Afrique du Sud : cette Afrique qui n’est pas l’Afrique


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L’Afrique du Sud est la première économie de l’ensemble du continent africain. Considérée comme un pays émergent du fait de ses performances économiques, elle n’échappe pas pour autant à ce qui caractérise souvent ses voisins dit « en voie de développement ». La grande majorité de sa population, les Noirs, est victime du chômage et de la précarité. Des inégalités héritées de l’Apartheid que quinze ans d’indépendance n’arrivent toujours pas à balayer.

La Nation arc-en-ciel, dernier pays africain à avoir acquis son indépendance en 1994, est paradoxalement l’économie la plus prospère du continent. Avec un PIB de 283 milliards en 2007, selon la Banque mondiale, elle représente un tiers des richesses de l’Afrique sub-saharienne. Si sur le plan économique, l’Afrique du Sud distance tous les pays de cette région et celle du Nord du continent, elle leur est à bien des niveaux comparable sur le plan social. Notamment aux premiers à cause des séquelles laissées par l’Apartheid et les ravages du sida [[Selon les dernières statistiques de l’Onusida publiées en juillet 2008, 5,7 millions de personnes vivent avec le virus du sida en Afrique du Sud et le taux de prévalence pour les 15-49 ans est de 18,1%.]]. L’Afrique du Sud est une puissante émergente que le monde suit de près. C’est en tant que telle que ses performances économiques sont analysées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « Concernant le PIB par tête (plus de 8 800 dollars en parité de pouvoir d’achat), c’est un pays qui se retrouve dans la même catégorie que la Turquie, le Mexique ou le Brésil, bien au-dessus du niveau de l’Inde ou de la Chine, explique Geoff Barnard, économiste principal pour l’Afrique du Sud et la Russie au sein du département des Affaires économique de l’OCDE.

L’Afrique du Sud, seule puissance africaine à siéger au G20, a effectivement tout d’une grande. D’abord pour la bonne gouvernance dans la gestion des affaires de l’Etat. Une gestion budgétaire rigoureuse lui a permis de connaître une croissance régulière et soutenue depuis 1994. « C’est assez marquant, note Geoff Barnard, compte tenu de la forte pression politique que subissent les autorités sud-africaines à cause de l’ampleur des problèmes socio-économiques, notamment le chômage et la pauvreté ». Entre 1994 et le quatrième semestre 2007, la croissance moyenne annuelle de l’Afrique du Sud était supérieure à 4%. Avant 1994, elle était de 1%. Le déficit budgétaire qui était de plus de 7% entre 1993 et 1994, s’est réduit pour devenir excédentaire en 2006/2007 (+0,5%). La crise financière actuelle vient mettre à mal, comme partout ailleurs, les bonnes performances de l’économie sud-africaine. Le ministre des Finances Trevor Manuel annonçait en février un recul de la croissance : elle devrait passer de 3,1% en 2008 à 1,2% à 2009. Les prévisions du secteur privé sont plus pessimistes. En mars, la banque d’investissement Goldman Sachs prévoyait que l’Afrique du Sud serait touchée par la récession en 2009 (-1,6% pour 2009).

L’Afrique du Sud a ensuite pour elle la productivité de sa main d’œuvre qui profite de l’industrialisation héritée de l’Apartheid. Un atout qui la différencie aussi de ses voisines. Sa productivité moyenne surpasse largement celle de la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne. « Le niveau élevé du PIB par tête de l’Afrique du Sud en parité de pouvoir d’achats est attribuable surtout à la quantité de capital disponible pour un employé, qui est beaucoup plus importante en Afrique du Sud qu’ailleurs sur le continent », indique Geoff Barnard.

Un Etat rigoureux et une forte productivité

La productivité de la main d’œuvre en Afrique du Sud est forte mais pas suffisamment pour créer des emplois. « L’économie sud-africaine présente une très forte dualité, constate l’économiste de l’OCDE. D’un côté, une partie de l’économie est fortement industrialisée et très productive, de l’autre, la moitié de la population n’a pas d’emploi, un certain nombre de Sud-Africains ont des salaires assez confortables, d’autres n’en ont pas du tout. Ironiquement, l’Afrique du Sud devrait chercher à avoir une moyenne de productivité plus basse que le niveau actuel. Cela lui permettra de générer à court terme des emplois pour le grand nombre de chômeurs et les personnes qui ne sont pas économiquement actives. » Le chômage maintient dans la plus grande précarité les Noirs peu qualifiés. Le niveau d’éducation, voire de qualification, au sein de la population noire demeure parfois encore inférieur à certains pays d’Afrique sub-saharienne. Une autre séquelle de l’Apartheid, période pendant laquelle cette population, soit 80% des Sud-Africains, a reçu une éducation au rabais. Selon les dernières statistiques officielles de l’Afrique du Sud, le taux de chômage y est estimé à près de 26% (quatrième trimestre 2008), contre 3% chez les Blancs. «Relativement, une petite partie de l’ensemble de la population sud-africaine est active, poursuit Geoff Barnard. C’est néanmoins assez inhabituel, même pour un pays en voie de développement qu’un taux de chômage aussi élevé perdure depuis des années. Le faible niveau de concurrence est un facteur parmi d’autres qui explique le haut niveau de salaire, une situation qui nuit à la demande de travail, notamment celle d’emplois peu qualifiés ».

Par ailleurs, l’Etat pèse beaucoup dans la vie économique sud-africaine. Tout comme les grandes entreprises qui sont souvent en situation de monopole. « Il y a assez peu de petites entreprises finalement ». Une situation qui tient aussi au faible développement de l’entrepreneuriat, legs, semble-t-il, encore une fois du passé ségrégationniste de l’Afrique du Sud. Mais, contrairement à de nombreux pays en voie de développement, la Nation arc-en-ciel ne peut pas s’en remettre au secteur informel pour absorber sa main d’œuvre peu qualifiée. La discrimination positive (BEE pour Black Economic Empowerment Initiative ou Initiative pour l’habilitation économique des Noirs) n’a pas encore réussi à réduire les inégalités entre Noirs et Blancs. Elle ne profiterait qu’à une petite partie de la population noire qui s’enrichit au détriment de ses concitoyens. Plus offensives, les autorités sud-africaines ont mis en place en 2006 une nouvelle stratégie de développement : l’Asgi-SA (The Accelerated and Shared Growth Initiative for South Africa ou Initiative pour une croissance accélérée et partagée de l’Afrique du Sud). Objectif : réduire à l’horizon 2014 le chômage et la pauvreté.

Une économie africaine comme une autre

Bien que l’industrie et les services représentent plus de 85% du PIB, la croissance est encore tirée, tout comme de nombreux pays africains, par les revenus générés par l’exportation de matières premières. Le sous-sol regorge de métaux et minerais précieux comme le platine (premier producteur), l’or (1er), le titane (2e), le manganèse (3e), le diamant (5e), le charbon (5e) ou encore l’uranium (8e). La flambée des cours des matières premières a dopé la demande intérieure ces dernières années et contribué à la croissance. L’Afrique du Sud dépend aussi de l’extérieur en terme d’investissement du fait, entre autres, de sa faible capacité à mobiliser l’épargne locale.

L’industrialisation et la forte croissance de ces dernières années a également eu un revers qui ramène l’Afrique du Sud au niveau de ses homologues africains : les coupures intempestives d’électricité. Depuis janvier 2008, elles se sont multipliées, perturbant également l’approvisionnement des pays voisins. L’Etat sud-africain a prévu d’investir 343 milliards de rands (29,6 milliards d’euros) sur cinq ans pour permettre à son infrastructure énergétique de répondre aux besoins de son économie.

L’Afrique du Sud dispose d’une structure économique qui la hisse de fait au niveau des nations en passe de devenir les plus compétitives de la planète. Mais pour atteindre sa pleine capacité, le pays doit réduire les écarts de revenus entre ses citoyens instaurés par l’Apartheid. L’avenir de l’économie sud-africaine dépendra aussi de l’aptitude du nouveau président, qui sera élu le 22 avril, à rassurer les investisseurs étrangers. Jacob Zuma, le leader du Congrès national africain (ANC, au pouvoir depuis l’indépendance), est assuré de se faire élire. Saura-t-il instaurer le climat de confiance nécessaire au progrès économique et social de tous ses concitoyens, toutes races confondues ?

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