7 décembre 1989 – 7 décembre 2019 : il y a 30 ans, Mathieu Kérékou virait sa cuti


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Mathieu Kerekou
Mathieu Kerekou en 1976

Le 7 décembre 1989 constitue une date mémorable dans la marche du Bénin vers la démocratie. En effet, ce jour-là, le Président Mathieu Kérékou qui, 15 ans plus tôt déclarait avec force et vigueur que son pays basculait dans le socialisme, est obligé de reconnaître l’échec de la pratique du socialisme marxiste au Bénin et d’y renoncer publiquement. Nous vous proposons un retour sur ces heures chaudes de l’histoire politique béninoise.

Il était une fois le 26 octobre 1972

Admis dans le cercle des pays indépendants le 1er août 1960, le Dahomey (nom porté par le pays avant de devenir la République populaire du Bénin, le 30 novembre 1975) ne tarda pas à hériter du fameux surnom « Enfant malade de l’Afrique », tant l’instabilité politique y régnait.

De 1960 à 1972, le pays compta, en effet, 5 coups d’Etat réussis. Mais la particularité dahoméenne à l’époque, c’était que tous ces coups d’Etat s’étaient déroulés sans qu’une goutte de sang ne soit versée. C’est dans ce contexte de forte instabilité politico-institutionnelle déjà marqué par quatre coups d’Etat réussis qu’intervint un nouveau putsch, le jeudi 26 octobre 1972, qui propulsa devant la scène un chef de bataillon nommé Mathieu Kérékou, avec la mise en place du Gouvernement militaire révolutionnaire (GMR).

Le premier acte majeur du nouveau régime qui le distingua des précédents fut le discours-programme prononcé par le nouvel homme fort du pays, Mathieu Kérékou, le 30 novembre 1972. « La caractéristique fondamentale et la source première de l’arriération de notre pays est la domination étrangère. L’histoire de cette domination est celle de l’oppression politique, de l’exploitation économique, de l’aliénation culturelle, de l’épanouissement de contradictions inter-régionales et inter-tribales », avait clamé Mathieu Kérékou. Ces mots bien choisis qui posaient clairement le diagnostic des maux dont souffrait le Dahomey, avaient rencontré l’adhésion de tout le peuple qui le manifesta à travers de bruyantes ovations.

Et quand le nouveau Président poursuivit : « Il s’agira de liquider définitivement l’ancienne politique à travers les hommes, les structures et l’idéologie qui la portent. Comptons d’abord sur nos propres forces, sur nos propres ressources, sur l’initiative créatrice des larges masses dans notre lutte pour nous libérer de la domination étrangère, pour développer notre économie et pour donner à notre peuple la dignité et la personnalité d’un peuple libre (…)», c’était l’apothéose, le peuple était en délire. Il était convaincu que l’heure de la rupture avec l’ordre ancien avait enfin sonné.

Le 30 novembre 1974 : le basculement

La rupture annoncée ne manqua point. En effet, deux ans après le discours-programme, soit le 30 novembre 1974, le Gouvernement militaire révolutionnaire (GMR) décida de basculer dans le socialisme en pleine période de guerre froide. Ce jour, à Goho (lieu choisi à dessein puisque c’est l’endroit où le roi Béhanzin alla courageusement à la rencontre du chef des troupes coloniales, le colonel Alfred Amédée Dodds), dans la ville historique d’Abomey, Mathieu Kérékou prononça son deuxième discours majeur depuis son accession au pouvoir : le discours d’orientation nationale. Ainsi, après avoir dressé un véritable réquisitoire contre « l’idéologie coloniale et néo-coloniale », sur fond de rappels historiques, Mathieu Kérékou a solennellement proclamé que le Dahomey optait officiellement pour le socialisme : « Nous déclarons que la seule voie de développement historiquement juste pour le peuple dahoméen est la voie socialiste de développement et que c’est dans cette voie que la Révolution dahoméenne s’engage irréversiblement pour compter du 30 novembre 1974. Car nous savons que hors de cette voie, il n’y a aucune possibilité pour le Dahomey d’un développement rapide dans la dignité et l’indépendance nationale ».

Alea jacta est. Le pas était franchi. Ce fut la période de la nationalisation des entreprises privées et la création de sociétés étatiques. Les puissances occidentales tournèrent donc le dos au Bénin (le pays fut ainsi rebaptisé, le 30 novembre 1975) qui avait alors pour alliés principaux les pays de l’Est : l’Union soviétique, la Chine, Cuba, la Corée du Nord, etc.

Un effort d’industrialisation du pays a été engagé, même si beaucoup d’investissements se révélèrent être finalement des éléphants blancs. En effet, il y a eu de grands projets industriels comme la Société sucrière de Savè (SSS) co-fondée avec le Nigeria, la Société des ciments d’Onigbolo (SCO) dont les parts étaient également partagées entre le Bénin et le Nigeria.

Les événements du 16 janvier 1977 et le durcissement du régime

Le 16 janvier 1977, un groupe de mercenaires conduits par le célèbre Bob Denard investit Cotonou, au petit matin. L’opération commanditée par des opposants au régime avec en tête, l’ancien président Emile Derlin Zinsou, sous l’appui de pays comme le Maroc de Hassan II et le Gabon d’Omar Bongo, échoua lamentablement. Le commando qui atterrit à Cotonou essuya sur place une riposte à laquelle il ne s’attendait pas, en raison de la présence de militaires nord-coréens à la présidence le jour même.

Après ces événements, le régime devint beaucoup plus répressif, emprisonnant, torturant et assassinant toute personne soupçonnée d’opposition, ceux-là qu’il appelait les « anti-révolutionnaires » ou les « traitres à la nation ». Le Petit palais, le camp Guézo, l’hôtel PLM Alédjo, la prison de Ségbana devinrent de hauts lieux de la torture, des mouroirs où la moindre délation malveillante pouvait vous entraîner. Mais tout ceci n’a guère découragé les militants du parti communiste du Dahomey, principale force politique qui menait une lutte frontale avec le régime.

Et le 7 décembre 1989 arriva

Dans les années 1980, les régimes socialistes battaient de l’aile ; la chute du mur de Berlin, un des symboles de la guerre froide, dans la nuit du 8 au 9 novembre 1989 sonna comme un signal fort qui annonçait la fin prochaine de ces régimes. Pendant cette période et plus précisément à partir du milieu des années 1980, les effets de la crise économique des années 1970 et 1980 frappèrent de plein fouet le Bénin et vinrent aggraver les conséquences de la mauvaise gestion des 120 entreprises publiques et semi-publiques créées. Des détournements massifs des deniers publics furent aussi révélés, les caisses de l’Etat se vidaient, et le président Kérékou devint d’un coup plus favorable au retour des grandes puissances. C’est la France qui ouvrit le bal avec la visite de Guy Penne, conseiller aux affaires africaines de François Mitterrand, en décembre 1982. Le conseiller était allé préparer le terrain pour son patron qui effectua une visite d’Etat au Bénin du 15 au 17 janvier 1983. C’était la reprise de la coopération sur « des bases nouvelles saines », avait souligné le Président français.

Après François Mitterrand, c’était au tour du sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires africaines de rendre visite à Kérékou le 2 février 1983.

Sur le plan économique, la situation était de plus en plus intenable ; en 1989, l’Etat était en cessation de paiement, ce qui intensifia les mouvements sociaux. Toutes les couches de la société s’étaient engagées dans la lutte, des élèves aux fonctionnaires en passant par les étudiants, à telle enseigne que l’année scolaire et académique 1988-1989 a été purement et simplement invalidée. N’ayant plus d’autre alternative, Mathieu Kérékou dut signer le premier programme d’ajustement structurel avec les institutions de Bretton Woods au cours des réunions des 6 et 7 avril 1989. Au titre des exigences des institutions financières auxquelles le gouvernement béninois devait satisfaire, il y avait la renonciation au marxisme-léninisme.

Acculé de toutes parts, le régime dut s’y résoudre et proclama officiellement, le 7 décembre 1989, que le marxisme-léninisme n’était plus l’idéologie officielle de l’Etat béninois. A la même occasion, la convocation pour le premier trimestre de l’année 1990 d’une conférence nationale devant regrouper toutes les forces vives de la nation fut annoncée. Cette conférence tenue du 19 au 28 février 1990 fut couronnée de succès. Elle mit le Bénin en tête de peloton du mouvement démocratique en Afrique et fit des émules sur le continent.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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