23 mai, Journée nationale des victimes de l’esclavage colonial


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Le 23 Mai 2007 a lieu la Journée nationale dédiée aux victimes de l’esclavage colonial. Antillais, Guyanais, Réunionnais… sont conviés à de nombreuses manifestations en région parisienne dont le point d’orgue se déroulera, le soir, à Sarcelles. Une rencontre chargée en émotions où chacun aura la possibilité de retrouver la trace de ses ancêtres et l’origine de son nom grâce à la cérémonie baptisée : Lanmèkannfènég. Serge Romana, président du Comité Marche du 23 mai 1998 (CM98) qui coordonne cet événement, répond aux questions d’Afrik.com.

C’est avec fierté mais aussi avec tristesse que les fondateurs de la Journée nationale des victimes de l’esclavage colonial vont, une fois encore, honorer leurs ancêtres esclaves. Depuis 1998, Serge Romana – président de l’association CM98 – et ses associés se rassemblent entre « filles et fils d’esclaves nègres » pour, le long d’une journée, célébrer la mémoire de leurs aïeux.

Afrik.com : Vous avez organisé une marche le 23 mai 1998, à Paris, qui a réuni 40 000 personnes autour de la mémoire de leurs ancêtres esclaves. Par la suite, le CM98 a décidé de faire des cérémonies pour leur rendre hommage chaque année. Racontez-nous le début de l’aventure.

Serge Romana : Notre association a vu le jour en 1994. Elle s’appelait Bwafouyé. On était sept étudiants de formations diverses : médecine, génétique, histoire…et on se réunissait pour discuter en nous posant des questions identitaires qui traversent les Antilles et sa population. Car il faut le dire, les Antillais connaissent très rarement leurs ancêtres et donc la signification de leurs noms. Il y a là une absence totale d’affiliation. Nos recherches se basaient alors sur deux piliers : le premier était la bibliographie et le deuxième la généalogie. Notre objectif était de colorer cette généalogie en mettant des noms à notre histoire.

Afrik.com : Comment avez-vous eu l’idée de mettre en place une commémoration annuelle ?

Serge Romana : En fait, nous nous sommes rendus compte qu’il manquait un lien parental à la population antillaise, un lien que tout homme doit avoir avec ses aïeux. C’est pour cela que l’on a créé l’association à la base : c’est un véritable travail d’affiliation.

Afrik.com : Comment la cérémonie se déroule–t–elle ?

Serge Romana : Tout d’abord, il faut savoir que le vrai nom de la cérémonie est Lanmèkannfènég, ce qui signifie : lanmè (l’océan), kann (canne à sucre), fè (les chaînes), nég (nègre). Ces mots de la langue créole représentent les composantes de l’esclavage. Durant cette cérémonie, les familles présentes exposent leurs travaux généalogiques, parfois à travers des chants ou des poèmes. Les différents noms des parents esclaves et leurs numéros de matricule sont affichés. Mais il y a une grande particularité cette année. Nous avons recensé 6495 noms d’esclaves tous issus de la commune du Moule en Guadeloupe. Ainsi, 80 panneaux seront à la disposition des gens qui pourront découvrir le premier parent esclave à qui ils doivent leurs noms.

Afrik.com : Une date officielle pour commémorer l’abolition de l’esclavage a été fixée au 10 mai par le gouvernement. Pourquoi ne vous êtes-vous pas alignés sur cette date ?

Serge Romana : Pourquoi le gouvernement ne s’adapterait-il pas à la date du 23 mai plutôt? Je pense que le gouvernement n’a pas à nous dire où, quand, et comment honorer nos ancêtres. On ne dit pas aux Juifs quand ils doivent pleurer leur morts, ni aux Arméniens. En fixant cette date, la France ne protège pas la mémoire de nos parents mais cherche simplement à s’honorer elle-même d’avoir aboli l’esclavage en 1848. C’est une très bonne chose mais il ne faut pas mélanger les moments politiques avec le temps que nous prenons pour honorer notre famille, notre histoire.

Afrik.com : Que pensez vous du regard que porte la France sur l’esclavage ?

Serge Romana : Je pense que la France ne reconnaît pas son implication dans l’esclavage, comme pour la Shoah par exemple. De plus, elle ne donne pas aux Antillais, le statut de victimes de l’esclavage. Enormément de familles ne connaissent pas leurs ancêtres et ne savent pas non plus d’où proviennent leurs noms de famille. Il est important que la France prenne conscience de cela. Elle n’est pas assez impliquée dans la cause.

Afrik.com : Dans quel état d’esprit vivez-vous chaque année cette commémoration ?

Serge Romana : C’est un sentiment mitigé. C’est un mélange de peine, de fierté, d’intimité et de paix. Il y a un proverbe antillais qui dit vwé mizé pa mò. On pourrait traduire cette phrase par le fait qu’il faut vivre avec ses misères et que l’identité de chaque individu se construit grâce à ces misères justement. Tout cela pour vous dire que malgré la tristesse de l’esclavage, on ne doit pas oublier. L’émotion doit être une motivation pour aller de l’avant. A l’age de 14 ans, j’ai perdu mon père. J’ai eu beaucoup de mal pour me remettre de ce drame. Et c’est parce que j’ai découvert que mon père vivait en moi que j’ai pu aller de l’avant, et me battre pour lui. Pour l’esclavage c’est pareil : l’esclavage est en moi, et c’est ce qui me pousse à continuer de commémorer toujours dans la fierté.

Le programme des manifestations du 23 mai à Paris et en région parisienne sur le site du CM98

Leur point d’orgue est : la Cérémonie Lanmèkannfènèg, à 19h30, au Champs de Foire (Chapiteau), Rue des Refuzniks, à Sarcelles.

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