Afrique : ce qu’on occulte à Copenhague


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Après la convivialité initiale de la cérémonie d’ouverture du lundi 7 décembre, à Copenhague, de la 15ème Conférence sur le changement climatique de l’ONU 2009 (connue sous le sigle COP15), quelque peu ternie par le soi-disant scandale du « climategate », le mardi 8 décembre des voix discordantes se faisaient véhémentes. L’Ambassadeur soudanais à l’ONU, Lumumba Stanislaus Di-Aping, parlant au nom des 77 pays en voie de développement, se fendait de ce commentaire fracassant : « Nous voyons que l’objectif des deux degrés [de réduction de la température du réchauffement climatique de la planète] expose 100 pays à la souffrance et à la dévastation massives… Les dix milliards de dollars des scénarios actuels ne suffiront point à acheter aux pays pauvres des cercueils, sans parler de leur capacité à faire face aux problèmes que cause ce défit ». Di-Aping faisait référence aux 10 milliards de dollars annuels proposés par le premier ministre britannique Gordon Brown pour mitiger les effets délétères du réchauffement climatique sur les pays pauvres qui n’ont en rien contribué à la catastrophe climatique.

Désormais, je me rappellerai toujours ce que m’avait un jour dit, il y a plusieurs années, mon ami Alexis Sinduhije, aujourd’hui grande figure de l’opposition burundaise, devant qui je me plaignais de la catastrophe humanitaire causée par ce qu’il est maintenant convenu d’appeler la Première Guerre Mondiale Africaine en RDC. « Ce n’est qu’un prologue », m’avait dit Sinduhije, « la prochaine guerre dans la région des Grands Lacs sera une guerre de l’eau ».

Sur le moment, je n’avais pas pris Sinduhije au sérieux. Mais depuis lors, cependant, les propos de Sinduhije se sont révélés prophétiques.
La récente « Guerre des Poissons » en RDC où des conflits sur le partage des ressources halieutiques de deux étangs poissonneux à Dongo, dans la Province de l’Equateur, viennent de causer une épuration ethnique, avec plus de 70.000 réfugiés au Congo-Brazzaville et dans les régions environnantes plus sécurisées, tendent à prouver, si besoin est, la prophétie de Sinduhije. Pourtant, on aurait pu penser qu’avec sa dense grille hydrographique encore intacte, la RDC fût le dernier pays au monde à être le théâtre d’affrontements meurtriers pour une simple question de poissons.

En 2007, Frédéric Lasserre, professeur à l’Université Laval (Québec) et un expert de la géopolitique de l’ « or bleu » (eau) offrait, dans un article intitulé « Conflits hydrauliques et guerres de l’eau : un essai de modélisation », pour la première fois, des scénarios de corrélation synergétique entre la rareté de l’eau et ce qu’il appelait justement les « conflits hydrauliques » ou les « guerres de l’eau » :
« Dans le contexte actuel de changements climatiques et d’augmentation des besoins alimentaires, la pression sur la ressource hydraulique s’accentue fortement : l’eau est devenue un enjeu politique majeur, et sa maîtrise, ainsi que son partage, de potentielles sources de conflits. Ceux-ci peuvent être interétatiques, ou internes et de basse intensité : dans les deux cas, ces conflits hydrauliques ne font souvent qu’exacerber des tensions déjà bien présentes au sein de relations préalablement dégradées entre États ou communautés ; mais poussés à l’extrême, ils pourraient déboucher sur de véritables ‘ guerres de l’eau’. Le potentiel de conflit croît avec la rapidité de la rupture hydraulique, qui introduit la rareté en eau, à laquelle les sociétés sont plus ou moins sensibles en fonction de leur ‘capacité sociale d’adaptation’ ».

Frédéric Lasserre traite de cette question sur le plan planétaire. Mais dans une version étendue de cet article de 2007 intitulé « Guerres de l’eau : Paradigmes des guerres du XXIe siècle », Lasserre identifie les cas emblématiques suivants de conflits hydrauliques exacerbant des tensions interethniques dans la région des Grands Lacs :
1) Avril 1999/février 2001 : Au Kenya, des heurts entre des éleveurs nomades dus à l’accès à l’eau (dans la région du Fleuve Tana) causent la mort de plus de 100 personnes ;

2) Septembre 2004 : Dans la province méridionale angolaise d’Huila, les mêmes types de conflits causent des explosions interethniques avec plusieurs dizaines de victimes ;

3) Février – juillet 2005 : Plusieurs morts sont dénombrés aux divers points de conflagration au Kenya provoqués par la difficulté d’accès aux ressources hydrauliques se contractant comme peau de chagrin (encore une fois, le long et autour du Fleuve Tana)…

Le désastre prêt à s’abattre sur le continent

En octobre 2009, Frédéric Lasserre a publié aux Editions Delavilla de Paris son livre « Les Guerres de l’eau » (préfacé par Michel Rocard) qui propose sa théorie sur la modélisation exhaustive de ces guerres hydrauliques probables du 21ème siècle.

Dans le cas spécifique de l’Afrique, une étude américaine publiée en octobre 2009 et intitulée « Le réchauffement augmente le risque de guerre civile en Afrique », elle-aussi basée sur une modélisation informatique, résume froidement le désastre sur le point de frapper le continent : « Nous trouvons des liens historiques solides entre la guerre civile et la température en Afrique, avec des années chaudes entraînant des augmentations significatives de la probabilité de guerre. Combinée aux modèles de projections des futures tendances de température, cette réponse historique à la température suggère une augmentation approximative de 54% d’incidence de conflit armé à l’horizon 2030, ou 393.000 victimes additionnelles de guerre si les guerres futures sont aussi meurtrières que les guerres récentes. Les résultats de notre recherche suggèrent une urgente nécessité de réformer les politiques des gouvernements africains et celles de l’aide à la coopération de sorte qu’elles traitent de la montée des températures ».

Incidemment, au Kenya, le grand barrage hydroélectrique sur le Fleuve Tana vient de fermer à cause des bas niveaux de l’eau dus à l’une des sécheresses les plus dévastatrices de l’histoire du Kenya. Et, déjà, des tensions s’y font sentir tant dans les bidonvilles en zones urbaines (disruption de la distribution des eaux à Nairobi par exemple) que dans les zones rurales (accès à l’eau pour les hommes et le bétail).

Ces conflits hydrauliques et ces guerres de l’eau déstabilisent les frontières du nord de la RDC depuis les années 1970, le dessèchement du Lac Tchad entraînant la transhumance vers le sud des éleveurs ouest-africains « mbororo » et leur bétail en quête de pâturage en plein territoire du Congo, chassant les villageois congolais un peu plus vers le sud. Et certains théorisent d’ailleurs que la guerre du Darfour est la première guerre africaine de l’eau…

On voit donc que l’Afrique, qui n’a en rien contribué au réchauffement climatique, en paie déjà le prix du sang. Il a bien raison, Lumumba Stanislaus Di-Aping, de dire que la proposition des 10 milliards de dollars annuels pour les pays pauvres a des accents d’une farce rabelaisienne… la part de l’Afrique ne lui suffira point à acheter les cercueils pour les 393.000 morts de l’estimation fort conservatrice de l’étude américaine mentionnée ci-haut.

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