Afrique : sale temps pour les Constitutions


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Le dépôt du premier Président égyptien démocratiquement élu, Mohamed Morsi, par le général Khalil AbdelFatah Al-Sissi, chef des Forces armées égyptiennes, sur injonction de l’administration Obama le 3 juillet 2013, signe le énième décès de l’acte fondamental d’un État africain.

Paradoxalement, dans son discours du 11 juillet 2009 devant le Parlement ghanéen à Accra, le Président Obama avait affirmé que l’Afrique avait besoin d’institutions fortes. « En ce XXIème siècle, des institutions capables, fiables et transparentes sont la clé du succès », disait-il. Il faut dire que l’élection du « Frère » Mohamed Morsi le 24 juin 2012 à la magistrature suprême avait redonné de l’espoir à tout un continent. Pourtant, au lendemain de celle-ci, le 25 juin 2013, Patrick Mbeko, analyste des questions géopolitiques, mettait en garde quiconque de ne pas crier victoire trop tôt, considérant dans une tribune qu’il s’agissait davantage d’une « démocratie piégée que du début d’une ère démocratique. Derrière tout ça, une main : celle de l’Oncle Sam soutenu par les Amis Saoudiens ».

Soutenu par l’armée, Faure Gnassingbé prend le pouvoir

On peut le dire, il ne fait pas bon d’être une constitution africaine par les temps qui courent ; car, bien souvent, sa vie ne tient qu’à un fil. Pour preuve, durant la dernière décennie, bon nombre d’entre elles ont été malmenées à tous vents. Temps de chien, pourrait-on dire, pour les textes constitutionnels en Afrique, dans un environnement où, contrairement au cas égyptien, les dirigeants en place rivalisent d’ingéniosité. Le dicton populaire est bien connu : « Qui veut noyer son chien l’accuse de rage ».
Feu Président Gnassingbé Eyadéma du Togo fut incontestablement l’un des précurseurs sur le continent en matière de modification constitutionnelle. En effet, la modification de 2002 avait pour but fondamental de permettre au défunt président de se présenter, pour une troisième fois, à l’élection présidentielle. Puisque dans sa version initiale, il limitait les mandats présidentiels à deux fois cinq ans, ce qui l’excluait de fait de la prochaine présidentielle. A son décès, en février 2005, le non-respect de la Constitution togolaise permit à Faure Essozimna Gnassingbé de prendre le pouvoir, avec le soutien de l’armée, empêchant ainsi le président de l’Assemblée nationale, Fambaré Outtara Natchaba, d’assurer réellement l’intérim du pouvoir comme prévu. Aujourd’hui, le principal opposant Jean-pierre Fabre, président de l’ANC, l’Alliance national pour le Changement ainsi que la rue, s’opposent à tout rabibochage de la Constitution qui permettrait au Président Faure Gnassingbé de prolonger son bail au palais de Lomé II, au delà de 2015, fin de son deuxième et dernier mandat.

Blaise Compaoré cherche à rajeunir la Constitution

Plus loin, à Ndjaména, le Président tchadien Idriss Deby Itno, avait mis fin à la limitation du mandat présidentiel par la modification parlementaire de l’acte fondamental tchadien, le 26 mai 2004. N’étant pas en reste, c’est par 59 voix sur 63 que le Parlement djiboutien approuvait la révision de la Constitution en avril 2010, afin, selon le gouvernement de Djibouti, de : « Permettre au Président Ismail Omar Guelleh de mener à terme les réformes ainsi que les projets de développement entrepris, à la demande massive de la population de Djibouti ». Cette révision permit ainsi au Président Ismail Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999 de demeurer jusqu’à ce jour au palais présidentiel. Même son de cloche au Burkina Faso ou le Président Blaise Campaoré, au pouvoir depuis l’assassinat de Thomas Sankara en 1987, cherche des raisons de rajeunir la Constitution de son pays, en particulier son article 37, afin de poursuivre sa présidence. En Côte d’Ivoire, les années à venir livreront la vérité sur les intentions réelles du Président Alassane Ouattara d’ores et déjà candidat à son deuxième et dernier mandat en 2015.
Au Mali, depuis que le capitaine Sanogo, bien aidé par l’extérieur, a interrompu manu militari la présidence du Président Amadou Toumani Touré. La constitution a été mise à la poubelle. Actuellement à Cotonou au Bénin, tel un apprenti sorcier, comme le qualifie l’opposition insinuant ainsi qu’il veut imiter ses collègues à tort, le Président Yayi Boni vient également de trouver à redire à sa Constitution, alors que la population dans sa majorité ne l’entend pas de cette oreille, d’autant plus qu’il effectue actuellement son deuxième et dernier mandat.

Joseph Kabila souhaite aller au-delà de son second mandat

Au Congo Brazzaville, l’année 2016 sonnera la fin du dernier mandat constitutionnel du Président Denis Sassou Nguesso, environ 30 ans passés au pouvoir. L’opposition prêterait néanmoins à ce dernier l’intention de retoquer la Constitution du 20 janvier 2002 afin de prolonger sa présence au somptueux palais de la Glacière. Ce sont les propos, allusions et vociférations de ses sous-fifres, prétendant qu’un lifting de la Constitution serait nécessaire qui, pour les leaders de l’opposition dite « véritable », tels Bienvenu Mabilémono, René Mavoungou Pambou, Jean-claude Mayimba Mbemba ou les avocats Tony Moudilou et Brice Nzamba, attestent que le Président congolais ambitionne de ne pas faire valoir ses droits à la retraite en 2016. Parmi ceux qui auraient la charge de déminer le terrain de la supposée révision constitutionnelle, mis à part Pierre Ngolo, responsable du parti présidentiel qui affirme : « Il ne doit y avoir de sujet tabou dans la conduite des affaires d’un État », on retrouve, entre autres, le chanteur Youlou Mabiala, avec son opus favorable au Président intitulé « Chemin d’Avenir ». Cependant, venant dans le sens contraire, cette propagande musicale est stoppée par le vocaliste congolais, Youss Banda, avec son morceau « Dictature », ainsi que l’artiste Armand Mandziono, auteur de la chanson destinée au Président sortant : « Touche pas à ma Constitution ».
Non loin de là, à Kinshasa en République Démocratique du Congo, même vœu pour l’opposition qui se dresse contre la nouvelle modification constitutionnelle déjà sur pied et qui pourrait permettre au Président Joseph Kabila, également, d’aller au-delà de son deuxième et dernier mandat à la tête de l’État en 2016. Dans cette vision, si le chef de l’État peut encore compter sur la mouvance présidentielle conduite par son parti le Pprd et un parlement corruptible depuis la modification de 2011 pour retoucher de nouveau la norme supérieure de son pays, l’opposition réelle représentée par l’Udps d’Etienne Tshisékédi, l’Apareco d’Honoré Ngbanda ainsi que Les Combattants d’Odon Mbo, large représentation de la diaspora qui s’oppose à la Balkanisation de la RDC, ne l’entendent pas de cette oreille et tous promettent de faire rendre gorge politiquement au Président Kabila qui semblerait déterminé à jouer à quitte ou triple.

Viol du « ni-ni » pourtant salué par la Communauté internationale

Au Maroc, la Constitution amendée en janvier 2012 stipule que :
« Le souverain est le symbole de l’unité de la nation, le garant de la pérennité et de la continuité de l’État et l’arbitre suprême institutionnel ». En Tunisie, le débat de l’Assemblée nationale constituante, chargée de doter le pays d’un texte, a mal tourné dès le 1er juillet dernier. Hors, cette situation rend difficilement tenable le calendrier électoral du Premier ministre Ali Laarayed dont la clôture était initialement prévue à la fin de cette année.
A Madagascar, en janvier 2013, lors d’un discours à la nation, le président de la Haute Autorité de Transition, Andry Rajoelina, avait promis de ne pas se présenter à la prochaine Présidentielle, décision saluée par la Communauté internationale, qui avait opté pour le ni-ni, c’est-à-dire ni Rajoelina, ni l’ancien chef de l’État, Marc Ravalomana. Les deux avaient fini par accepter ce diktat, d’autant plus que l’autre ancien chef de l’État, Didier Ratsiraka, se tenait à l’écart du processus électoral. Mais patatras, au mois de mai dernier, non seulement Rajoelina et Ratsiraka vont figurer sur la ligne de départ des élections présidentielles du 24 juillet 2013 et chose incroyable, Andry Rajoelina figure sur la liste des candidats définitifs alors qu’il ne figurait guère au préalable sur celle des candidats ayant déposé leurs dossiers de candidature auprès de la Ces, la Cour électorale Spéciale. Et celle-ci de confirmer que l’impétrant Andry Rajoelina a bien déposé son dossier, mais après le délai légal au motif de « la liberté de tout citoyen de se porter candidats à toutes élections ». C’est à ne plus rien comprendre. Pour sa défense, ce dernier considéré comme l’intrus de cette élection par certains, donne sa version : « A ma grande surprise, j’ai appris que l’ancien Président s’est présenté à l’élection présidentielle à travers son épouse Lalao Ravalomana. Il y avait aussi l’ancien Président, Didier Ratsiraka, qui a déposé sa candidature. Je me suis donc dit : C’est une élection libre qui devait être transparente, pourquoi ne me présenterais-je pas aussi, maintenant que la Ces a validé la candidature de tout le monde ». Évidemment ! Malheureusement, pour le peuple malgache, ce poker menteur ne s’arrête pas en interne. En effet, la Communauté internationale a condamné la recevabilité des candidatures Ratsiraka, Rajoelina et Lalao Ravalomana, par le biais de la SADC ou encore de l’Union européenne. La France, quant à elle, allant plus loin, a menacé de ne pas reconnaître les résultats de cette Présidentielle et exprimé ses regrets après la validation des candidatures incriminées, alors même qu’elle a toujours été suspectée d’avoir aidé Andry Rajoelina en 2009, à s’installer au palais présidentiel d’Iavoloha, dit-on. Cependant, n’ayant pas annoncé de sanctions dans le cas contraire, la Communauté internationale a accepté de fait les candidatures illégales et irrégulières.

Mugabé, 90 ans, 33 ans de pouvoir, veut prolonger

De son coté, au Zimbabwe, le Président Robert Gabriel Mugabe, après moult tergiversations et modifications constitutionnelles du 16 mars 2013, espère saisir l’occasion de la prochaine Présidentielle pour se débarrasser définitivement de son Premier ministre de cohabitation, Morgan Tsvangirai. Dans la nouvelle mouture constitutionnelle permettant au vieux capitaine de concourir de nouveau, le mandat présidentiel est limité à deux fois cinq ans, le poste de Premier ministre, qui faisait office de contre-pouvoir depuis 2009, est supprimé ; les Vice-présidents sont désormais élus. Mais pour certains, l’exécutif conserve des pouvoirs excessifs, les institutions manquent d’indépendance véritable et la censure médiatique n’est pas abolie. L’une des prouesses de Robert Mugabé, selon de nombreux observateurs, a été de réussir à se maintenir dans le jeu à presque 90 ans et 33 ans de pouvoir avec l’aval de son parti le Zanu Pf ainsi que celui du Mdc de son rival et Premier ministre Morgan Tsvangirai.
En Afrique, le texte constitutionnel poursuit une trajectoire étrange, distincte de celle d’anciennes puissances coloniales, alors même qu’elle en est, dans bien des cas, une photocopie à l’origine. Sur les 54 pays du continent, nombreux sont les pays qui ont vu leur Constitution ballottée ces dernières années ; parmi lesquels, l’essentiel des pays francophones, à l’instar de l’Algérie, du Gabon, du Cameroun, du Burundi ou de la Mauritanie. Pour d’autres comme le Rwanda, l’affaire est dans les « tuyaux ». Seuls Mamadou Tandja au Niger et François Bozizé en Centrafrique n’ont pas atteint l’Éden constitutionnel rêvé. Et, on y trouve même un État comme la Libye dépourvu de Constitution.
Reste que Dieu seul sait quand prendra fin l’insécurité de la Constitution en terre africaine. Et si la Raison suprême nous apprend que : « Un arbre a de l’espérance », à ce jour, l’urgence pour les peuples africains serait d’avoir des économies novatrices, de manière à disposer des richesses de leurs pays et choisir librement des politiques qui les mettent à l’abri du chômage, de la pauvreté, de l’errance et de la guerre. Ceci, en lieu et place des réformes constitutionnelles de mauvais goût, qui ne cessent de couvrir l’Afrique de ridicule et d’oripeaux démocratiques.

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