La médecine traditionnelle pour soigner le Sida


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Sida (illustration)
Sida (illustration)

La médecine traditionnelle africaine pourrait conduire à la guérison clinique du sida. Le Dr Yvette Parès, ancien professeur à l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar, directrice du Centre de Recherches Biologiques sur la Lèpre et fondatrice de l’hôpital traditionnel de Keur Massar, milite pour la reconnaissance d’une médecine vivante muselée par l’orgueil et l’argent. Celle qui a suivi une formation de 15 ans pour devenir tradithérapeute explique que les traitements issus de la science africaine sont infiniment plus efficaces et pertinents que la trithérapie. Interview.

Pr Yvette Parès
Pr Yvette Parès

Soigner le Sida par la médecine traditionnelle. Une tâche on ne peut plus à la hauteur des tradithérapeutes africains, à en juger les résultats avancés par le Pr Yvette Parès, fondatrice de l’hôpital traditionnel Keur Massar, près de Dakar (Sénégal). La chercheuse française, Dr en science et en médecine, a été formé initialement à l’école occidentale. Ancien professeur à l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar, elle a par ailleurs été, pendant 17 ans, directrice du Centre de Recherches Biologiques sur la Lèpre de Dakar. Parmi une des rares personnes occidentales à avoir été acceptées par les tradithérapeutes africains, elle a passé 15 ans à apprendre la médecine traditionnelle qu’elle défend depuis plus de 25 ans. Notamment face au Sida. Moins chère, moins contraignante pour le patient et plus efficace, elle reste toutefois marginalisée par l’Occident qui la sous-estime.

Afrik.com : Comment avez-vous découvert la médecine traditionnelle ?

Pr Yvette Parès : Ce sont les résultats de mes recherches scientifiques qui m’ont orientée vers la médecine africaine. Je travaillais sur la lèpre et nous avions montré que les plantes antilépreuses des thérapeutes africains étaient très efficaces et que, par contre, le traitement occidental était très déficient et donnait, en plus, de graves accidents secondaires. Je me suis alors trouvée devant un dilemme : fallait-il laisser souffrir les malades sans rien faire ou essayer de demander le renfort des thérapeutes africains ? Ce que je voulais, c’était arriver à sauver des malades. Je cherchais juste des traitements efficaces. C’était mon seul critère. Et comme les Africains avaient de bons traitements, j’étais prête à m’incliner devant leur science.

Afrik.com : A l’hôpital Keur Massar, que vous avez créé en 1980, il n’y a que des traitements issus de la médecine traditionnelle. Pourquoi avoir complètement écarté la médecine occidentale ?

Pr Yvette Parès : Quand on fait quelque chose, il faut être loyal. Parallèlement à mes fonctions au sein de l’Université et du centre de recherche, je travaillais avec des thérapeutes qui m’enseignaient la médecine traditionnelle. Je n’allais pas avoir le toupet de faire entrer des médicaments européens dans cette structure. De toute façon, si je l’avais fait, les thérapeutes seraient immédiatement partis. Je ne vois pas pourquoi, voyant que les traitements étaient bons, j’aurais mélanger les deux choses.

Afrik.com : En tant que femme européenne blanche, comment avez-vous réussi à vous faire accepter par les thérapeutes traditionnels ?

Pr Yvette Parès : Oh, c’est un miracle ! Il est extraordinaire que des thérapeutes africains aient fait confiance à une étrangère, d’autant plus qu’elle représentait, il faut le dire, le pays colonisateur. Il y a tout un concours ce circonstances qui a fait que les grands maîtres sénégalais m’ont acceptée. Et c’est un très grand maître Peul, Dadi Dialo, qui m’a accueillie.

Afrik.com : En quoi consiste cette formation ?

Pr Yvette Parès : Il faut 15 ans de formation pour devenir un bon thérapeute. La formation est très dure. Il faut apprendre énormément auprès d’un maître qui est d’une sévérité terrible. Il faut d’abord aller cueillir les plantes en brousse. On se lève très tôt et on travaille beaucoup. Il faut connaître les plantes, savoir où il faut les trouver, ensuite il faut apprendre à faire les médicaments. Il y a une somme considérable de médicaments à apprendre. Il faut apprendre l’art pharmaceutique, puis l’art médical : comment examiner les malades, il y a des tests spécifiques en médecine africaine. Pour les Africains, en tant qu’occidentale, je reste un peu étrangère à cela. Il y a également une dimension mystique où ils apprennent les cérémonies pour les maladies mentales et à connaître les mauvais sorts.

Afrik.com : Comment expliquer la méfiance des médecins traditionnels africains à l’égard de leurs homologues occidentaux ?

Pr Yvette Parès : Mais c’est normal. Les Blancs sont des pillards. Si vous dites un secret à un Blanc, il va vite le dire à des multinationales qui vont venir piller vos ressources. Les Occidentaux ont leur médecine, leurs universités. Et puis qu’est ce que ça veut dire donner des recettes, il faut d’abord savoir les utiliser. La médecine africaine, ça s’apprend.

Afrik.com : Y a-t-il des médecins occidentaux qui regardent d’un très mauvais œil la médecine traditionnelle ?

Pr Yvette Parès : Les médecins occidentaux qui regardent d’un mauvais œil la médecine traditionnelle sont des ignorants. On n’a pas le droit de juger quelque chose qu’on ne connaît pas. Pourquoi se croire supérieurs ? Je n’ai jamais entendu un maître africain dire du mal de la médecine occidentale. Ils disent : « que chacun fasse ce qu’il sait faire ». Mais sous-entendu aussi qu’ils les laissent travailler en paix. Les thérapeutes africains sont les médecins de la médecine africaine. Je ne sais pas pourquoi on a monté au pinacle la médecine de l’occident, qui n’a que 60 ans d’âge.

Afrik.com : La science pharmaceutique africaine est-elle complexe ?

Pr Yvette Parès : Oh oui, c’est très compliqué ! Au départ, j’étais très inquiète. Je me suis demandé durant plusieurs années si j’arriverais à maîtriser cet art là. Et puis un jour on mûrit, et on le fait. Au début, je prenais des notes, car je n’ai pas la culture africaine, qui développe une mémoire extraordinaire. Mon maître, Dadi Gano, riait d’ailleurs de moi. En fait, si la science est complexe, les moyens matériels sont simples et adaptés à la brousse. Ce sont des marmites, des mortiers, des pilons, des bouteilles, de quoi faire du feu. Et avec cela vous pouvez faire tous les médicaments : la lèpre, les tuberculoses, les hépatites, le sida… Pas besoin de dépenser des sommes folles pour fabriquer des gélules. C’est adapté au pays. On peut immédiatement, avec les ressources naturelles, sauver les gens. Il n’y pas besoin d’aller commander des produits à l’étranger, les choses sont sur place.

Afrik.com : Quand on vous entend en conférence, vous vous montrez très critique par rapport aux traitements occidentaux du sida

Pr Yvette Parès : Les antirétroviraux sont des solutions d’attente. Ils sont trop toxiques et on les prescrit quand les personnes sont déjà très malades. Et le malade doit être constamment suivi. Ils provoquent des accidents secondaires ou occasionnent de telles douleurs que les gens en arrivent parfois à se suicider. Mais cela, on ne le sait pas. Alors on dit : « Accès aux antirétroviraux pour tout le monde ». Mais ça ce sont des informations des multinationales qui veulent gagner des milliards avec la maladie. La trithérapie me met en colère, parce que c’est une désinformation épouvantable.

Afrik.com : Le sida est une maladie relativement nouvelle. Y a-t-il de la recherche en médecine traditionnelle ?

Pr Yvette Parès : Les grands maîtres de la médecine traditionnelle sont capables de recherches thérapeutiques. Quand il y avait la menace du Sras, j’avais demandé à mes collaborateurs ce qu’on allait faire. Ils ont répondu : « on connaît les symptômes et quand la maladie sera là, on va la soigner ». Quand le sida est arrivé au Sénégal, nous n’allions pas rester les bras croisés : chacun s’est mis à la recherche. On a choisi des plantes médicinales et on a commencé à mettre au point nos traitements. Nous n’allions pas laisser les malades sans rien alors que nous avons plein de plantes antivirales, antibactériennes, antidiurétiques ou contre les troubles psychiques.

Afrik.com : Quand on parle de recherches médicales, on parle d’essais thérapeutiques. En pratiquez-vous ?

Pr Yvette Parès : Quand vous utilisez des plantes non toxiques, vous vous dites qu’au pire cela ne fera rien et qu’il n’y aura pas d’accident secondaire. Comme on mettait beaucoup de plantes antivirales et antibactériologiques pour protéger contre les maladies virales et les maladies opportunistes, il y avait toutes les chances pour que l’on trouve les bonnes formules. Et c’est ce qui s’est passé. Mais je dirais qu’il y a peut être des gens qui font encore mieux que nous.

Afrik.com : Aujourd’hui, quels sont les taux de réussite que vous enregistrez par rapport au VIH ?

Pr Yvette Parès : Le taux de réussite est un concept occidental. Si vous venez à temps, vous vous en sortez. Dans mes publications, j’ai indiqué l’état dans lequel les malades viennent en général. Nous les conduisons à ce qu’on appelle la guérison clinique. C’est à dire qu’ils ont l’air en aussi bonne santé que nous tous. Mais quand ils nous disent : « Nous sommes guéris ! », je leur réponds que : « Vous êtes très bien mais continuez le traitement par sécurité. Comme c’est un rétrovirus qui peut faire des décharges plus tard, il ne faut pas qu’il y ait une rechute ». Donc ils continuent le traitement. Mais comme le traitement consiste à avaler un verre à thé de décoction avant et après le repas, en quoi cela les dérange ? Ça ne donne pas d’accident secondaire, ça n’a pas mauvais goût et ce n’est pas contraignant.

Afrik.com : Quand on dit que la médecine traditionnelle est efficace contre le sida, on se heurte forcément à un fort scepticisme…

Pr Yvette Parès : Les gens sont sceptiques parce que nous avons été élevés dans l’idée qu’il n’y a que nous (les Occidentaux, ndlr) qui sommes bien. Les gens sont sceptiques parce qu’ils sont ignorants, pas forcément par mauvaise volonté. Les Occidentaux ont subi un lavage de cerveau et pour bien appréhender la médecine traditionnelle il faut franchir un certains nombre d’obstacles mentaux érigés par notre éducation. En arrivant en Afrique, je pensais que les Africains n’avaient rien. Je pensais leur apporter des choses merveilleuses…

Afrik.com : Quel est le prix de traitements de la médecine traditionnelle, comparé à celui de la médecine occidentale, notamment pour le Sida ?

Pr Yvette Parès : Les traitements traditionnels ne sont pas chers. Entre les prix des multinationales et faire bouillir des plantes, il n’y a pas photo. Pour le Sida, je dirais qu’on donne les traitements aux malades pour rien. On leur dit de donner ce qu’ils peuvent, s’ils ne peuvent pas, on laisse.

Afrik.com : Les résultats que vous avancez semblent remarquables. Comment se fait-il qu’ils ne soient pas plus connus et reconnus ?

Pr Yvette Parès : Parce qu’ils ont été combattus par les médecins occidentalisés.

Afrik.com : Mais quel est leur angle d’attaque pour combattre ces traitements, s’ils s’avèrent efficaces ?

Pr Yvette Parès : Leur angle d’attaque est qu’ils ne veulent pas perdre leur pouvoir, ni l’argent corrupteur qui vient de l’étranger. Il y a eu à Dakar, en 1999, le 1er congrès sur les médecines traditionnelles sur le VIH sida, organisé par le ministère de la Recherche scientifique. Il y avait le ministre de la Santé, tous les médecins, des représentants de l’OMS, de l’Onusida. J’ai fait des exposés en tant que dirigeante d’atelier et il y a eu des exposés de femmes tradithérapeutes, mais ça n’a rien fait bouger. En 2006, c’est pareil !

Afrik.com : Sur quels arguments se basent-ils pour dire que ces traitements ne sont pas bons ?

Pr Yvette Parès : Aucun ! L’orgueil et la vanité de ne pas perdre le pouvoir. Il y a un mépris du malade. Quand les Américains sont arrivés en Afrique pour essayer toutes leurs molécules chimiques, les plus mauvaises et les plus nocives, les médecins occidentalisés disaient à l’hôpital : « le matériel humain ne coûte rien ». Pendant ce temps, j’avais parlé à la télévision en 1988 pour dire que la médecine traditionnelle africaine offrait de l’espoir. Mais mon message n’a pas été entendu. Ce sont les médecins occidentalisés qui bloquent l’avancée de la santé en Afrique.

Afrik.com : Les traitements du sida sont-ils tous réalisés à partir des mêmes plantes ?

Pr Yvette Parès : A Keur Massar, nous avions un thérapeute sossé (région de la Casamance) qui avait son traitement, un autre toucouleur (région du fleuve) qui avait son traitement et moi, j’ai appris à en mettre au point avec des plantes de Dakar et des environs. Il y a d’autres thérapeutes qui ont leur propre traitement avec leurs propres plantes. Imaginez alors ce que ça pourrait donner si toute l’Afrique s’y mettait, si le monde entier s’y mettait : l’Inde, la Chine, l’Asie du Sud est, les Caraïbes, les amérindiens ! Nous aurions une quantité de traitements du sida. Parmi tout cela, il y aurait des personnes qui finiraient par trouver les traitements les plus merveilleux : ceux qui tueraient le virus.

Afrik.com : Quel est votre souvenir professionnel le plus émouvant à Keur Massar ?

Pr Yvette Parès : C’est de voir les lépreux reprendre visage humain. C’est de voir les gens atteints du sida, qui arrivaient dans un état psychique épouvantable, redevenir des gens normaux. Ils me remerciaient en une phrase qui résume tout : « Maintenant, je dors bien ». C’est une fantastique récompense pour un thérapeute.

Afrik.com : Que préconiseriez-vous aujourd’hui par rapport au développement et à la reconnaissance de la médecine traditionnelle ?

Pr Yvette Parès : Que chaque pays se réveille. Il faudrait des voix de grande vertu pour éveiller les consciences et motiver les gens pour qu’ils fassent ce qu’ils savent faire. Par ailleurs, il y a tellement de malades qu’il faudrait que les gouvernements organisent le reboisement et entretiennent les ressources naturelles dans la brousse. Qu’ils assurent des cultures de plantes médicinales, sans engrais et sans pesticides. Il faudrait également recommander aux paysans de faire beaucoup de compost pour assurer une bonne qualité des sols.

Visiter le site de l’hôpital Keur Massar

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