Abdellatif Kechiche : « J’éprouve une grande admiration pour la jeunesse d’aujourd’hui »


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Le réalisateur franco-tunisien Abdellatif Kechiche a présenté jeudi son dernier film, La Vie d’Adèle – Chapitre 1 et 2 en compétition à Cannes. Dans les coulisses d’un long métrage, très apprécié par la critique, avec Abdellatif Kechiche.

La Vie d’Adèle est un film sur l’amour mais c’est un peu un hommage à la gourmandise. Comme dans La Graine et le Mulet, vous filmez avec beaucoup de sensualité les scènes où vos personnages mangent. Pourquoi ?

Abdellatif Kechiche :
C’est quelque chose qui me touche beaucoup dans la vie. C’est un instant de partage. Je ne suis pas vraiment gourmand mais j’aime la gourmandise chez les autres. Je suis très ému de voir des gens se délecter d’un repas, de voir toutes les expressions et les couleurs qui découlent de ces instants de vie. J’aime filmer cela. Pourquoi ? Je ne pourrai pas vous en dire plus.

Le thème de l’adolescence est abordé dans plusieurs de vos films.
Qu’est-ce qui vous touche dans cette adolescence ?

Abdellatif Kechiche :
C’est un moment tellement décisif de la vie qu’on le garde toujours un peu en soi. J’éprouve une grande admiration pour la jeunesse d’aujourd’hui, en comparaison avec la mienne qui était tellement plus fermée, plus bloquée. C’est peut-être le progrès technologique qui a participé à cela. Ils vivent plus librement leur jeunesse que d’autres générations, du moins celle à laquelle j’appartiens. J’observe maintenant une jeunesse libre, ouverte, à l’écoute du monde, engagée. J’ai envie de montrer cette émotion qu’ils me procurent lorsqu’ils dansent, manifestent, rient ou se disputent. Il y a une fougue, une énergie qui se dégage de cette jeunesse qui m’interpelle et qui me donne de l’espoir.

Comparé à vos précédents films, La Vie d’Adèle – Chapitre 1 et 2 est beaucoup plus gai. Vous avez d’ailleurs effacé tout le côté tragique de la BD de Julie Maroh…

Abdellatif Kechiche :
Le thème de la rupture reste tout de même douloureux. Mais peut-être que le film montre plus de cycles, d’espoir, d’ouverture, que cette douleur n’est pas la fin de cette histoire. C’est peut-être aussi l’expérience de la vie. Les rencontres, les peines et les joies passent et se transforment. Il y a l’idée que l’on se construit avec ça. Peut-être qu’il y a effectivement quelque chose de plus positif…

Vous racontez une relation homosexuelle avec des scènes d’amour très explicites mais en même temps chacun peut s’identifier à ces personnages. C’était une volonté de ne pas insister sur le caractère homosexuel de cette passion amoureuse ?

Abdellatif Kechiche :
Cela s’est fait naturellement. Je me suis très peu interrogé sur le thème de l’homosexualité. Je me suis rendu compte à très peu de moments sur le tournage que c’était des femmes, tellement je regardais des personnages qui s’aiment. Nous étions tous plus dans l’interrogation sur les rapports amoureux. Je n’ai pas voulu mettre de côté la question de l’homosexualité, cela s’est fait comme ça.

La représentation des multiples facettes de la société française est très intéressante dans votre film. Il n’y aucun enjeu ni dans la couleur de la peau des personnages ni dans leur orientation sexuelle. Ce sont tout simplement des personnages…

Abdellatif Kechiche :
Vous répondez un peu à la question sur l’adolescence. J’observe chez cette jeunesse qu’elle regarde moins ou plus du tout les différences sexuelles, raciales et économiques. C’est ce qui explique en partie mon admiration pour elle.

Dans le dossier de presse, vous expliquez que quand vous avez fait ce film qui aborde la question de l’homosexualité, vous vous êtes dit que cela allait faire du bien à la jeunesse tunisienne parce qu’une révolution ne se fait pas sans être sexuelle. Comment voyez-vous cette révolution sexuelle de la jeunesse tunisienne ?

Abdellatif Kechiche :
Quand je parle de révolution sexuelle, c’est aussi de liberté sexuelle. Je crois que toutes les libertés sont bonnes à défendre. C’est une façon de dire également que je n’aimerais pas qu’on récupère cette révolution pour mettre un joug encore plus grand sur cette jeunesse tunisienne.

La Vie d’Adèle s’ouvre sur la La Vie de Marianne de Marivaux. L’auteur était déjà au centre de L’Esquive. C’est une boucle qui se boucle ?

Abdellatif Kechiche :
C’est un chemin qui continue. L’œuvre de Marivaux fait partie de mes livres de chevet (…). Cela faisait longtemps que je traînais cette idée de s’interroger sur le coup de foudre, le premier désir… Comme Marivaux l’exprime tellement bien, j’ai commencé le film avec ça.

« La Vie d’adèle – Chapitre 1 et 2 » de Abdellatif Kechiche

Avec Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux

Sortie française : 9 octobre 2013

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