RDC : Kamerhe offre un troisième mandat à Kabila


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Coup de tonnerre en RDC. Grâce à la révision complète du fichier électoral concédée à la majorité présidentielle par Vital Kamerhe et la frange de « l’opposition » participant au dialogue, Joseph Kabila se voit octroyer de fait un troisième mandat, sans élection et en dehors des clous de la Constitution. Pour vendre ce projet à l’opinion, un scénario théâtral a été mis sur pied avec, dans les rôles principaux, quatre acteurs : Léonard She Okitundu et Alexis Thambwe Mwamba pour la majorité présidentielle, Vital Kamerhe pour l’opposition, et Edem Kodjo, le facilitateur du dialogue.

Rocambolesque. C’est le qualificatif qui sied à la pièce de théâtre qui se déroule actuellement à l’occasion de la deuxième semaine du dialogue convoqué par Joseph Kabila pour tenter d’apporter une réponse à la crise politique en RDC… Ou plutôt pour avaliser le glissement destiné à permettre au chef de l’Etat congolais de se maintenir au pouvoir au-delà du terme constitutionnel. Hier, la frange de l’opposition présente au dialogue, l’UNC en particulier, a entériné le glissement tant souhaité par la MP. Cela transparaît au détour d’une phrase sibylline, glissée dans le communiqué de Vital Kamerhe, diffusé il y a quelques heures : « l’opposition note la nécessité de la refonte du fichier électoral. »

Beaucoup pensaient que le glissement du calendrier était inévitable, et que la reconnaissance de cette fatalité était le but recherché par la MP à travers ce dialogue. Un accord informel ayant été trouvé il y a quelques jours par certaines de ses parties prenantes, il ne restait plus qu’à trouver le bon modus operandi pour faire avaler la pilule à l’opinion publique.

C’est ce modus operandi qui a été défini lors d’une réunion qui s’est tenue le dimanche 11 septembre, au soir, en présence notamment de Léonard She Okitundu, membre du bureau politique de la MP, d’Alexis Thambwe Mwamba, le ministre de la Justice, et de Vital Kamerhe, le leader de l’UNC. Au final, il en est ressorti le script d’une pièce savamment orchestrée dont voici les différents actes.

Acte 1 : feindre un clash durant le dialogue sur un point secondaire afin de donner une apparence de débats âpres entre la MP et l’opposition. Cet incident portera, comme il en est convenu, sur l’ordre des élections à organiser : la MP soutenant que la présidentielle doit avoir lieu après les autres scrutins ; l’opposition affirmant que cette élection doit se tenir en premier.

Acte 2 : ce clash devant donner lieu à une suspension des débats, c’est là qu’Edem Kodjo, le facilitateur de l’Union Africaine (dont l’utilité a, depuis le départ, été sujette à caution), entre en scène pour rapprocher les points de vue des deux parties.

Acte 3 : le facilitateur annonce qu’un accord a pu être trouvé. La MP ayant accepté d’organiser la présidentielle avant les autres scrutins. Cris de victoire dans les rangs de « l’opposition », notamment chez les partisans de Vital Kamerhe.

Acte 4 : l’ordre des élections, qui permet de masquer le reste (date effective de l’élection présidentielle, modalités de la transition avec ou sans Kabila), sert de socle à un accord politique issu du dialogue.

Acte 5 : Immédiatement à l’issue de ce dialogue, un nouveau gouvernement de « consensus » ou d’ « union nationale » est formé. Joseph Kabila demeure Président et se maintient à la tête de la RDC au-delà du 19 décembre 2016 et Vital Kamerhe devient son Premier ministre.

Dans ce scénario, il y a trois gagnants :

 La MP : Joseph Kabila se voit offrir sur un plateau de commencer un troisième mandat… sans élection et en dehors du strict cadre constitutionnel. En effet, une révision complète du fichier électoral, tel qu’il a été acté, pourrait prendre de nombreux mois voire plusieurs années, compte tenu de la taille du pays et du manque criant d’infrastructures. Il équivaut, de fait, à un recensement de la population, une option qui avait été vivement débattue et écartée de haute lutte en décembre 2014 et janvier 2015 à l’occasion des débats sur la révision de la loi électorale.
L’expérience-pilote actuellement en cours dans l’une des ex-provinces de l’Equateur montre d’ailleurs, de façon empirique, la difficulté à tenir les délais en pareille circonstance. Le Rassemblement, qui réunit les principaux partis de l’opposition en RDC (l’UDPS d’Etienne Tshisekedi, le G7 qui soutient Moïse Katumbi, etc.), plaide, lui, depuis le départ pour une révision partielle de ce fichier (avec l’inclusion des nouveaux majeurs et des Congolais de la diaspora, ainsi que le retrait des personnes décédées). Une opération réalisable en trois mois, renouvelable une fois, selon l’OIF.

 Vital Kamerhe : le leader de l’UNC veut voir, à travers l’incident de séance survenu hier, une preuve de l’utilité de sa participation au dialogue et de son absence de complaisance vis-à-vis de la Majorité. Mieux, à l’issue du dialogue, il obtient le fauteuil de Premier ministre, remplaçant ainsi Augustin Matata Ponyo.

 Edem Kodjo : le facilitateur doit être celui par qui le rapprochement des points de vue est advenu et, in fine, celui grâce à qui un accord politique a finalement été trouvé à l’issue de ce dialogue. Cet incident permet donc de redorer son blason et de justifier de son utilité, voire son impartialité, toutes deux décriées jusque là par l’opposition.

Comédie, théâtre d’ombres, etc. L’épilogue de ce scénario « cousu de fil blanc » n’est pas du goût de tout le monde. Dans l’Opposition certes (Jean-Marc Kabund-a-Kabund, le secrétaire général de l’UDPS, a évoqué une « comédie » qui, selon Martin Fayulu, le leader de l’ECIDé, fait de la RDC « la risée du monde »). Mais aussi dans les rangs de la Majorité. L’arrivée potentielle de Vital Kamerhe à la Primature fait grincer beaucoup de dents. Dans l’entourage des caciques du PPRD et de la MP comme Evariste Boshab, Aubin Minaku, Tryphon Kin-Kiey Mulumba ou encore Lambert Mende, on évoque une « prime à la trahison ». « Faut-il trahir pour être promu ? », fait-on mine de s’interroger avec agacement dans l’entourage du ministre de l’Intérieur.

Un autre motif de complainte porte sur le poids politique réel de Vital Kamerhe, perçu dans les rangs de la MP comme une simple caution censée démontrer le caractère inclusif du dialogue. « Kamerhe nous avait promis de nous ramener à la table de négociation le MLC et la Dynamique de l’Opposition, ainsi que de démembrer le G7. Il a demandé deux jours de suspension du dialogue pour cela. Mais il n’en a rien été. Au contraire, ce sont les rangs de l’UNC qui se sont dégarnis », peste un des proches du ministre de la Justice Alexis Thambwe Mwamba qui parle d’une « surprime Kamerhe ». Thambwe qui, au passage, revendique aussi le poste de Premier ministre au motif que durant les derniers mois, il aurait été celui à avoir le plus « mouillé le maillot. » Ambiance.

Au final, la tragi-comédie qui se joue actuellement à Kinshasa fait peut-être trois gagnants (Kabila, Kamerhe et Kodjo). Mais elle pourrait faire aussi deux perdantes : l’opposition frustrée d’élections et la démocratie congolaise en panne…

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