Accords de partenariat économique UE – ACP : une menace pour l’Afrique


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Les Accords de partenariat économique qui doivent être signés d’ici la fin de l’année 2007 entre les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique et l’Union européenne sont une menace pour les économies africaines. Ce message, plus d’une centaine d’organisations de la société civile le martèleront ce jeudi 27 septembre un peu partout dans les pays concernés. Les ONG plaident pour le maintien du principe de non-réciprocité qui a toujours prévalu dans les relations commerciales UE-ACP. Les explications de Caroline Dorémus-Mège, responsable de plaidoyer à Oxfam France – Agir ici.

L’Union européenne (UE) est en négociation depuis 2002 avec ses partenaires des pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) pour conclure les « Accords de partenariat économique » (APE), nouvelle base des relations commerciales entre ces deux zones. Ces APE sont la solution proposée par l’Europe aux pays africains face à l’inefficience du régime d’accès préférentiel accordé aux pays ACP depuis 1975 à travers les différents accords de Lomé. En 2000, l’accord de Cotonou sonne donc le glas de ce dispositif. Loin d’avoir favorisé le développement des relations commerciales entre ces régions, le volume des exportations des pays ACP vers l’UE n’a cessé de décroîttre. Les APE, selon le calendrier fixé par l’UE, doivent être conclus au plus tard au 31 décembre 2007. Ce jeudi, les acteurs de la société civile scanderont « Stop APE ! » et feront des propositions aux gouvernements des pays ACP et de l’UE.

Afrik.com : Quelles sont les motivations de l’Union européenne pour
 » imposer  » les APE aux pays ACP et dénoncer les accords préférentiels qu’elle a conclus avec ces pays ?

Caroline Dorémus-Mège : L’Union européenne avance deux arguments. Le premier relève du constat que les accords préférentiels signés avec les pays ACP ont été inefficaces dans la mesure où ils n’ont pas permis à ces pays de se développer. Le second argument tient au souhait de l’UE de se mettre en conformité avec les règles de l’OMC (Organisation mondiale du Commerce, ndlr) qui dénonce ces accords préférentiels qu’elle a conclus avec les pays ACP. La dérogation que l’UE a obtenue de l’OMC arrive à expiration au 1er janvier 2008 d’où l’impérative nécessité de conclure les APE au 31 décembre 2007. L’UE aspire à se dégager de ces accords notamment parce qu’elle se refuse à demander une nouvelle dérogation par crainte de représailles commerciales.

Afrik.com : Ces arguments sont-ils valables selon vous ?

Caroline Dorémus-Mège : Nous estimons qu’il existe d’autres solutions que les accords de libre échange tels que conçus par les APE. L’article 24 du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, ancêtre de l’OMC, ndlr) régit les accords commerciaux régionaux. Si l’UE le voulait, elle pourrait demander à ce que cet article prévoit des clauses spécifiques aux relations commerciales entre pays en voie de développement et pays développés.

Afrik.com : L’Union européenne peut-elle encore se référer à cet article ?

Caroline Dorémus-Mège : Elle peut toujours y recourir mais, semble-t-il, l’Europe ne veut pas s’engager dans une longue procédure qui est a priori sans grand intérêt pour elle. Quand les négociations au sein de l’OMC reprendront, l’UE devrait accéder à la demande des pays ACP qui réclament la révision de cet article en échange de leur soutien dans d’autres négociations. L’UE et 77 pays ACP, ce n’est pas rien.

Afrik.com : Que prévoient les APE ?

Caroline Dorémus-Mège : Dans le cadre des APE, les pays ACP ont été divisés en six régions dont chacune doit signer un accord de libre échange avec l’Union européenne. Chaque région est aussi encouragée à finaliser sa propre union douanière. Ce dernier point est plutôt intéressant parce qu’il promeut une plus grande intégration économique. Seulement, l’Europe précipite un peu les choses quand on connaît le niveau d’intégration actuel des économies africaines. En somme, les APE prévoient la libéralisation de 90% des échanges entre l’UE et les pays ACP : 100% du marché européen sera ouvert contre 80% de celui des ACP. Les Etats ACP pourront par conséquent protéger 20% de leur marché en désignant des « produits sensibles ». Ce qui soulève de grandes discussions sur les secteurs à protéger compte tenu de la faible marge de manœuvre que laisse ce chiffre. La priorité devrait aller, entre autres, aux industries naissantes – comme la petite industrie agro-alimentaire de transformation – nécessaires à leur développement. L’autre problème, c’est que la libéralisation va occasionner une baisse des recettes douanières des Etats africains. Des recettes qui ont un poids important dans leurs budgets. Même si l’Union européenne propose des mécanismes de compensation, ils ne suffiront pas à combler ces pertes de ressources. L’Europe devrait plutôt envisager des solutions durables pour venir en aide à ces économies.

Afrik.com : Il apparaît évident que les APE représentent une menace pour les pays ACP…

Caroline Dorémus-Mège: Les économies africaines ne sont pas compétitives dans le commerce international et parfois sur leur propre marché. Cette situation risque de s’aggraver avec les APE qui seront à l’origine d’une déferlante de produits européens, moins chers et souvent de meilleure qualité, sur les marchés de ces pays. Oxfam France – Agir ici a démontré en 2004 comment les exportations européennes de volailles avaient été catastrophiques pour les producteurs en Afrique de l’Ouest. On risque de se retrouver dans une situation similaire dans plusieurs secteurs.

Afrik.com : Les pays ACP sont-ils obligés de signer ces accords ?

Caroline Dorémus-Mège : Ils subissent une pression très forte de la part de l’Union européenne et sont menacés de représailles. Cependant, ils sont de plus en plus nombreux à penser qu’il n’est pas réaliste de conclure ces APE en décembre. L’un des scénarios possibles serait que les APE ne soient pas signés dans leur totalité à cette date. On peut imaginer la signature de deux ou trois accords cadre – les Européens auraient ainsi l’impression que les choses avancent – dans lesquels les détails seront à négocier ultérieurement.

Afrik.com : La société civile semble être plus mobilisée que les Etats pour qui la menace que représente les APE paraît évidente ?

Caroline Dorémus-Mège : Il est vrai que la société civile est plus virulente. Cependant, les Etats aussi réagissent et expriment leur réticence. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest envisage de demander un délai supplémentaire d’une année. La région Pacifique pourrait, elle, tout simplement refuser de signer ces accords. Néanmoins, aucun pays ACP n’a osé se retirer des négociations. Les organisations de la société civile ne cessent donc d’interpeller leurs Etats respectifs en Afrique et en Europe. Plusieurs actions ont été notamment menées lors de la présidence allemande de l’Union européenne.

Afrik.com : Vous mènerez ce jeudi une ultime grande action…

Caroline Dorémus-Mège : Les organisations de la société civile d’Europe et des Etats ACP ont décidé au dernier Forum social de Nairobi d’une dernière grande mobilisation, avant l’échéance de décembre, ce jeudi 27 septembre . Une date symbolique qui marque le cinquième anniversaire du lancement des négociations relatives aux APE. Plus de deux cents ONG de 40 pays se sont donnés rendez-vous un peu partout dans ces deux régions pour dénoncer l’iniquité des APE. A côté de revendications plus générales, Oxfam propose qu’au lieu de se fixer sur la date butoir du 31 décembre 2007, une période transitoire soit mise en place. Elle équivaudrait à opter pour une version améliorée du Système préférentiel d’accès au marché de l’Union Européenne baptisé GSP+. L’Union européenne préserverait ainsi le régime préférentiel dont bénéficient les pays ACP tout en respectant les règles érigées par l’OMC, et sans leur imposer l’ouverture de leur marché.

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