Ahamada Smis : « Poésie, foi, rencontres, origines »


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Ahamada Smis

Poète-musicien marseillais, né aux Comores, Ahamada Smis nous offre un album, Etre, qui est bien plus que du slam: de véritables poèmes scandés-chantés, avec de très bons textes, accompagnés par d’excellentes musiques.

L’étiquette “slam” peut rebuter les purs amoureux de musique. Et si le mot est né des besoins du marketing de l’industrie actuelle du disque, qui a besoin d’étiquettes pour classifier les genres, et de nouveaux mots pour dire qu’il y a “nouveauté” et faire vendre, la poésie orale accompagnée de musique se pratique depuis toujours en Afrique, où ces bardes sont appelés griots, et dans la culture arabe dont ont hérité les Comores, le pays d’origine d’Ahamada Smis.

Il a débarqué à Marseille à 10 ans. Il commence par être menuisier métallique, mais son amour de la musique et de la poésie prend le dessus: en 2001 sort son premier CD, Gouttes d’eau, et depuis 10 ans Ahamada est l’une des figures actives de la scène musicale marseillaise, organisant des soirées hip hop au Café Julien, le festival “Marseille cosmopolite” en 2006, des ateliers d’écriture musicale pour les jeunes des cités, ou encore des conférences sur la littérature orale comorienne, pour préserver l’héritage.

Son album Etre (Colombe Records, 2011) révèle un artiste accompli, qui s’accompagne d’excellents musiciens venus de tous horizons: notamment Pierre-Laurent Bertolino à la vielle, Miquéu Montanaro à l’accordéon et à la flûte, Lamine Diagne au saxo, Ulrich Edorth à la basse, etc. L’album est le fruit de plusieurs années de voyages et de rencontres avec des musiciens, notamment au Congo-RDC et aux Comores, à la recherche de ses racines de bantou-arabe. Presque toutes les chansons invitent ainsi un artiste ou un groupe africain: Staff Benda Billili, le rappeur comorien Cheikh Mo, la chanteuse sud-africaine Sibongile Mbambo, ou le chanteur de twarab (on reconnaît le mot arabe “tarab”) comorien Soultoine…

La première force de l’album, ce sont les textes de celui qui résume son inspiration en quatre mots: “Poésie, foi, rencontres, origines”. S’opposant aux rappeurs français qui “jouent les gangsters à l’américaine”, il veut parler “colombe, douceur et gouttes d’eau”: “Colombe combat les faucons/Comme un ange face aux démons” chante-t-il dans la chanson-titre, “Etre”. Et plus loin: “Un être, non pas un arbre/Un coeur pas une pierre/Une âme (…) libre de mon être, fruit de mes ancêtres”.

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Ahamada s’enracine donc dans ses origines – et le titre “Comores”, qui inclut des couplets en swahili est un chant de louanges à son pays natal: “Maoré, Dzouani, Gazidja, Moili, Les Iles aux sultans, Comores mon pays”… Mais Ahamada est autant Marseillais que Comorien, et, par son hip hop qu’il veut “engagé”, chante aussi, et surtout, son quotidien et son vécu dans cette ville. Ayant grandi dans le 7° arrondissement, quartier bourgeois de Marseille, ce n’est qu’en 1990, âgé de 17 ans, qu’il découvres les “cités”, en se rendant à la cité Bellevue, connue sous le nom Félix Pyat. Il raconte: “J’ai découvert dans ces grands ensembles, aux couloirs sombres, que les mères montent leurs courses au 12ème étage à pied… C’est un autre visage de la France. Ce n’est pas cette France dont beaucoup d’émigrés rêvent avant d’immigrer. Certains jeunes issus de ces ghettos sont souvent considérés comme “des enfants sauvages”. Est-ce que les jeunes des quartiers riches ne le seraient pas, s’ils vivaient dans les mêmes cages”? Dans “Kids”, il chante: “Les kids font les caïds/Speedent comme des bolides/Ne respectent aucun code/Flingue dans la boîte à gants/Ils se croient grands/Les mères crient au secours/Les pères désespèrent…”

Le public français connaissait et appréciait déjà un autre de ces nouveaux poètes-bardes d’aujourd’hui, appelés rappeurs, Abd-El-Malik, Français d’origine africaine comme Ahamada, artistes sensibles qui parlent mieux de la France d’aujourd’hui que bien des journalistes pressés ou des experts patentés. Ils sont désormais deux à faire briller l’étoile de la tradition orale africaine, actualisée en français, et mise au service des plus pauvres et des déshérités de France et d’ailleurs.

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