La circoncision à travers les âges


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Malek Chebel
Malek Chebel

L’anthropologue et psychanalyste algérien Malek Chebel signe avec son Histoire de la circoncision des origines à nos jours le premier essai général sur ce rite qui touche largement l’Afrique et le Maghreb, et qui s’enracine en Éthiopie et en Egypte ancienne.

Qu’est-ce-que la circoncision ? A quels besoins répond-elle, à quelles constantes sociales, culturelles ou religieuses est-elle associée à travers les âges, aussi loin que l’on puisse remonter dans l’étude d’une pratique qui semble remonter à l’aube de l’humanité ? Telles sont les questions auxquelles répond la remarquable synthèse de Malek Chebel, publiée par les éditions Balland en 1992 et reprises en format demi-poche par les éditions marocaines EDDIF.

Tout commence avec Hérodote, et son Histoire (II, 104) qui écrit à propos de la circoncision : « Des Egyptiens et des Ethiopiens, je ne saurais dire quel est le peuple qui a pris cette coutume à l’autre, car elle y est, de toute évidence, des plus anciennes « . Cinq siècles avant Jésus-Christ, la recherche historique sur les origines de cette pratique avait déjà été aussi loin qu’il a été possible d’aller depuis. Il est vrai que les scènes représentées sur les murs de nombreux temples, dans des bas-reliefs datant au moins de 1500 ans avant l’ère chrétienne, ne laissent aucun doute sur les méthodes et les effets de la circoncision des anciens Egyptiens.

Des origines égyptienne ?

Parallèlement à la circoncision égyptienne, le principe de l’ablation du prépuce du jeune garçon ou de l’adolescent semble avoir existé, et s’être perpétué, à partir de l’Ethiopie, dans de nombreuses zones d’Afrique, bien avant toute pénétration par l’Islam. C’est en effet d’abord le judaïsme, à la suite d’Abraham, qui va instituer la circoncision comme signe  » de l’alliance  » entre le peuple élu et Dieu. Signe fidèlement répété, de génération en génération, par les descendants d’Isaac comme par ceux d’Ismaël… Même si sa justification théologique connaîtra des hésitations : si l’on suit son  » Guide des Egarés « , le grand théologien juif andalou Maïmonide, rabbin de Cordoue, verra essentiellement dans la circoncision un affaiblissement de l’appétit et du plaisir sexuels masculins, considérés comme mauvais, par affaiblissement de l’organe, et y trouvera  » le motif le plus important  » de cette pratique.

Circoncision de l’âme

Même si la circoncision de Jésus offrira à l’iconographie chrétienne un de ses thèmes favoris, il va sans dire qu’à la suite de Saint-Paul (et après débat avec Saint-Pierre, qui se ralliera à cette thèse) l’universalisation du message biblique passera par un effacement de tout signe physique distinctif parmi les hommes, qui forment un peuple unique, sauvé par le Christ dans sa Passion. Le rachat ne saurait tenir à un repère corporel, quel qu’il soit : c’est l’âme seule qui sauve et qui est sauvée, c’est elle seule qui signifie aux yeux de Dieu les péchés et les bonnes actions. C’est pourquoi la rhétorique chrétienne utilisera fréquemment l’expression  » circoncision de l’âme « , pour évoquer une âme pure et ouverte à l’Esprit Saint, par opposition à la circoncision physique, qui ne touche pas à l’essentiel, mais se borne à un signe essentiellement social.

C’est cette dimension fortement sociale de la circoncision que Malek Chebel relève dans le peuple arabe, et à sa suite dans tout le monde musulman. En effet la circoncision, même si elle a été souvent considérée comme une pratique de l’Islam, n’est apparemment pas une pratique religieusement imposée aux disciples de Mahomet. Le Prophète lui-même ne fut pas circoncis, ayant été, semble-t-il, comme il arrive parfois, doté naturellement d’un prépuce court. En outre l’habitude de circoncire les garçons était largement répandue dans le monde arabe à l’époque précoranique, et ne saurait en aucun cas apparaître comme une innovation, ou un signe distinctif, islamique.

Importance sociale

L’auteur consacre de nombreuses pages à l’importance sociale que l’événement revêt dans de nombreuses sociétés africaines, et dans tous les pays du Maghreb, où la circoncision est l’occasion de réjouissances familiales importantes, tandis que son omission consacre une étrangeté au sein du groupe familial et social. Il prête délibérément moins d’attention à la vogue actuelle de la  » circoncision banale et médicale « , qui se généralise aujourd’hui dans  » certains pays riches  » (Etats-Unis, Suisse) comme un des actes médicaux systématiques accompagnant la naissance d’un enfant de sexe mâle, par précaution et hygiénisme.

C’est peut-être là que se remarque le mieux la position idéologique propre du chercheur lui-même, qui tient à établir une typologie universelle de la circoncision, mais dont les attaches dans le monde arabe lui en rendent certaines variantes ou certaines connotations plus sympathiques que d’autres… Ce qui n’enlève rien à la précision de son étude et à sa foisonnante richesse.

(Malek Chebel,  » Histoire de la circoncision des origines à nos jours », édité par EDDIF, Casablanca, 1997.)

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