La Guyane : une poudrière française


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L’année 2013 commence sous un climat tendu dans le plus grand département français. Plusieurs conflits culminent à travers ce territoire aussi vaste que le Portugal.

Premier symptôme : la fièvre amérindienne. Dans la République souveraine, c’est un symbole très fort qui est contesté par les premiers habitants de la terre guyanaise, les Amérindiens remettent en cause l’Ecole telle qu’elle veut leur inculquer ses modèles.

Les Amérindiens demandent le départ des enseignants de leur village.
A Camopi, enclave amérindienne au sud de la Guyane, qui connait une inquiétante vague de suicides d’adolescents depuis 2010, les parents d’élèves signent une pétition contre les enseignants, venus de Métropole, accusés de vouloir changer les habitudes alimentaires, vestimentaires, sociales, et les coutumes des enfants qu’ils sont sensés enseigner et non éduquer.

Soutenu par le nouveau maire, le document a outré les autorités éducatives, qui y voient une initiative calomnieuse. Pourtant, les faits sont là : il existe un malaise profond chez les communautés autochtones de Guyane, las d’être parquées dans des réserves sans perspective d’avenir, sans politique réelle de préservation de leurs traditions, écartelées entre le fléau de l’orpaillage clandestin qui pollue les rivières, les zonages territoriaux décidés par décret, et le pillage de leurs savoirs et de leurs remèdes par des mercenaires à la solde de multinationales.

Les jeunes et moins jeunes noient leur désarroi dans l’alcool, qui est une autre forme de suicide. Le Recteur d’académie de passage dans la commune de Camopi la semaine dernière, n’a pas apporté de solutions décisives, tandis que les professeurs, de bonne ou mauvaise foi, lancent des contre-pétitions, et des grèves qui paralysent l’école, aggravant la fracture sociale.

La Charte de la discorde.

Le Parc Amazonien de Guyane, créé en 2007, dans la suite du sommet de Rio de 1992, après plusieurs écueils liés au rejet des projets successifs par les communes, et les communautés autochtones amérindiennes et noir-marrons, a vocation à gérer 2 millions d’hectares de forêt et de fleuves soit un tiers du territoire, constituant de fait l’un des plus grands parcs naturels européens.

Afin d’asseoir une légitimité, il lance un projet de charte visant à organiser son déploiement. En décembre 2012, le Conseil consultatif des peuples amérindiens et bushinengues rend un avis défavorable sur ce document. Il dénonce la non-prise en compte des droits des populations autochtones (en particulier relatifs à la reconnaissance des langues, tel que prévue par le Traité de Rio), le pillage organisé des savoirs traditionnels par les recherches scientifiques, l’absence d’offre de formation des jeunes, l’accès à des activités aurifères, et l’absence de procédure de concertation et de co-décision avec les autorités locales et coutumières sur les zonages du Parc, etc.

La semaine dernière, le Parc a lancé une consultation publique, tandis que le représentant amérindien du Comité scientifique en charge de rédiger le document, avait démissionné. Il a rejeté, dans les médias, un texte vidé de toute sa substance originelle. D’autres communes rejettent ou émettent de sérieuses réserves sur cette charte.

Le permis de trop

Cette situation délétère s’est aggravée avec l’octroi d’un permis par un arrêté du Ministre du Redressement productif paru au Journal Officiel le 11 décembre 2012, qui accorde à la société REXMA un permis d’exploitation minière de 10 km2 sur la rivière Limonade à quelques kilomètres du bourg de Saül, commune du centre de la Guyane, à l’intérieur même du Parc amazonien, sur une zone interdite à ce type d’activités par le Schéma minier.

Cette décision, prise sans consultation ni concertation avec les habitants et la municipalité de la région, a soulevé un flot incessant de protestations en Guyane, en France mais aussi dans le monde. Le Jardin Botanique de New York a ainsi dénoncé dans une lettre au préfet en date du 24 décembre, une décision grave « qui semble être une violation des lois promulguées pour protéger cette zone et d’autres endroits dans le sud de la Guyane française ».

L’affaire soulève d’autant plus de tumulte, que le PDG de la société ayant reçu le permis est cité à comparaître dans les jours prochains devant le tribunal correctionnel de Cayenne pour « escroquerie, tromperie et détournement de gages ». En outre, l’Union des Clubs de la Presse de France et francophones (UCP2F) a apporté ce week-end, son soutien aux journalistes menant une enquête sur ce dossier, mais qui ont été priés par leur directeur de publication de retarder la publication de l’article.

Si l’exploitation aurifère légale est une nécessité pour endiguer l’orpaillage clandestin, dont les victimes civiles et militaires sont nombreuses, la société guyanaise s’interroge sur la pertinence de la conciliation d’un projet de développement durable avec des activités industrielles, où elle n’a pas son mot à dire. L’imposition d’un schéma de développement minier par décret, malgré son rejet par l’intégralité des autorités et collectivités locales de Guyane au début de l’année dernière, avait déjà donné le ton d’une rupture entre les politiques de l’Etat et les intérêts des populations et des opérateurs économiques locaux.

Au cœur de la frustration qui transparait au fil des pétitions et prises de position publiques, se manifeste le sentiment que l’exploitation des ressources du territoire guyanais au bénéfice des populations vivant sur le territoire est une chimère. Quand elles ne sont pas livrées à des pilleurs clandestins, ces ressources sont sanctuarisées, mises sous cloche, ou vendues à des opérateurs sans cahiers des charges concertés localement.

Les poissons de la colère

C’est dans ce contexte, que vendredi 25 janvier 2013, les pêcheurs guyanais, après plusieurs semaines de protestation, ont réduit en lambeaux le drapeau tricolore sur le parvis de la Préfecture. Ils reprochent aux autorités de ne pas prendre les mesures adéquates pour protéger la ressource halieutique et les personnes, face à un pillage de la part des armateurs étrangers, du Brésil, du Suriname ou du Japon.

Le secteur de la pêche, déjà sinistré par des difficultés de structuration, s’effondre donc sous le coup des filets étrangers. Ayant jugé les réponses du préfet, insatisfaisantes, voire humiliantes, les pêcheurs ont entamé un blocus, entré en vigueur dimanche dernier. Plus aucun poisson local n’est disponible sur aucun étal, aucun commerce, aucune grande surface du territoire guyanais. Certains opérateurs se demandent désormais s’il n’y a pas une volonté de noyer le poisson local au profit des productions importées. Dans le même temps, beaucoup s’interrogent sur l’impact de l’exploration pétrolière sur la ressource, annonçant là encore d’autres facteurs de tension.

Deux poids, deux mesures

Sur les trottoirs et dans les halles de marché, les citoyens expriment leur révolte. De manière récurrente, ils dénoncent l’attention réservée à la base spatiale, protégée par de multiples corps armés, bénéficiant de l’internet haut débit, de l’énergie fournie par le barrage de Petit-Saut (dont le lac de rétention est le plus grand de France), quand le reste du pays est à l’âge de pierre numérique et que plusieurs milliers de coupures électriques impactent de manière nuisible l’économie, de telle sorte que des comités de protestation socioprofessionnels et d’usagers se sont constitués depuis 2010.

D’ailleurs, Kourou cristallise les tensions qui traversent la société guyanaise. Les descendants des communautés déplacées, implantées, pour servir le projet spatial, forment une masse innombrable de jeunes au bord de la crise de nerfs. Comme en 2007, lorsqu’une ratonnade menée par une trentaine de légionnaires dans les rues de la ville, contre les jeunes noirs, en avait conduit plusieurs dizaines à l’hôpital.

Plus récemment encore, des poussées de violences urbaines inter-ethniques, dissimulant mal le désarroi social d’un avenir sans perspectives pour une jeunesse dont la moitié est au chômage, et des jets de pierre sur les terrasses de café contre des badauds de couleur blanche, illustrant le sentiment d’apartheid qui règne. D’ailleurs, la situation de la ville spatiale est telle, que les Assises de la sécurité réunies par le maire en novembre dernier, ont abouti à décréter un couvre-feu pour les mineurs.

Les moissons du désespoir

La Guyane est une poudrière qui cumule les drames. Le ras-le-bol populaire atteint ainsi des pics quand on parle de l’insécurité galopante: le classement du nombre d’homicides volontaires par rapport à la population globale de chaque territoire publié l’an dernier par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, place la Guyane au 52ème rang mondial avec 14,6 homicides pour 100 000 personnes, et la France hexagonale à la 163ème place.

Associatifs, ONG, artistes, ou intellectuels, dénoncent ces signes d’une déliquescence sociale, induite par les incohérences cumulées des politiques publiques locales et nationales, et l’absence de projet novateur pour un territoire dont les potentiels le livrent à tous les trafics. C’est le même territoire qui s’était retrouvé bloqué par des semaines de protestation et de barrages populaires en 2008, contre le prix du carburant et la vie chère.

C’est aussi ce territoire qui a choisi en 2010, une réforme institutionnelle de ces institutions locales a minima (une fusion technique des assemblées départementale et régionale, plutôt qu’une autonomie de compétences élargie), dont les limites sont déjà atteintes, avant même son entrée en vigueur (prévue en 2015).
Si les revendications se multiplient, et les protestations se formalisent, donnant une place nouvelle à la société civile, le fait est que la Guyane française est à un tournant. Les processus institutionnels récents ont été validés par à peine 15 000 habitants, dans un pays dont la moitié des 250 000 habitants a moins de vingt ans, et n’est pas native du territoire. Autant dire, que les choix d’aujourd’hui sont déjà obsolètes.

De fait, les tensions actuelles traduisent le bouillonnement d’un confetti de l’ancien Empire colonial français aux prises avec les défis de la mondialisation et des crises identitaires et socio-économiques du 21ème siècle. Les solutions apportées par le gouvernement mais aussi par les décideurs locaux paraissent bien trop administratives et palliatives, alors que l’impact du choc générationnel cumulé au choc interculturel et à l’absence d’espaces publics d’expression et de contre-pouvoirs établis (médiatique, numérique, syndical, social, etc.), commence à peine à se faire sentir.

Ayant tardé et tardant encore à donner aux nouvelles générations, une éducation, une formation et un épanouissement inspirés et nourris par la réalité historique, géographique et environnementale locale, les autorités ont planté les germes du désespoir, et ce faisant, manqué, encore une fois, l’édification d’un projet durable au bénéfice de tous sur un territoire abritant l’une des plus grandes biodiversités de la planète et des ressources pouvant largement satisfaire une population de quelques centaines de milliers d’âmes. De fait, l’actualité explosive des derniers jours confirme que l’on ne récolte jamais que ce que l’on a semé.

Par Keita Stephenson

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