Afrique du Sud : polémique sur le don du sang par les homosexuels


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Une association sud-africaine d’homosexuels annonce que plusieurs gays ont donné leur sang, vendredi, au Service national de transfusion sanguine. Pour cela, ils auraient sciemment menti en remplissant le formulaire, qui rejette tous les donneurs ayant eu des relations avec d’autres hommes pendant les cinq dernières années. La polémique sur cette politique, décriée et jugée discriminatoire par plusieurs associations de défense des gays et lesbiennes, est ravivée. Il semble toutefois que cette la déclaration de l’Alliance gay et lesbienne soit un canular.

L’Alliance gay et lesbienne (GLA) d’Afrique du Sud fait la Une de plusieurs médias, locaux et internationaux. Ce qui lui vaut une telle exposition, c’est le sabotage présumé de la collecte de sang du Service national de transfusion sanguine (SANBS). Plusieurs supports rapportent en effet que cette association aurait demandé à 120 gays de donner leur sang à cet organisme après avoir menti en remplissant le formulaire préalable à tout prélèvement. Parmi ces donneurs, 65% auraient eu un comportement à haut risque et un avait développé la maladie. Des informations que le SANBS, interrogé par Afrik, a démenties. « L’association nous a fourni la liste de huit de ses membres qui ont, selon elle, menti sur le formulaire et donné leur sang vendredi, mais pour le moment nous n’avons pas vu de formulaires avec les noms indiqués. Nous pensons que c’est un canular. En tout cas, il n’y aura pas des conséquences sanitaires puisque s’ils ont vraiment donné leur sang, ce sera la première fois et leur don sera détruit, comme c’est la règle pour chaque nouveau donneur », explique Gail Nothard, porte-parole du SANBS. Le SANBS qui regrette, dans une déclaration transmise à plusieurs médias, que « l’attention sur le patient a peut-être été perdu dans cette controverse et les croyances individuelles ont peut-être pris le pas sur le fait que le sang est transfusé afin de sauver des vies ».

« Mesure discriminatoire, homophobe, insultante »

Nous n’avons pas pu vérifier auprès de GLA, critiquée par plusieurs de ses consoeurs, si elle a bien organisé une telle action. Et pour cause. Cette association n’existerait pas. « Pour autant que je sache, il s’agit d’une personne qui utilise différents noms et qui envoie tous les trois ou quatre mois un communiqué de presse qui cause du tort à la communauté LGBT (lesbienne,gay, bi et trans, ndlr). D’habitude, personne n’y prête attention, mais comme c’est tombé le week-end, cela a pris une autre ampleur », commente James Mathias, dont l’avis est partagé par d’autres membres de la communauté LGBT. « La GLA est connue dans la communauté gay en tant que pseudo-organisation illégitime et obscure, qui est apparemment composée d’un seul homme avide de publicité (et qui ne semble jamais apparaître en public) et de son fax », lance dans une lettre ouverte l’éditeur de Mamba online, le plus important site homosexuel d’Afrique du Sud, dénonçant au passage l’emballement de certains médias pour cette affaire. Un emballement qui pourrait entraîner « de l’homophobie et potentiellement mener à des représailles violentes contre les homosexuels », craint Luiz DeBarros.

Canular ou pas, la polémique sur le don du sang par les homosexuels est relancée de plus belle. Car l’objectif de l’association était de dénoncer une déclaration que le président du SANBS a faite jeudi. « Un homme qui a eu des relations sexuelles avec un autre homme au cours des cinq dernières années, que ce soit oral ou anal, avec ou sans préservatif (…) n’a pas le droit de donner son sang et est prié de ne pas le faire », a expliqué le Docteur Robert Crookes, selon les propos rapportés par l’agence Sapa. Une déclaration qui n’a rien de nouveau et qui inspire même l’une des questions du formulaire, à laquelle les 120 gays auraient menti : « Avez-vous eu des relations homosexuelles (entre hommes, ndlr) durant les cinq dernières années ? ».

De nombreux défenseurs des droits des gays et lesbiennes et des experts médicaux dénoncent depuis longtemps cette politique, qui part du principe que les gays sont plus touchés que les autres par le VIH/sida – une maladie qui concerne 5 millions de Sud-Africains. Ils jugent la mesure discriminatoire, homophobe, insultante, marginalisante ou encore stigmatisante, puisque le sang des homosexuels est systématiquement refusé. D’aucuns estiment que l’orientation sexuelle est bien le cœur du problème, car les femmes de 15 à 24 ans peuvent donner leur sang alors que, selon une étude nationale de 2005, elles sont huit fois plus touchées par le sida que les hommes. « Les associations nous accusent de faire de la discrimination, mais nous appliquons les normes internationales. Donner son sang n’est pas un droit. Il faut remplir des critères, comme le poids, l’âge, la santé… pour respecter le droit du patient à recevoir un sang de la meilleure qualité possible. Nous sommes plus intéressés par la promiscuité du comportement que par l’orientation sexuelle. Les règles sont les mêmes pour les hétérosexuels et les homosexuels. Si un homosexuel n’a pas eu de relation anale depuis cinq ans, nous prendrons son sang », souligne Gail Nothard.

Le SANBS envisage des changements

Difficile à réaliser… Il faut bien reconnaître que les gays et les hétérosexuels ne sont, de fait, pas sur le même pied d’égalité. Il est par définition plus facile pour un hétérosexuel de ne pas avoir de relation sexuelle avec un autre homme que pour un homosexuel… Au final, il y a donc deux poids, deux mesures. Ce que concède le SANBS. « Nous allons peut-être reformuler la question du formulaire qui pose problème en demandant peut-être si les donneurs potentiels ont eu des relations anales. Ce qui couvre aussi bien les homosexuels que les hétérosexuels. Cela dépendra des travaux que nous mènerons avec les organisations de lutte contre le sida et d’une étude locale dont les résultats viennent d’être publiés. Une fois les informations de cette étude collectées, nous pourront consulter les associations gays et lesbiennes crédibles pour trouver une solution qui nous satisfasse mutuellement. Il ne s’agira pas de faire un compromis avec les associations homosexuelles, nous nous baserons sur des faits scientifiques. Nous envisageons aussi de réduire la durée actuelle de cinq ans sans relations homosexuelles. S’ils y a des changements, ils pourraient survenir d’ici un an », Gail Nothard.

La Commission sud-africaine des droits de l’Homme soutient pour sa part que tout le monde doit être logé à la même enseigne quand il veut donner son sang. « Toutes les conduites sexuelles à risque sont inacceptables, quelle que soit la catégorie de gens : hétérosexuels ou homosexuels. Il faut trouver un juste équilibre pour ne pas être injustement discriminatoire. Nous discutons depuis deux ou trois ans avec les différents acteurs, mais je pense que l’affaire devra être tranchée devant un tribunal », indique Léon Wessels, commissaire concernant les affaires judiciaires de la Commission. Le SANBS pourrait à ce sujet porter plainte s’il s’avère que des individus ont « sciemment » menti en remplissant le formulaire. Alors que le Groupe de défense des droits des gays et des lesbiennes menace pour sa part de procès le président du SANBS Robert Crookes pour ses propos qu’il estime hautement discriminatoires.

Le gouvernement oeuvrera peut-être pour accélérer la réforme de la politique du SANBS envers les gays. En 2004, il a demandé à cette instance de changer son mode de dépistage, qui avait défrayé la chronique lorsqu’il a été révélé qu’elle détruisait les dons de sang des Noirs, jugés moins sûrs. Le sang du Président Thabo Mbeki, donné à l’occasion d’une campagne de sensibilisation sur le don du sang, avait d’ailleurs subi ce même sort. Mais comment réagira la population si le sang des homosexuels est accepté ? Mamba online rapporte qu’un sondage mené par le site de la radio populaire 5FM annonce que 65% des personnes qui ont participé à l’enquête étaient contre l’idée que les gays donnent leur sang, contre 35% pour.

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