88 morts à Charm El-Cheikh


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La presse africaine insiste sur la chasse à l’homme lancée par les autorités égyptiennes et sur le départ massif des touristes, au lendemain des attentats qui ont coûté la vie à 88 personnes à Charm El-Cheikh. Les journaux maghrébins, confrontés au terrorisme intégriste musulman, ne se contentent pas d’observer les événements et les analysent dans un cadre plus large.

88 morts sont à déplorer après les attentats à la bombe qui ont frappé la station balnéaire de Charm El-Cheikh, en Egypte. Les autorités se sont lancées dans la chasse aux suspects avec autant de vigueur qu’au lendemain des attentats de Taba, en octobre 2004, qui avaient causé la mort de 34 touristes israéliens. Près de 3.000 suspects, dont 200 sont toujours détenus, avaient alors été arrêtés, selon Radio China International. En deux jours, la police a arrêté une centaine de suspects, dont certains récemment relâchés. Elle est à la recherche de six Pakistanais liés aux attentats, dont elle a diffusé les portraits.

Deux jours après la tragédie, la presse africaine revient abondamment sur cette traque ainsi que sur les craintes qui pèsent sur la première industrie égyptienne, devant les revenus du canal de Suez et le pétrole : le tourisme. Seule la presse maghrébine, peut-être plus concernée, commente les événements et analyse « l’échec des services secrets égyptiens », le « Nouveau profil des terroristes » ou « la place de la religion dans les sociétés arabo-musulmanes ».

« Charm El-Cheikh : ville de beauté et de Paix», se souvient El Ahram

C’est ce qu’indique « l’un des larges panneaux pastel décoré de mosaïques le long de la Route de la Paix, la voie principale qui mène à la plus chic station balnéaire égyptienne, perchée sur la pointe sud de la péninsule du Sinaï. Néanmoins, ce soir, après trois attentats à la bombe réglés pour être perpétrés presque immédiatement les uns après les autres, la face de la ville a dramatiquement changée. Au revoir l’atmosphère d’insouciance hédoniste. Le nouveau sentiment tombé sur Charm El Cheikh comme un nuage noir est fait de profonde tristesse, de confusion, de désespoir et, par dessus tout, de panique », regrette le journal égyptien.

« L’impuissance des services de renseignement »

Le quotidien algérien El Watan, confronté durant une décennie au terrorisme et frappé dans sa chair, consacre un article au « Nouveau profil des terroristes » et à « L’impuissance des services de renseignement ». « Ce n’est plus des barbus arborant une tenue traditionnelle et voulant coûte que coûte se faire repérer qu’ont à affronter les services de sécurité aujourd’hui. Tout le travail de profilage des terroristes dressé ces dernières années, notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, est remis en cause au niveau des services de renseignements occidentaux. La preuve en est que, depuis cette date, deux pays importants, symboles d’une expérience établie contre le terrorisme – l’Espagne contre l’ETA (basque) et la Grande-Bretagne contre l’IRA (irlandaise) – ont été ébranlés. (…) Leurs services ont été laxistes envers des individus qui étaient fichés « passifs pour le moment », mais aussi et surtout parce que l’on place les terroristes actifs dans des canevas totalement erronés. Un spécialiste mal connu, en l’occurrence Ronald Crelinsten, professeur chercheur dans les questions terroristes, apporte plus d’éclairage. « Prenons l’exemple des attentats suicides. Leurs auteurs sont en général catalogués solitaires, jeunes perdants sans éducation pour qui la vie n’a pas grande signification. » Or, «le profil des kamikazes responsables des attentats contre les Etats-Unis s’avère très différent. Nombre d’entre eux étaient plus âgés, dans la trentaine ou la quarantaine, ils étaient mariés, avaient des enfants et ils habitaient de jolies maisons de la classe moyenne ».

« Le coup reçu est rude pour Hosni Moubarak »

Le Quotidien d’Oran insiste à son tour sur « L’échec des services égyptiens » et critique leurs méthodes. « Défiés pour la seconde fois dans cette zone touristique très protégée, [ils] ont lancé une vague d’arrestations dans la péninsule du Sinaï. Comme après les attentats de Taba, en octobre 2004, ces rafles, entamées samedi après-midi, ne sont pas ciblées. Près d’une centaine de personnes ont été arrêtées, 60 dans le nord de la péninsule du Sinaï et 35 à Charm El-Cheikh. Mais le recours aux rafles – celles qui ont suivi l’attentat de Taba ont suscité des accusations de tortures de la part des organisations de droits de l’Homme – est un indice de désarroi des services de sécurité. Il s’agit de toute évidence pour eux de ratisser et de frapper large, à l’aveuglette même, dans l’espoir de glaner des informations permettant une identification des auteurs des attentats. Des personnes, libérées récemment après avoir été raflées après les attentats de Taba, ont été à nouveau arrêtées. Les puissantes moukhabarate (services de renseignements) semblent bien en défaut de renseignements au sujet d’une nouvelle génération d’activistes.

A plus long terme : « Le coup reçu est rude pour Hosni Moubarak, qui s’apprête à solliciter un nouveau mandat dans des élections officiellement pluralistes mais déjà boycottées par une partie des opposants. Si le bilan économique et social n’est pas brillant, le régime égyptien faisait valoir la sécurité qu’il a rétablie après la vague des attentats menée dans les années 90 par les « Gamaates ». Moins d’une année après les opérations suicide de Taba, l’argument est difficilement opposable. »

La place de la religion dans les sociétés arabes en question

Après les attentats de Casablanca du 8 mai 2003 et alors que les autorités marocaines rivalisent d’imagination pour composer avec les mouvements islamistes, sans négliger la répression, Libération (Maroc) élargit le débat et pose la question de la place de la religion dans les sociétés « arabo-musulmanes ».
« Dans cette ambiance de guerre et de mobilisation contre le terrorisme intégriste, la question fondamentale concerne désormais le rapport de plus en plus explosif de la place de la religion dans la société, son rapport à la politique, notre rapport à l’histoire qui a été façonnée et jalonnée par le religieux. La question interpelle le monde. Mais elle s’impose de manière cruciale, urgentissime voire tragique, à cette aire géographique dite arabo-musulmane. Du Maroc à l’Iran, en passant par l’Indonésie, l’Egypte, le Soudan… cette question n’est pas posée de la même manière. Concernant le cas marocain, la question qui se pose est sereine et appelle une réponse ferme.

Peut-on encore traîner ce boulet de la confusion, qui consiste en l’exploitation éhontée de la religion à des fins politiciennes ? Peut-on permettre à des partis de maintenir la confusion ? Tantôt ils sont seulement des partis, tantôt c’est la confrérie de la propagande intégriste qui s’exprime à travers la bouche du prétendu parti. Précisons d’abord que le projet de loi sur les partis politiques met fin à cette confusion. Mais il ne faut pas que cela reste un simple article noyé dans une longue série de dispositions, sans véritable prise sur la réalité. Car la confusion est toujours là, alimentée par une multitude de manières, notamment par le PJD (Parti de la justice et du développement, ndlr). Le quotidien de gauche finit par s’attaquer à un sondage « international », réalisé notamment au Maroc, et selon lequel « 84% des Marocains se considèrent comme Musulmans ». Une vérité que les promoteurs du sondage tendraient à manipuler pour faire accepter l’idée que « les Marocains sont Musulmans d’abord » et qu’ils doivent pour « répondre à la conception religieuse du PJD se dissoudre dans un magma plus global et donc moins identifiable. »

Annulation en masse de réservations

Pour le reste, l’essentiel de la presse ouest-africaine revient sans la commenter sur la traque lancée par les autorités égyptienne et sur le départ massif des touristes du pays. L’Express de Maurice explique que « dans les heures qui ont suivi les attentats, agences de voyages et compagnies aériennes ont fait état de nombreuses annulations, faisant craindre un impact dévastateur sur le tourisme dans ce pays, qui avait mis des années à se remettre du massacre de 58 touristes étrangers dans un temple de Louxor en 1997 ». Précisant que « les autorités françaises ont en effet étudié avec les voyagistes des mesures visant à rapatrier d’Egypte les Français qui le souhaiteraient. Un vol affrété par des opérateurs a atterri à 7h25, a précisé un porte-parole d’Aéroports de Paris. Paris a aussi appelé ceux qui avaient prévu de se rendre les jours prochains à Charm el Cheikh et dans le Sinaï à reporter leur voyage ou à changer de destination.

Même constat en Algérie, où « les rares agences, à Alger ou à Oran, qui assurent la destination Egypte, ont reçu, au lendemain des attentats, des annulations de réservations. « La moitié de nos clients qui avaient réservé pour l’Egypte ont annulé leur voyage après l’annonce des attentats de Charm El-Cheikh », explique le gérant d’une agence de voyage au Quotidien d’Oran.

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