Sanou Mbaye : « La Chine a fait la différence en Afrique »


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Alors que l’Europe est en récession, la croissance en Afrique est, elle, en bonne santé avec en moyenne 7% par an. Toutefois, les populations, pour la plus grande partie, vivent toujours dans la misère. Comment expliquer ce paradoxe? L’économiste sénégalais Sanou Mbaye, auteur du livre « L’Afrique au secours de l’Afrique » et ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement (BAD), analyse la situation.

sanou_mbaye.jpgAfrik.com : Comment expliquez-vous la forte croissance en Afrique ces dernières années ?

Sanou Mbaye :
Plusieurs facteurs expliquent le dynamisme des économies africaines. Depuis les années 70, l’Afrique a mis en œuvre des politiques d’ajustements structurels. Cela fait donc trente ans qu’on contrôle les déficits, qu’on tente d’assainir les comptes publics. Cette politique d’assainissement a redonné un nouveau souffle aux économies africaines. Ce que les Grecs vivent actuellement, l’Afrique l’a vécu il y a trente ans ! Deuxièmement, l’autre facteur de croissance dans le continent est dû au fait que l’Afrique a également bénéficié des investissements directs à l’étranger, ce qui a entraîné un environnement économique beaucoup plus rentable, augmentant le taux de profit et la compétitivité.

Afrik.com : Peut-on dire que la présence des pays émergents, comme la Chine en Afrique, a dynamisé les économies africaines ?

Sanou Mbaye :
Oui, l’entrée des pays émergents dans le continent a changé la donne. La chine a fait la différence en Afrique. Elle a construit des infrastructures, des routes, des chemins de fer. D’ailleurs, elle est en train de construire un chemin de fer qui partira de l’ Éthiopie jusqu’à Djibouti ! Actuellement, il faut savoir que parmi les 19 pays qui ont les économies les plus performantes dans le monde, 10 sont africains ! Je parle particulièrement des pays de l’Afrique de l’Est et Australe, tels que : la Tanzanie, l’Éthiopie, le Kenya, le Rwanda, le Burundi, le Ghana, le Nigeria, l’Angola, l’Afrique du Sud et Djibouti. La Chine en particulier mais aussi les autres pays émergents ont beaucoup investi dans ces pays. Les Chinois ont opté pour une stratégie à long terme dans le continent. Ils préfèrent avoir un marché unifié en Afrique.

Afrik.com : Qu’entendez-vous par « marché unifié » ?

Sanou Mbaye :
La philosophie occidentale en Afrique est née à Berlin. Elle est basée sur la fragmentation. En clair, diviser pour mieux régner. La Chine, elle, se base sur l’esprit de Bandung. Elle a compris très vite que pour se développer elle avait besoin de développer l’Afrique tout comme l’Afrique a besoin d’elle pour son développement. Dès ses premiers pas en Afrique, elle a incité les Africains à s’affranchir des Occidentaux. Il y a eu beaucoup d’évolutions positives dans le continent ces dernières années. Il y a encore bien évidemment de multiples choses à revoir mais il y a eu des changements positifs. C’est incontestable. Les passations de pouvoir se sont bien déroulées dans de multiples pays, même au Nigeria, hormis quelques heurts.

Afrik.com : Quels sont les secteurs qui génèrent le plus de croissance dans le continent ?

Sanou Mbaye :
Parmi les facteurs de croissance, il y a l’explosion de la télécommunication en Afrique. Pas une société de télécommunication occidentale daigne ne pas s’intéresser à l’Afrique. C’est un secteur très dynamique dans le continent qui génère des emplois. D’ici les 25 ans à venir, certains pays africains seront au même niveau que des pays occidentaux comme le Canada ou encore l’Italie ! L’Afrique créera alors des centaines de millions d’emplois. Au moins 500 milliards de dollars seront investis dans le continent. En 50 ans de domination, on a malgré tout pu développer une économie viable ! En 50 ans, l’Afrique est devenue le deuxième pôle de croissance dans le monde après l’Asie !

Afrik.com : L’Afrique se développe. Elle connait de nouvelles dynamiques économiques. Alors pourquoi tant de populations vivent toujours dans la misère ?

Sanou Mbaye :
Pour que cette croissance économique soit aussi bénéfique aux populations, il va falloir du temps. Il faut de la patience et beaucoup de travail. C’est sur le long terme, d’ici environ une vingtaine d’années, qu’on devrait voir les retombées positives de la croissance en Afrique. N’oublions pas que l’ouverture économique de la Chine s’est faite dans les années 80. Donc il a fallu 30 ans à la Chine pour qu’elle en soit arrivée là où elle est aujourd’hui. Mais en Afrique, il faut que cette croissance soit de qualité. Il faudra que les bénéfices soient redistribués de façon équitable. Cette partie est le domaine des politiques. A eux de faire le nécessaire pour ne laisser personne pour compte. Il faut que les États africains négocient, discutent avec les pays émergents qui ont compris que le développement de l’Afrique était aussi dans leur intérêt. Lorsque les pays européens ont décidé d’aider le Portugal, ou encore, l’Espagne à se développer, ce n’était pas par bonté de cœur mais parce qu’ils avaient compris que s’ils prêtaient main forte à ces pays, c’était aussi dans leur intérêt !

Afrik.com : La Chine est vivement critiquée pour son expansionnisme en Afrique, notamment par les Occidentaux qui l’accusent de tirer profit des ressources du continent. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Sanou Mbaye :
On ne peut pas reprocher à la Chine les insuffisances de l’Afrique ! Il faut que les Africains eux-mêmes s’organisent mieux pour avoir des stratégies de développement d’ensemble sur le long terme. Mais le problème c’est que l’Afrique n’a pas une stratégie d’ensemble pour son développement. En Afrique, d’une région à une autre, les réalités sont différentes. Les pays de l’Afrique de l’Est et Australe sont largement en avance en matière de dynamisme économique par rapport aux pays de la zone franc. Actuellement, il y a deux Afrique qui évoluent à deux vitesses. Les pays de la zone franc sont exclus d’une grande partie des investissements des pays émergents alors que ceux de l’Afrique de l’Est et Australe sont constamment en progrès.

Afrik.com : Pour quelles raisons les pays de la zone franc peinent à sortir de leur marasme économique contrairement à leurs voisins ?

Sanou Mbaye :
La principale cause de leurs difficultés économiques est due à leur politique économique monétaire, toujours dictée par la France. Ces pays sont le pré-carré de la France, raison pour laquelle les pays émergents n’y investissent quasiment pas. Les pays de la zone franc ont le taux de change le plus élevé dans le monde !

Afrik.com : Pourquoi le taux de change des pays de la zone franc est si élevé?

Sanou Mbaye :
Ce taux de change très élevé permet aux entreprises françaises telles que Bouygues, Société générale, BNP Paribas, Bolloré d’éviter toute dépréciation de leur gain. Le deuxième grand problème du franc CFA, c’est le fait qu’il soit librement convertible sans contrôle du taux de change. La convertibilité d’une monnaie est faite pour les pays développés. Il n’est pas acceptable que les pays sous-développés aient une monnaie convertible ! C’est contraire à toutes les règles économiques ! Les monnaies des BRICS ne sont pas convertibles. La convertibilité du Franc CFA, qui perdure depuis les indépendances, permet aussi aux élus de s’adonner librement à la corruption sans être inquiétés. Partout en Afrique, il y a un renouveau économique, notamment dans l’Est du continent, sauf dans la zone franc. Pis les taux d’intérêts dans la zone franc avoisinent les 18%. Comment voulez-vous développer les pays qui ont adopté le franc CFA avec de telles mesures ! C’est impossible ! Cette monnaie plombe leur économie ! Les conséquences de tout cela sont l’accroissement de la pauvreté et de la misère.

Afrik.com : Pourtant la diaspora injecte beaucoup d’argent dans les pays de la zone franc. Est-ce que ces investissements contribuent au développement du continent ou ils assurent simplement les besoins primaires au quotidien de ceux qui en bénéficient ?

Sanou Mbaye :
Les premiers investisseurs directs en Afrique sont les migrants. C’était aussi le cas de l’Asie et de l’Amérique latine. Les pays émergents de ces zones se sont développés grâce aux investissements de leurs immigrés. Pourquoi cela ne fonctionnerait pas en Afrique ? L’Afrique ne fait pas exception à la règle ! Seulement, il faut encore du temps pour qu’on puisse analyser dans les années à venir les effets des investissements de la diaspora africaine sur le continent.

Afrik.com : L’Afrique est le continent qui compte le plus de jeunes. Mais une grande partie de la jeunesse est au chômage. Quelles sont les solutions qui permettraient de changer leur situation ?

Sanou Mbaye :
Il y a un milliard de jeunes sur le marché du travail en Afrique. Pour sortir du chômage, ces jeunes ont besoin d’être formés. Donc il faut améliorer la formation pour que la situation change. Actuellement, il y a 1000 créations d’emplois scientifiques. Il faudrait en créer 10 000 par an. La population africaine augmente. Je ne pense pas qu’il faille réduire le taux de natalité dans le continent pour améliorer la situation des populations comme le pensent certains observateurs. Au contraire, c’est une bonne chose que la population augmente car le continent est même sous-peuplé compte tenu de son histoire. L’augmentation de la population a donné naissance à l’urbanisation massive. Pour répondre aux besoins de tous, il faut construire plus de routes, d’hôpitaux… Une dynamique qui permet la croissance économique et le développement.

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