Affaire Fotso contre l’hôpital Américain de Paris : lettre ouverte à Paul Biya


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Victor Fotso et sa fille Christelle
Christelle Nadia Fotso et Victor Fotso

Mourir comme un vieux nègre sans médaille en Occident : plaidoyer contre le njitapage communautaire. Lettre ouverte à Paul Biya, Président de la République du Cameroun. « Il n’y a ni justice ni liberté possibles lorsque l’argent est toujours roi.» Albert Camus

Monsieur le Président,

Il y a un peu plus d’un an, je vous faisais une lettre pour vous inviter à la messe de requiem aux Invalides pour saluer la mémoire de Victor Fotso. Je prédisais alors, avec raison, que vous ne la liriez pas en pressentant que comme mon père, vous êtes totalement accaparé par la cruauté des fins de vie dans des sociétés malades. Elles ne sont qu’à l’image de classes dirigeantes sclérosées qui ont renoncé à l’évolution des populations locales. Cet abandon de l’intérêt général crée des désordres causés trop souvent pour occulter les vrais sujets et rendre la prédation admissible. Accepter qu’avec le temps tout s’en va est particulièrement pénible lorsqu’on a régné des décennies, que le glas s’apprête à sonner et que trop reste à faire.

Je prends de nouveau le risque de vous écrire publiquement pour la gloire de mon père. Ma franchise inhabituelle qui paraîtra encore insolente voire ingrate n’est qu’une marque de sincérité et la confirmation que je ne suis pas un animal politique. Mes propos sont ceux d’une une femme debout et révoltée qui porte la dépouille de son fils parce que son deuil est impossible. La profanation de sa mémoire n’est pas qu’une question intime et privée mais une affaire africaine publique. Même mort, Victor Fotso incarne l’excellence africaine ; il mérite mieux que des silences coupables parfois complices. Ne doutant pas, Monsieur le Président, que comme tout patriarche sentant sa fin prochaine, vous avez fait le triste constat que la qualité est toujours préférable à la quantité, particulièrement lorsqu’il est question d’êtres humains, je ne vous parlerai pas de faveurs personnelles inconséquentes pour le pays mais de valeurs dont dépend sa grandeur.

Monsieur le Président, vous avez hanté mon été. Avec tristesse, horreur et désespoir, j’ai vu les images de votre séjour privé à Genève. Fervente critique de la médiocrité convenue et convenable de la politique camerounaise, j’ai pensé que le Cameroun ne méritait pas cela. Que les Camerounais et d’autres l’acceptent ou pas, vous représentez le pays que vous gouvernez depuis bientôt 40 ans. Votre longévité peut et doit être questionnée car elle est la preuve la plus incontestable que le Cameroun ne peut plus se réduire à un homme et prospérer. Ce n’est pas votre personne qu’il faut combattre impitoyablement mais le Biyaīsme comme toute forme désuète, anti-intellectuelle et macabre de césarisme qui transforme les sociétés africaines en des fabriques de crétins.

Je l’affirme donc, non seulement pour vous, mais pour tous les hommes d’Etat et les Patriarches, le njtapage est défendu, quelles que soient leurs erreurs, leurs fautes et autres manquements. Votre âge, autant que votre fonction, interdit beaucoup dont un « chassemment » théâtral tellement névrosé qu’il en devient tragique et minable. Il n’est pas à la hauteur du Cameroun et pollue un dialogue social fondamental qui doit être dominé par les sujets de fond. Comme l’aurait dit Camus, il est fort possible que la fin justifie les moyens mais qui ou quoi justifiera une fin inutilement barbare et grossière ?

Monsieur Biya, je souhaite pour vous et le Cameroun, ce qui a été refusé au Dernier Bamiléké et sa famille : une mort sans interférence et manigances qui respectera votre personne et votre longue existence, en permettant à votre famille un deuil digne et au Cameroun une transition apaisée. On ne demande pas à un Patriarche d’être le messie d’un village ou d’un pays. Lorsqu’il entreprend ce travail de Sisyphe inéluctablement voué à l’échec, on ne l’humilie pas publiquement en justifiant la petitesse et la sauvagerie au nom de l’alternance et de défaites cuisantes qui sont nationales. Si beaucoup de vos opposants les plus virulents, qui sont parfois les moins réfléchis et les plus aveugles avaient plus de culture politique, d’imagination et de créativité, ils vous auraient accueilli en Patriarche à l’Hôtel Intercontinentale de Genève afin de vous convaincre d’y rester vous reposer en paix et devenir enfin le Président de la diaspora pour laisser le Cameroun à celles et ceux qui peuvent encore lui consacrer tout leur être et leur vie.

A lire : L’héritage du Dernier Bamiléké

Monsieur le Président, mon combat pour mon père est contre l’obscurantisme qu’est le je la dis queisme qui enchante l’inculture vénale et sauvage en permettant le vol et le viol des Patriarches. Pour la gloire de mon père et laver l’affront qui lui a été fait, j’ai porté plainte à Washington contre l’Hôpital Américain de Paris qui a laissé mourir Victor Fotso comme un vieux nègre sans médaille sans égard pour son nom, son histoire et sa fonction, avec une complaisance abominable et criminelle, qui n’est possible ou impunie qu’en Afrique et lorsqu’il s’agit d’Africains. Le 17 décembre prochain, se tiendra la première audience de l’affaire Fotso v. The American Hospital of Paris. Je demande sans l’exiger que le Cameroun se joigne à cette plainte. Il n’est question pour l’état ni de prendre partie dans une succession compliquée ni de participer à une affaire personnelle, mais de s’impliquer dans une affaire qui concerne tous les Camerounais, pour condamner ce qui est arrivé à mon père et que l’hôpital a laissé faire. Victor Fotso n’était pas l’homme d’une famille, d’un village, d’un clan, d’un parti, d’un pays, il était une légende africaine. Le Cameroun doit enfin, au moins, protester contre la pire des profanations possibles d’un de ses héros nationaux qui s’est passée à Neuilly.

Monsieur le Président, mon père a travaillé et beaucoup sacrifié pour devenir Fotso Maptué. Le njitapage est une injustice et une défaite pour tous les Africains qu’il réduit à des êtres en soi, sans aucune complexité. Il humilie ce qu’il représente en soutenant une idée coloniale qu’il est grand temps d’éradiquer : l’excellence africaine est illusoire et toujours truandée. L’Afrique a le droit d’avoir à leur place, des grands hommes, qui n’ont pas à être parfaits et des dieux pour être honorés ou juste salués.

Cependant, Monsieur le Président, vous n’êtes pas Victor Fotso et avez la bonne fortune d’avoir un rempart contre une fin de vie sauvage : votre épouse. Marié véritablement à Bandjoun, mon père s’est retrouvé seul face à un hôpital qui, ne voulant pas se mêler d’histoires africaines, s’est laissé ensauvager. Vous, vous avez Chantal Biya qui est votre plus éclatante réussite. Parce qu’elle a su tenir et acquérir de l’expérience à vos côtés, vous devriez lui donner les clés non pas d’Etoudi mais de votre héritage politique.

Victor Fotso était le Dernier Bamiléké. Paul Biya, vous êtes le dernier Pharaon

Aucun de vos successeurs ne règnera aussi longtemps. Il est absurde pour les Camerounais de chercher perpétuellement et désespérément des hommes providentiels, qui, quelles que soient leurs qualités, auront du mal à résister à la tentation de la toute puissance. Il est temps de parier sur l’intelligence collective. Parce que je souhaite que Chantal Biya comprenne qu’elle ne peut devenir la créature de vos créatures qui ne sont pour la plus part qu’artifices et doit refuser d’être une potiche, je lui écrirai pour la prier d’avoir plus d’ambitions pour elle-même et pour le Cameroun, en osant le féminisme

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