Cameroun : une campagne contre le « repassage » des seins


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Un fer à repasser
Un fer à repasser

Le Réseau national des associations de tantines a lancé, le 30 mai au Cameroun, une grande campagne de sensibilisation contre le repassage des seins. Cette pratique est particulièrement répandue dans les villes, où elle est censée retarder l’activité sexuelle. La coutume est désastreuse tant au niveau physique que psychologique.

« A 12 ans, quand j’ai eu un peu de seins, mes parents étaient inquiets. Ils avaient peur que j’attire les garçons. Un jour, ma mère m’a appelée et elle a commencé à me masser les seins avec une pierre chauffée dans le feu. Elle avait un chiffon pour ne pas se brûler et a posé la pierre brûlante sur moi. Ça faisait très mal. Quand elle massait, je criais tellement que les voisins venaient voir ce qui se passait dans la cuisine », raconte Amélie. Cette jeune Camerounaise de 24 ans, traumatisée, a subi pendant trois mois, matin et soir, le « massage » des seins, également appelé le « repassage ». Une pratique, notamment constatée au Togo et en Guinée, qui vise le plus souvent à empêcher le développement de la poitrine chez les adolescentes pour retarder leurs premiers rapports sexuels. Parce que les conséquences physiques et psychologiques se font de plus en plus jour, le Réseau national des associations de tantines (Renata) a lancé, le 30 mai, une campagne de sensibilisation.

« La campagne va durer un an et sera menée dans tout le Cameroun, explique Bessem Ebanga, secrétaire exécutive du Renata. Les communicateurs traditionnels présents le 30 mai sont repartis avec des spots de télévision et des dépliants pour faire circuler l’information en milieu rural. Dans les villes, la communication se fera surtout par la radio. Il y a beaucoup de travail parce qu’il faut qu’à la fin de l’année tous les Camerounais soient au courant des dangers du repassage. » Cette initiative est née après le constat que la plupart des membres du Renata avaient eu les seins « repassés ». Dès lors, ils ont fait appel à l’organisation allemande GTZ pour les aider à enquêter, car ils n’en avaient pas les moyens.

24% des adolescentes ont les seins « repassés »

Deux anthropologues, le Dr Flavien Ndonko et Germaine Ngo’o, se sont penchés sur le phénomène. En décembre 2005, et dans les dix provinces du pays, 5 661 filles et femmes âgées entre 10 et 82 ans ont été interrogées par 28 enquêtrices. Résultat : 24% des adolescentes camerounaises ont vu leurs seins naissants écrasés. Une tâche surtout pratiquée par les femmes, avec en tête les mères. Toutefois, 7% des filles le font elles-mêmes, en cachette, car on les a complexé sur leur poitrine qui naissait alors que leurs camarades n’avaient encore rien. Dans de rares régions, on fait appel au père ou au frère pour que la méthode soit plus efficace. Mais la plupart du temps, les hommes ne connaissent pas cette coutume, qu’ils ont pour beaucoup découvert lors de la campagne de prévention.

Pour aplanir les seins, on utilise souvent les pilons ou les pierres à écraser, préalablement chauffés. Mais on note aussi l’usage de peaux de bananes plantain, de feuilles et de serviettes chaudes. Tous ces moyens seront tous appliqués directement sur la poitrine nue et douloureuse à cause de la croissance. D’autres tactiques consistent à utiliser des « serres-seins » ou du sel et du pétrole avec lesquels on masse les seins naissants. Parfois, il y a en plus tout un rituel. « Il y a une région où, après le massage, les filles doivent jeter les noyaux du fruit noir, que l’on mange ici, sur les garçons pour que leur poitrine reste plate. Une autre coutume consiste à embrasser le tronc d’un bananier et de tourner autour pour que la poitrine reste lisse comme le tronc », confie le Dr Flavien Ndonko, qui pensait le phénomène marginal avant de participer à l’étude.

Scarification et fourmis pour gonfler les seins

La pratique existe dans tout le Cameroun, mais à des degrés divers. Dans les zones méridionales, le « repassage » se fait à hauteur de 30% à 50%. « Le mariage n’y est pas une priorité », poursuit le spécialiste. Qui ajoute : « Dans les parties septentrionales, le ‘repassage’ se fait entre 7% et 9% car on encourage le mariage précoce des adolescents et pour cela il faut que le développement physique soit visible. Alors on favorise le développement des seins. Pour cela, on utilise notamment la scarification. 6% des filles ou femmes ont subi une scarification pour faire partir ou grossir la poitrine. Pour la faire grossir, on coupe la peau avec une lame et on y met un produit spécial ou alors on met sur les seins des fourmis qui vont les piquer et dont le venin doit les faire grossir. Mais certaines femmes ‘repassent’ les seins de leur fille pour que leur père ne voient pas qu’elles grandissent et les marient ».

Selon l’anthropologue, le « repassage des seins » se pratique dans toutes les couches sociales et, à sa surprise, l’incidence est plus importante en zone urbaine que rurale. « Les gens qui émigrent en zone urbaine perdent le contrôle sur la sexualité de leurs enfants. Et comme le sexe est tabou et que les seins sont un signe de puberté, les parents préfèrent gommer ce qui rappelle la sexualité plutôt que de parler de sexualité : pour eux, en parler va donner envie d’avoir des relations sexuelles. Ce qui est faut : beaucoup de filles à qui on a repassé les seins ont eu un enfant très jeunes. En zone rurale, les gens pensent en plus que faire rentrer les seins va permettre de faire grandir dans la hauteur », souligne le Dr Flavien Ndonko. Qui ajoute : « Ceux qui repassent les seins veulent aussi ‘casser’ la boule que l’on sent quand la poitrine pousse, l’idée étant que cela permettra à la fille devenue femme d’avoir beaucoup de lait lorsqu’elle sera mère ».

Brûlures, seins qui tombent, coulée de lait maternel

Quelles sont les conséquences de cette tradition sur le développement des filles ? « 42% disent que le développement de leurs seins est normal, mais un quart pensent que leurs seins sont anormalement gros et un quart qu’ils sont anormalement petits. La douleur est très forte et on note beaucoup de brûlures et d’infections. Des femmes qui ne sont pas enceintes ont même du lait maternel qui coule. Il y aussi des cas de cancer, bien que le lien entre le ‘repassage’ et la maladie ne soit pas avéré. Les massages violents des seins créent un véritable traumatisme qui affaisse les muscles. Du coup, des filles de dix ans se plaignent d’avoir des seins de femmes de 70 ans. Alors en plus de la douleur physique, il y a la douleur psychologique. Les femmes ont peur de se déshabiller devant les autres et d’avoir des relations sexuelles. D’autant plus que les hommes d’ici font beaucoup de blagues sur les seins qui tombent », énumère le Dr Flavien Ndonko.

Amélie se plaint pour sa part d’avoir des seins « trop petits ». « Je pense que j’aurais dû en avoir de plus gros : ma mère en a en quantité. A cause de ça, je me sens vraiment gênée : je ne peux pas porter les habits que je veux, je dois porter des soutiens-gorge rembourrés et certains hommes se moquent de moi. Un ami m’a dit : ‘si tu n’as pas de seins, ça ne vaut pas la peine’ », confie-t-elle.

Malgré ces risques, des femmes qui ont subi le « repassage des seins » vont perpétuer la tradition. Pour protéger leur fille des regards masculins et d’une éventuelle grossesse qui jetterait le discrédit sur la famille. Ce qui pousse le Dr Flavien Ndonko à se demander : « Si demain on apprend que les hommes aiment les cheveux, les oreilles, le nez… des femmes, va-t-on tout couper pour qu’ils ne les regardent pas ? On ne peut pas mutiler la femme parce que l’on pense que l’homme ne peut pas se contrôler. L’homme n’est pas un animal ». Pour Amélie, qui nourrit une certaine rancœur vis-à-vis de sa mère, une chose est sûre : sa fille de quatre ans n’aura jamais les seins repassés.

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