Afrique du Sud : il y a un an, la mort du « prophète » Mandela


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Plaque du Jardin Nelson Mandela
Plaque du Jardin Nelson Mandela

C’était jeudi 5 décembre 2013, je reçois un message sur mon portable de Sami “Mandela est mort”. Je consulte internet et la nouvelle est confirmée, l’homme le plus emblématique du 21ème siècle, l’icône planétaire de la lutte pour la liberté et la dignité de l’homme noir, est parti rejoindre le royaume des cieux.

Je venais à peine d’arriver de Johannesburg, quelques jours plutôt, pour me rendre à New York et Toronto. Changement de programme de dernière minute, je devais déprogrammer mon voyage. J’appelle à l’école de ma fille pour lui dire que je dois décaler mon arrivée, car Tata Madiba est parti. Le boss approuve avec un « ok, papa c’est bon je peux attendre, tu me ramènes une surprise ok ? ». Je saute dans l’avion et retour à Johannesburg.

soweto_10dec13.jpg Arrivé à l’aéroport Oliver Thambo, une fois les formalités de l’immigration terminées, au vu de mes bagages, un agent des douanes me demande de le suivre. Sans broncher j’exécute. Arrivé dans la salle d’inspection des douanes, le superviseur me demande ce que je viens faire ici avec autant de bagages. Je lui explique que j’arrive de France et que je dois continuer directement sur l’Amérique, dès la semaine prochaine. Il demande à ce que mes sacs soient inspectés. Il enchaîne avec des questions « combien de temps vas-tu rester », et je lui explique juste 8 jours, le temps de me rendre à Soweto puis Qunu. Subitement un vide… « Soweto et Qunu, pourquoi faire ? ». Je lui explique que je suis revenu pour assister aux funérailles de Nelson Mandela. « Es-tu invité ? », je lui réponds par l’affirmative. « As-tu quelque chose pour le prouver ? », et je lui fais voir l’imprimé puis l’email sur mon smartphone. Il semble gêné, il rétorque, « pourquoi ne pas avoir commencé par ça dès le départ ? ». Je lui explique que ça n’a absolument rien à voir et que l’autorité est faite pour se faire respecter tout simplement. D’un ton sec, il demande d’arrêter de fouiller mes affaires et dit aux agents : « il est invité aux funérailles de Umtata Madiba ». Il me regarde droit dans les yeux, me sert la main avec un « bienvenue chez nous ».

Je me fais raccompagner par deux inspecteurs des douanes qui vont jusqu’à porter mes valises jusqu’à la sortie, en me souhaitant encore un bienvenue. Sortant de l’aéroport, je m’aperçois de la dimension du personnage Mandela. C’était géant. Je me rends pour prendre mon badge au centre d’accréditation; jamais je n’ai vu autant de politesse de la part de l’ordre public, juste parce que portais le badge. J’observais la ville, les gens, je pouvais ressentir la tristesse, mais aussi la célébration d’une vie bien menée, et surtout la leçon que Tata Madiba nous a apprise : vivre pour nos convictions et devenir un agent du changement dans la société.

C’était un sentiment étrange de savoir que Madiba, que j’avais rencontré pour la première fois, trois mois auparavant, n’était plus des nôtres. Le lendemain, je m’arrête au siège de l’ANC pour récupérer mon bracelet et ma place de parking. Arrivé au stade, j’emprunte la voie d’autoroute dédiée puis viens me garer dans les emplacements réservés. J’avais l’air bien malin au milieu de toutes ces berlines avec ma voiture de location type Tata, la voiture de location la plus lowcost du pays. Là, je me dirige pour le début de l’allocution du Président Barack Obama. Je laisse d’abord passer les Présidents Robert Mugabe, Denis Sassou-Nguesso, Désire Kabila, Idriss Deby Itno, Vilma du Brésil, Cameron puis j’y vais. Je monte et arrive dans la loge, je tombe nez-à-nez avec Naomi Campbell. Je reste paralysé par sa beauté, elle s’en aperçoit, fait un sourire, remet ses lunettes de soleil et va rejoindre sa place. Je croise le congressman John Lewis d’Atlanta, lui que je n’avais plus revu depuis janvier 2013, au moment de la deuxième intronisation du Président Obama à Washington, on se donne un « hug », échangeons nos observations et évoquons aussi Martin Luther King.

J’observe autour de moi, j’ai l’impression que le monde entier est présent, et je me demande qu’est- ce-que je fais là. Je repensais à mes amis de la ZUP de Bron, je repensais à ce 11 février 1990, où nous étions tous figés devant la télévision avec le mot d’ordre du père « personne ne sort aujourd’hui, Mandela va être libéré cet après-midi, n’oubliez surtout pas d’enregistrer ».

En France, à une période où nous entendons que « l’homme noir n’est pas assez rentré dans l’histoire », où nous voyons sur les chaînes publiques une ministre noire être comparée à un singe et dire que c’est de l’humour, un entraîneur s’exprimer sans tact en disant que l’avantage d’un joueur africain c’est qu’il est lowcost, et qu’il est très rentable avec une force bestiale et que l’intelligence du jeu est plus nordique – pour ne pas employer le mot « blanc » – à une période où en France, au nom de l’art et de la liberté d’expression, des artistes mettent en scène des zoos humains avec des noirs comme acteurs, et cela pour dénoncer les horreurs de la suprématie blanche; ou encore des films tels que « Case départ » pour enseigner les atrocités de l’esclavage; qu’est-ce que l’existence de Mandela nous enseigne ?

Ce mardi 10 décembre 2013, en présence de nombreux chefs d’Etat dont deux français à Soweto, enfin un homme noir est parfaitement rentré dans l’histoire, au moins « c’est un noir pas comme les autres ». Peut-on alors considérer que Mandela est rentré dans l’histoire ? Espérons qu’un jour on aura la réponse la plus explicite, à la Sagnol, vu que ce discours a eu lieu en terre africaine et a été même applaudi par tous ceux qui étaient présents. Majoritairement africains, si je puis me permettre.

Tout comme David contre Goliath, un petit villageois de Qunu (Eastern Cape), de surcroît noir, s’est permis d’attaquer tout le système de Hendrik Verwoerd – le système de la suprématie blanche sud-africaine, ou apartheid. La petite graine de moutarde qu’on appelle respectueusement Madiba a accepté d’aller en prison pour ses convictions, pour faire place à un monde idéal. C’est sur ces mots qu’il fut condamné à la prison à perpétuité. A cette époque, l’intelligence nordique nous apprend que lorsque tu te bats contre les inégalités tu mérites la prison. Le petit villageois de Qunu termine sa plaidoirie sur ces mots : « La souffrance des Africains, ce n’est pas seulement qu’ils sont pauvres et que les Blancs sont riches, mais bien que les lois qui sont faites par les Blancs tendent à perpétuer cette situation.»

(…) Au cours de ma vie, je me suis consacré à cette lutte des peuples africains. J’ai combattu la domination blanche et j’ai combattu la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle tout le monde vivrait ensemble en harmonie et avec des chances égales. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et que j’espère accomplir. Mais si nécessaire, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir ».

Tata Madiba était au dessus de la politique

A l’instar de Joseph qui fut emprisonné, mais qui sut rester ferme sur ses convictions, nous avons pu constater, plus de 2000 ans après, à travers un jeune villageois noir de Qunu, que lorsque nous sommes loyaux à nos convictions, les forces divines nous élèvent à la hauteur d’un prince, voire d’un roi. Le petit villageois de Qunu nous a permis d’être témoin que l’histoire ne retient que ceux qui refusent de violer leur conscience morale.

La politique, c’est souvent être préoccupé par sa place aux prochaines élections, le leadership, le vrai, c’est être préoccupé par les prochaines générations. Mandela, Tata Madiba, ce petit villageois de Qunu était au dessus de la politique. Il était plus profond que la politique, il était l’épiphanie du leadership, certainement le dernier vrai leader que ce siècle connaitra. En refusant une liberté conditionnelle, notre grand-père à tous : noir, blanc, jaune, rouge, nous a démontré que celui qui cherche trop à avoir la validation d’autrui ou d’un système ne sera jamais respecté. En tant que vrai leader, ces enseignements sont qu’un véritable leader ne cherche pas la validation ou l’acceptation coûte que coûte des gens, mais le respect !

Quelques jours avant de me rendre à Qunu, je pars voir Tata Madiba pour la seconde fois, mais dans son cercueil, à Union Building, à Pretoria. Là même où il fut officiellement intronisé comme le premier Président démocratiquement élu d’Afrique du Sud. Mandla Mandela, le chef de clan Xhosa, assis à coté du cercueil de son grand-père, est là pour nous accueillir. Nous nous serrons la main et je lui confirme que nous nous reverrons à Qunu.

Ayant raté mon vol du jeudi, tous les vols étaient pleins donc la seule solution était de louer une voiture et de conduire 18 heures, de Johannesburg jusqu’à Qunu. En plein milieu de la nuit, à environ 4 heures de route de Qunu, je suis obligé de m’arrêter pour cause de fatigue. Ne connaissant pas vraiment l’endroit, je m’arrête à un poste de police, car j’avais besoin de dormir. Avec mon badge autour du coup, j’aperçois encore l’effet Mandela sur les policiers. « Vous avez un badge pour assister à l’enterrement, comment pouvons-nous vous aider ? ». Etonné de leur réaction, je réponds par l’affirmative et que j’ai besoin d’un coin pour dormir. Et que s’ils ont une cellule vide, eh bien, j’aimerais bien m’allonger quelques heures. Ils se mettent à rire et me disent : « vous n’avez rien commis qui puisse nous permettre de vous mettre en prison ».

En blaguant, je leur réponds « trouvez quelque chose et vous me relâcher dans 4 heures, je connais quelqu’un qui a passé 27 ans en prison, 4 heures ne vont pas m’atteindre ». Nous continuons à rire, puis ils m’installent dans une pièce bien plus confortable que leur cellule. Je me permets de sortir mes courses, nous partageons quelques fruits et boissons, et avec une gentillesse extrême ils me disent : « reposez-vous autant que vous en avez besoin, et dès que vous êtes prêt, vous pouvez prendre la route ». On se quitte en se donnant des embrassades. Je fus extrêmement touché, ému. Je me rendais une fois de plus compte de la dimension prophétique de Madiba. Le simple fait de pouvoir assister à ses funérailles et certaines personnes se prosternaient devant moi, je les arrêtais en leur disant : « je ne suis qu’un simple invité et rien d’autre », certains me dirent sur place : « vous êtes la seule personne que nous connaissons qui y est invitée, passez nos condoléances à la famille ». Ayant vu tout ça, j’ai tout simplement préféré ranger mon badge jusqu’à arriver à destination.

Ce 15 décembre à Qunu, je quitte à 6 heures du matin pour aller faire un jogging étant conscient que le monde entier serait là. Je rencontre d’abord Euan Palcy, puis quelques heures après, c’est le défilé. En effet le monde entier s’est donné rendez-vous à Qunu. Je vois défiler Patrice & Precious Motseppe, Oprah Winfrey & Stedman Graham, Richard Branson, Naomi Campbell, le Prince Charles, et j’en passe. Dans le village, des gens chantent dansent, on célèbre la vie du messie.

A midi heure locale, ce jour là, lorsque Madiba fut enterré dans sa dernière demeure, le départ du prophète est aussi la fin d’une époque, la fin d’un réel leadership, un leadership dont le but est d’inspirer et non de manipuler, un leadership qui est d’éduquer et de libérer les peuples et non pas la poursuite d’un pouvoir absolu.

Observant cette canonisation digne d’un pharaon d’Egypte, je constate également « qu’il arrive un temps où nous devons désobéir à la loi », que ce soit les lois de la colonisation ou mission civilisatrice, de la ségrégation, de l’holocauste, de l’apartheid, toutes ces lois conçues et construites par « l’intelligence » nordique auxquelles c’était un devoir de désobéir.

Je quittais Qunu, ce dimanche 15 décembre 2013 au soir, en me demandant si de mon vivant je pourrais être témoin d’un évènement d’une telle ampleur. J’attends avec impatience ce moment où je pourrai amener ma femme, ma fille et mes futurs enfants sur cette terre magnifique de Qunu où repose le prophète Rolihlahla.

Ce 5 décembre 2014, on se souviendra qu’il y a un an, un jeune villageois de Qunu, en véritable chef de clan, a réussi, à force de conviction et de conscience morale, à mettre à genoux le système légalisé de la suprématie blanche ; ce villageois non seulement n’a pas permis à l’intelligence nordique de faire la preuve de sa supériorité, mais a aussi mis l’accent sur le fait que la suprématie blanche, tout comme la négritude, n’était pas une question de race, mais une question de culture.

A nous Africains et Africains de la diaspora de suivre l’exemple du prophète Rolihlahla, de prendre conscience que pour changer notre condition en Occident par exemple, nous diasporiens devons être impliqués dans notre environnement économique et politique. Qu’être noir ne fait pas forcément de nous un partisan naturel du Parti Socialiste Français ou encore qu’être un diasporien noir ne fait pas de toi un « bounty » si tu rejoins la droite. Etre un membre actif de notre environnement avec plus de conviction que de clientélisme. A l’heure où le Front National gagne du terrain dans la patrie de Schoelcher, si nous ne faisons pas attention, le premier « Obama » de France pourrait être tête de liste FN, et là, nous devrons sérieusement nous inquiéter des conséquences et de notre responsabilité.

En ce moment, nous avons parfois le sentiment que la France sombre dans l’obscurantisme, de Sarkozy à Sagnol, en passant par l’ex-candidate FN, le racisme inconscient anti-noir se banalise et la phrase « tu n’es pas un Noir comme les autres » devient de plus en plus monnaie courante… Je me permets de paraphraser certains philosophes des lumières des temps modernes tel que Youssouf qui nous éclaire mar ses textes : « Peu importe le mal, je refuse la pitié, nous n’avons jamais été là dans l’union et l’amitié. Du coup, les complexes continuent encore de s’empiler. (…) L’avenir se dessine alors j’ai gardé la foi, le silence devient un crime, alors j’ai gardé la voix. (…) Le premier ennemi de l’homme noir reste l’homme noir, cependant nous arriverons malgré les enclaves et les différences ».

Prophète Rolihlahla, merci d’avoir sacrifié ta vie pour la dignité de l’homme noir et de l’homme dans sa globalité. Nelson R. Mandela est venu pour nous montrer l’exemple qu’il est devenu, la liberté pour laquelle il a combattu. Il nous a démontré que la liberté ne se donne pas mais qu’elle s’arrache, il nous a démontré surtout que le combat pour la liberté est une disposition de l’esprit animée par une obligation générationnelle.

Et ce dimanche 15 décembre 2013 à midi, le corps du prophète Rolihlahla n’était pas seulement attendu par les ancêtres, mais Dieu lui-même pour lui dire d’être le bienvenu dans son royaume et surtout « bienvenu à toi Rolihlahla, toi qui a été persécuté pour la justice, car le royaume des cieux est à toi ».

Enkosi Utata Madiba, ton esprit restera éternel. Que ton âme repose en paix.

Par Bah-Pna Dahane

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