Maroc : le Médiateur et l’administration : analyse


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En 2016, l’Institution du Médiateur du Royaume n’a pu résoudre que 14 % des plaintes déposées et justifiées entrant dans le champ de ses attributions. Bon nombre d’administrations méprisent les recommandations de l’ombudsman national : l’Office de développement de la coopération en est un exemple.

Maroc : le Médiateur et l’administration : les deux faces d’une même pièce : l’État

Les rapports de l’Institution du Médiateur du Royaume (IMR) se suivent et se ressemblent. Chaque année, ils sont présentés au roi et font l’objet d’une publication au Bulletin officiel. Souvent, une rencontre avec les représentants de la presse nationale est organisée afin de présenter les conclusions de ces rapports. Le Médiateur du Royaume anime ces rencontres. Il ne mâche pas ses mots pour apostropher ouvertement les administrations, à l’origine du plus grand nombre de plaintes. Les rapports, rédigés en arabe et en français, sont étayés par des chiffres, des statistiques et des diagrammes en couleur, qui se révèlent on ne peut plus clairs. Ils sont accablants et visent frontalement des ministères, des collectivités territoriales et des administrations publiques. Pour la plupart, les plaignants sont des citoyens marocains.

Citons le cas de l’Office de développement de la coopération (ODCO) et traitons-le dans le contexte de création de l’IMR.

Contexte historique de la naissance de l’IMR
L’IMR est née le 17 mars 2011, dans le contexte du « Printemps arabe ». L’heure est grave, très grave, et les revendications de la rue, relayées par le « Mouvement du 20 février », sont politiques. Elles exigent des réformes constitutionnelles et imposent le changement. C’est dans ce contexte particulier et tendu que le souverain a annoncé huit jours plus tôt, le 9 mars, le remplacement de la Constitution. L’objectif est de répondre aux protestations. Le 1er juillet de cette même année, une nouvelle Constitution est adoptée.

Cette loi suprême constitutionalisera l’IMR et la définira comme étant « une institution nationale indépendante et spécialisée qui a pour mission, dans le cadre des rapports entre l’administration et les usagers, de défendre les droits, de contribuer à renforcer la primauté de la loi et à diffuser les principes de justice et d’équité, et les valeurs de moralisation et de transparence dans la gestion des administrations, des établissements publics, des collectivités territoriales et des organismes dotés de prérogatives de la puissance publique ».

L’IMR, qui a remplacé son prédécesseur Diwan al Madhalim (Cabinet des doléances) se veut donc « une véritable institution du Médiateur du Royaume, conforme aux pratiques modernes internationales adoptées par les Médiateurs des pays avancés dans les domaines de la démocratie et de la gouvernance en matière des droits de l’homme ».

Le 18 mars 2011, Mohammed VI nommera Médiateur du Royaume Abdelaziz Benzakour, avocat de profession et ancien bâtonnier du barreau de Casablanca. Le nouvel ombudsman possède un parcours professionnel impressionnant et un curriculum vitae élogieux.

En effet, « l’ombudsman doit être choisi avec tant de soin », lit-on dans les Annales, « que son honnêteté, son intégrité, sa compétence ou ses mobiles demeurent toujours au-dessus de tout soupçon. Cela revient, en fait, à demander la perfection ou quelque chose de très près. Mais c’est l’idéal vers lequel il faut tendre ».

Toutefois, malgré ces compétences rares, l’Administration marocaine ne cessera depuis sept ans de donner du fil à retordre au Médiateur du Royaume.

Devant une telle situation et afin d’élargir ses prérogatives, un projet de loi a été présenté au Conseil du gouvernement par le ministre d’État chargé des droits de l’homme. Selon le quotidien le Matin du 19 mai 2017, « le projet vise à réorganiser cette institution importante de manière à permettre au Maroc de renforcer la médiation institutionnelle en tant que moyen de défense de la légalité et de refuge contre tout abus ou toute décision de l’Administration qui serait contraire à la loi et aux principes de justice et d’équité ».

La nouvelle loi accorde des pouvoirs plus étendus à l’IMR, lui permettant d’exécuter des jugements qui traînent, d’avoir des réponses dans des délais raisonnables et aussi la possibilité de saisir le Parquet en cas de non-respect de la loi par l’administration réfractaire.

L’ODCO, une administration réfractaire

L’IMR connaît l’ODCO et l’ODCO connaît l’IMR. Parmi les accusations prononcées à son encontre, on trouve une plainte particulièrement édifiante : il s’agit d’un dossier déposé le 21 mars 2013 à l’IMR et enregistré sous le numéro 3432/13. L’objet de la plainte est une rupture unilatérale et abusive d’un contrat de collaboration tripartite. La finalité de cette alliance – qui engageait le ministère de l’économie sociale et solidaire (ESS), l’ODCO et un consultant – est l’élaboration d’un guide de gestion destiné aux coopératives nationales. Les faits remontent à 2012.

À côté de l’expert chargé de rédiger le guide de gestion de coopératives, le ministère de l’ESS porteur du projet a décidé d’impliquer l’ODCO, en sa qualité d’entreprise publique chargée de faire appliquer la politique gouvernementale en matière de développement des coopératives marocaines. L’ODCO est sous la tutelle du ministre de l’ESS. Celui-ci est de fait le président de son conseil d’administration.

L’ODCO s’est donc engagé à financer le projet, à créer les conditions favorables pour sa réalisation, et à régler les honoraires de l’expert. Ceci selon un calendrier bien ficelé. Curieusement, ce projet sera suspendu dans sa phase finale de réalisation par le seul directeur de l’ODCO. La rupture unilatérale du contrat a été jugée indubitablement abusive par le consultant, qui a saisi l’IMR.

Le 7 novembre 2014, l’IMR a tranché en sa faveur en sommant l’ODCO de réparer le préjudice causé et d’indemniser le consultant. Ce dernier n’est toujours pas dédommagé et ledit guide ne verra pas le jour. Le directeur de l’ODCO ne réagira point, ni à la décision exécutoire de l’IMR, ni aux attentes du secteur coopératif national.

Les délais d’exécution accordés par l’IMR ont expiré depuis plus de trois ans, sans que l’ODCO ne daigne régulariser ce dossier qui éclabousse sa réputation. Plusieurs rappels ont été adressés au directeur de l’ODCO et à son supérieur hiérarchique, sans résultat. Le directeur de l’ODCO, son supérieur hiérarchique président du conseil d’administration et ministre du gouvernement en charge de l’ESS, engagent solidairement l’État. La faute commise retient donc la responsabilité contractuelle de l’État. Les signatures apposées sur le contrat rompu abusivement sont celles de l’État. Mais tout ce beau monde restera muet.

La morale de la fable

Il est clair que l’administration nommée ODCO se comporte comme si elle se croyait au-dessus des lois. Elle authentifie, à coup sûr le célèbre vers de Jean de la Fontaine : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Les preuves :

Les discours du roi, nombreux, qui condamnent solennellement les défaillances de l’Administration, ne semblent pas trouver écho à l’ODCO.

Les recommandations de l’IMR datées du 7 novembre 2014, pourtant revêtues de la forme exécutoire telle une grosse, ne sont pas considérées.

Les recommandations du rapport 2014 de la Cour des comptes qui pointe les défaillances de l’ODCO ne paraissent pas, non plus, le faire réagir.
Il n’en est rien des rappels à l’ordre incessants, et l’attitude de l’office en charge des coopératives les condamne. N’est-il pas supposé les promouvoir ? Un guide de gestion pour coopératives, pourtant programmé depuis 2010, n’est-il pas opportun ?

L’ODCO a fait d’une pierre deux coups : le plaignant n’a pas obtenu réparation, et les coopératives n’auront pas leur manuel de gestion. Deux affaires pour le prix d’une ! Si l’ODCO est capable de mépriser un partenaire contractuel, il le sera également vis-à-vis des coopératives – sa raison d’être.
Or si l’on veut que, dans notre pays, la démocratie conserve tout son sens, il est urgent que les droits civils et civiques soient protégés. « Lorsqu’un fossé de malentendus sépare l’administré des administrateurs, il en résulte un malaise. C’est avant tout à ceux qui font partie de l’Administration qu’il incombe de combler la brèche. Ils doivent non seulement se garder de violer sciemment les droits des citoyens, mais aussi être à l’affût des façons dont ils les enfreignent sans s’en rendre compte. »

Youssef Alaoui Solaimani, Consultant

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