Afro uruguayens : le génocide indirect


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La discrimination sociale et économique a provoqué la baisse du nombre d’afro uruguayens. Il s’agit, soutient Rafael Bayce dans cet article, d’un génocide indirect peu étudié, qui non seulement n’est pas facile à comprendre, mais dont les responsabilités historiques sont difficiles à attribuer-établir, comme c’est le cas en ce qui concerne le massacre des derniers indiens charruas par Bernabé Rivera

Démographiquement, le premier noir arrivé en Amérique a débarqué lors du deuxième voyage de Colomb. La première expérience de déportation des noirs en tant que main d’œuvre peu chère dans ce continent date de 1510, la première autorisation formelle de le faire remonte à 1532.

On se demande encore si les premiers noirs à débarquer sur le Río de la Plata (Fleuve d’Argent) furent introduits par Hernandarias (qui les inclut dans son testament) ou avec l’expédition de Juan Ortiz de Zárate. Dans tous les, ce fut avant le premier quart du XVIIème siècle.

On sait par contre de façon certaine qu’un esclave du nom de Gregorio était crieur public deux ans après la fondation de Montevideo en 1728. Jusqu’à 1738, il n’y avait que des esclaves introduits à titre personnel par leurs maîtres. Mais, au cours de cette même année, le Conseil Municipal de la ville de Montevideo demande l’introduction d’une main d’œuvre guinéenne, qui arrive dans un navire de Thomas Navarro en 1743.

Ce flux africain fait que le recensement de Viana en 1751 a Montevideo indique la présence de presque 15% d’esclaves noirs sur le total de la population qui est de 939 résidents (141).

L’introduction des noirs ne fut pas très importante jusqu’à 1595, sous le régime juridique des “licencias” (licences), permis d’introduction payants qui n’obligeaient pas (leurs détenteurs) à l’introduction effective et qui pouvaient être renégociées.

La substitution progressive des licences par les “asientos” *(établissement, installation) (1595-1787), augmenta l’arrivée des contingents de noirs, car le permis obligeait que l’introduction de cette main d’œuvre soit effective.

Même s’il y’eut exista toujours une importation clandestine, en plus de celle autorisée, l’entrée massive des noirs prend une grande ampleur avec les “capitulaciones” qui négocient l’introduction en très grand nombre des esclaves, dont le trafic est désormais libre et exempt d’impôts (1787-1812).

Au milieu de ce mouvement croissant d’introduction des esclaves, auquel les espagnols participeront tardivement et faiblement, Montevideo a le monopole de l’introduction des noirs par le Río de la Plata suite aux dispositions royales de 1789, 1791, 1801 et 1809.

Les conséquences démographiques ne se font pas attendre. Le Recensement de Montevideo effectué 1805 indique 3.114 noirs sur une population de 9.359 habitants. Les noirs qui représentaient 15% des habitants de la population de Montevideo en 1751 passent désormais à 33% en 1805.

Mais 1813 marque la fin de la période de floraison démographique des noirs à Montevideo, et ils sont désormais 14.000 sur les 21.000 résidents, soit 66% de la population.

En somme, démographiquement, les noirs, de 1751 à 1813, c’est-à-dire en 62 ans, multiplient par plus de quatre leur représentation en pourcentage dans la population de Montevideo. Leur contingent est multiplié par cent en nombre absolu à Montevideo dont la population est multipliée par 25 durant cette période.

Une recherche devrait alors être entreprise pour répondre à la question suivante : comment Montevideo a-t-elle alors réussi à réduire, 150 ans plus tard, le contingent de noirs, le faisant passer de 66% de la population à un pourcentage inférieur de 10% ?

L’explication se trouve certainement à la fois dans l’immigration massive européenne, la ghettoïsation et la discrimination sociale et économique. Il s’agit en fin de compte d’un génocide indirect peu étudié, qui non seulement n’est pas facile à comprendre, mais dont les responsabilités historiques sont difficiles à établir, comme c’est le cas en ce qui concerne le massacre des derniers indiens charruas par Bernabé Rivera.

Abolition et discrimination

Mais la croissance démographique initiale était accompagnée d’une crainte elle aussi croissante du nombre de noirs – et évidemment d’une rébellion potentielle – (le fantasme de Espartaco) et d’une stigmatisation morale et sociale ethnocentrique.

Les licences nouvellement établies, sont ainsi temporairement interdites en 1550, car on craignait que les coutumes et la morale soient affectées par la religion et les danses africaines.

Un fait assez proche allait se produire à Montevideo dans les années 80 alors que l’autorisation pour la construction d’un monument à Iemanjá [[divinité africaine Yoruba, très présente dans les cultes des afro descendants d’Amérique Latine, notamment au Brésil.]] dormait dans les bureaux gouvernementaux.

La discrimination socioculturelle (au départ conçue pour isoler les contingents malades et infestés a cause des conditions inhumaines d’entassement et d’hygiène des bateaux négriers) se manifeste par la fondation, dans ce qui est aujourd’hui Capurro, du premier ghetto noir alors appelé Caserío de los Negros. (Hameau des Noirs)

La discrimination socio culturelle prenait dans ce cadre une forme symbolique et favorisa la discrimination économique qui a reproduit le cercle vicieux de la pauvreté et plus tard celui de la marginalisation.

Cependant, la paupérisation, la marginalisation et l’alimentation du cercle vicieux de la pauvreté vont de paire avec la conquête des égalités formelles et l’admission de traits culturels propres aux noirs (ce qui laisse croire à leur acceptation socioculturelle.)

En effet les danses, les rythmes et rencontres des “nations” afro uruguayennes se réduisent à des évènements extra-muros ou circonscrits aux ghettos urbains qui ont succédé au Caserío de Capurro (comme le Barrio Sur et Palermo…).

Les célébrations rituelles sont dépourvues de leur religiosité et transformées en contribution exotique à l’inversion feinte des hiérarchies sociales consacrée par le Carnaval.

C’est dans ce contexte de marginalisation, de génocide indirect et de pseudo acceptation culturelle que la Constitution de 1830, la première de l’Uruguay indépendante consacre la liberté des ventres.

En 1842, arrivera l’abolition de l’esclavage par le gouvernement Colorado (nom d’un parti politique), qui sera confirmé en 1846 par le gouvernement Blanco (autre parti politique important en Uruguay).

Les deux grands partis traditionnels uruguayens éliminent l’esclavage avec une précocité honorable, comparé au reste du monde.

Mais dans le même temps ils discriminent, ghettoïsent, alimentent le cercle vicieux de la pauvreté noire, feignent l’acceptation culturelle en la transformant en exotisme et en ne permettant aux noirs de briller que dans un cadre social secondaire (joueurs de football oui, boxeurs également; ministres, médecins et avocats, non).

Pour ces raisons, nous devons célébrer avec réserves l’abolition de l’esclavage; qui est important en tant que fait idéologique, mais qui dans les faits elle a fait de l’ombre a la discrimination, la ghettoïsation, la paupérisation et au génocide massif indirect.

Texte original de Par le sociologue et écrivain Rafael Bayce traduit de l’Espagnol par Guy Everard Mbarga

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