« Adélaïde, tragédie nègre » : un vaccin contre l’amnésie


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Solal Valentin
Solal Valentin

Infirmière antillaise et mère-célibataire en difficulté, Saline rencontre dans sa quête d’un passé refoulé, Adélaïde, une négresse du XVIIIe siècle, esclave sur une plantation, qui s’apprête à commettre l’irréparable : un infanticide. Autour de ces personnages, Solal Valentin a écrit une pièce bouleversante, qui révèle le drame de l’esclavage dans toute sa violence. Une violence qui, aujourd’hui encore, hante douloureusement les descendants de celles et ceux qui ont vécu les affres de la servitude. Adélaïde, tragédie nègre est jouée au Théâtre de l’Epée de bois, à Paris, jusqu’au 12 avril.

Solal Valentin a grandi en région parisienne, élevée par des parents originaires de la Martinique. Après avoir été comédienne, dans le courant des années 1990, elle a décidé, en 2001, de se consacrer à la profession d’infirmière, comme Saline, la femme dont elle interprète le rôle dans la pièce qu’elle a écrite, Adélaïde, tragédie nègre. Saline entre en communication avec Adélaïde, une esclave du XVIIIe siècle qui commet l’infanticide alors que la loi l’interdit et menace de mort les contrevenantes. La mulâtresse Angèle, sa sœur de souffrance, tente de la sauver d’Anathole, le commandeur de la plantation chargé de faire appliquer le règlement. Mais Adélaïde a-t-elle envie d’être sauvée ? Quelle valeur peut bien avoir la vie lorsqu’on est traité comme un animal et que son enfant connaîtra un sort tout aussi misérable ? Avec ce texte sombre et poétique, d’une justesse et d’une brutalité implacables, Solal Valentin plonge les spectateurs dans le quotidien complexe et suffocant des esclaves qui peuplaient les plantations de la Caraïbe. Un passé qui, à leur insu, le plus souvent, habite aujourd’hui les descendants d’esclaves. La mise en scène de Dominik Bernard, intelligente et sobre, souligne cette continuité temporelle. L’auteur de la pièce, Solal Valentin, nous a accordé un entretien.

Afrik.com : Comment a germé en vous l’idée d’écrire cette pièce sur l’esclavage, centrée autour d’une femme, Adélaïde ?

Solal Valentin : Je n’ai pas eu l’idée d’écrire une pièce sur l’esclavage, mais sur l’histoire d’une femme plongée à l’intérieur d’elle-même. Et ce qui est en elle-même est relié à son histoire qui est celle de l’esclavage. Ce personnage me ressemble, et tous les personnages de la pièce sont, je pense, une partie de moi-même. Son histoire comme la mienne, c’est l’esclavage. Si j’étais descendante de roi ou de reine, Adélaïde parlerait différemment.

Afrik.com : A-t-il été difficile pour vous d’écrire cette pièce ?

Solal Valentin : Ca n’a pas été douloureux, mais plutôt agréable. Cependant, ça n’a pas été facile, car c’est la première pièce de théâtre que j’écris. J’ai commencé à écrire tardivement. Avant, j’étais comédienne. En 2001, j’ai abandonné ce travail pour devenir infirmière, puis l’écriture s’est imposée à moi. Quand quelque chose sort de vous, c’est magique. D’abord, ça a été de la poésie[[Solal Valentin a écrit un recueil de poèmes, Dis-le à tes enfants (Klanba éditions), publié en 2008]], et elle a été bien reçue. C’est un plaisir d’écrire et de tout de suite partager. Le plaisir né de ces premières expériences, des retours qui m’ont été faits, m’a encouragé à continuer.

Afrik.com : La pièce tourne autour d’un drame violent, un infanticide. Pourquoi ?

Solal Valentin : Il n’y a pas que ça dans la pièce. La vente, la couleur de la peau sont aussi des thèmes très présents. L’infanticide occupe une place importante dans la mesure où il constitue le point de départ de la pièce. J’ai imaginé cette histoire parce que j’ai été extrêmement troublée quand j’ai appris que certaines femmes esclaves pouvaient tuer leur enfant. Il était important que je me mette à la place d’une femme qui aurait pu commettre cet acte, parce que je suis mère. Quelque part, ça me fascine, car c’est infaisable de tuer la personne qu’on aime le plus au monde. J’ai voulu écrire sur un impensable.

Afrik.com : Saline, infirmière antillaise du XXIe siècle voit la vie d’Adélaïde, l’esclave, comme un reflet de la sienne. Pourquoi avez-vous mis ces deux personnages face à face ?

Solal Valentin : C’était important, pour moi, de faire ce lien car je voulais écrire une pièce actuelle, liée à ce que je vis. Je suis partie de moi, de ma vie et quelque part j’ai raconté ma propre histoire. Saline, c’est le personnage qui me ressemble le plus. En 2002, je me suis replongé dans mon passé, j’ai fait un retour sur ma propre histoire, la construction de ma famille, ce qui m’a permis de mieux comprendre ces gens à qui je suis liée de façon ancestrale. Tout cela m’a fasciné et m’a conduit à écrire.

Afrik.com : Vous êtes l’auteur de la pièce Adélaïde, tragédie nègre, ; vous y interprétez le rôle de Saline, l’infirmière. Mais vous n’avez pas assuré la mise en scène. N’est-il pas difficile d’être dirigée sur un texte qu’on a écrit soi-même ?

Solal Valentin : En fait, c’était une question de temps. Donc, de façon pratique, je ne pouvais pas faire la mise en scène. Je suis contente de l’avoir confiée à Dominik Bernard, car sa mise en scène et la scénographie me plaisent. Je suis contente d’avoir confié cette tache à un homme de grande sensibilité… Quand j’ai fait cette pièce, j’ai eu du mal à écrire le rôle de l’homme. C’est une pièce de femmes, mais qui s’adresse beaucoup aux hommes. J’espère que les hommes le verront. Tout au long de la phase d’écriture, Dominik Bernard a été l’un de ceux à qui je confiais mon texte. Je suis contente du résultat sur scène. J’avais confié la mise en lecture de la pièce, l’an dernier, à Mariann Matheus. Mais pour diverses raisons, il n’a pas été possible qu’elle en assure la mise en scène. Dominik Bernard s’est proposé. J’ai accepté. Et je suis contente d’avoir fait ce choix. Lorsqu’on met en scène soi-même des choses que l’on a écrites, on peut manquer de recul. Il y a des choses que l’on ne voit pas soi-même. J’aime la scénographie imaginée par Dominik Bernard. Elle est simple, sobre, je ne pense pas que j’aurais pu trouver toutes ces idées.

Afrik.com : Comme Saline, l’un des personnages de la pièce, vous êtes infirmière. Dans les années 90, vous étiez comédienne. Pourquoi avez-vous abandonné cette profession ?

Solal Valentin : J’ai arrêté d’être comédienne en 2001 pour plusieurs raisons. Pour des raisons économiques, d’une part. J’avais fait une école d’infirmière en France, puis une école de comédie à Montréal. J’avais choisi de faire de la comédie mon activité principale, mais je ne m’en sortais pas. J’avais fait des investissements financiers, j’avais eu un enfant que j’élevais seule… D’autre part, on ne me proposait plus de rôle intéressant. Lorsqu’on est une femme d’origine antillaise ou africaine, on reçoit toujours des rôles stéréotypés. Donc je me suis dit que si j’effectuais un retour au théâtre, ce serait avec mes propres créations.

Adélaïde, tragédie nègre, drame en quatre actes de Solal Valentin

Mise en scène : Dominik Bernard

Avec : Johanna Bah – Daniel Jean – Annabelle Lengronne & Solal Valentin

Chants & percussions : Jony « Somnanbil » Lerond

Création lumière : Jean-Pierre Népost
Chargé de production : Tony Mango
Collaboration artistique : Gaelle Billaut Danno & Bénédicte Bailby

Représentations :du 26 mars au 12 avril 2009

Jeudi • vendredi • samedi : 20h30. Samedi & dimanche : 16h00

Théâtre de l’Épée de Bois

Cartoucherie de Vincennes. Route du champ de manœuvre. 75012 Paris

Réservations : 01 48 08 39 74 du mardi au samedi de 10h à 19h

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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