une communauté citoyenne d’origine arabe. Les idées véhiculées par ce cinéma sont des idées obtenues par médiation et elles ne reflètent pas la réalité, qui est tout autre. Il ne sert qu’à ses pourvoyeurs.

Un mot sur le cinéma algérien, après ce constat d’échec flagrant…

On ne comprend pas qu’une des meilleures écoles du cinéma arabe puisse disparaître de la scène si subitement sans aucune raison valable. Le contexte algérien actuel n’y est pour rien, car ce cinéma est né dans les conditions que nous connaissons tous. Et ce n’est pas non plus une question de compétence. La nouvelle génération de cinéastes algériens est là pour prouver le contraire. Ils ont fait preuve de beaucoup de talent, elle leur a valu une notoriété mondiale. Reste le pourquoi de cette crise, qui est absolument incompréhensible.

En votre qualité de producteur, quelle suite donneriez-vous à une proposition émanant d’un cinéaste de cette nouvelle génération ?

Je relèverai le défi !

Beliardouh Abdelhai

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