Les chefs traditionnels veulent régler la crise ivoirienne


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Nanan Dodo N'Depo

L’échec de Marcoussis, d’Accra, de Pretoria, les derniers accrochages à Agboville… deux ans de négociations sous l’égide de Paris, de l’Union africaine, de l’Afrique du sud… sans succès. L’alternative ? Laisser les chefs traditionnels régler la crise ! Nanan Dodo N’Depo Didace, Secrétaire général du conseil supérieur des rois et des chefs traditionnels de Côte d’Ivoire, qui en a fait la proposition lors du Forum de Cotonou, s’en explique à Afrik.

Les accords pour ramener la paix en Côte d’Ivoire se suivent et connaissent les mêmes destins. Tués dans l’œuf. La solution, évoquée par l’un membre de la délégation ivoirienne lors du Forum des partis, des médias et de la société civile de Cotonou ? Laisser les chefs traditionnels régler la crise. Nanan Dodo N’Depo Didace est le Secrétaire général du Conseil supérieur des rois et des chefs traditionnels de Côte d’Ivoire. « J’aimerais que soit inscrit dans les conclusions du Forum la possibilité pour les pouvoirs traditionnels d’intervenir, en dernier recours, dans les crises que traversent nos pays », a-t-il demandé, en séance plénière, dans son habit traditionnel. La proposition peut paraître loufoque, mais de nombreux intervenants ont souligné la nécessité pour l’Afrique de l’Ouest de « tropicaliser » la démocratie, selon la formule d’un représentant de la société civile sénégalaise. Les chefs traditionnels ivoiriens se sont organisés et disposent depuis le début de l’année de bureaux à Abidjan. Ils ont rencontré nombre de belligérants de la crise ivoirienne, depuis 2000, avant même la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002. Entre ouverture d’esprit sur la question de la nationalité, conception passéiste du pouvoir et un bon sens servant une volonté ferme de faire la paix, Nanan Dodo N’Depo explique ce que les rois et chefs traditionnels pourraient apporter à la Côte d’Ivoire.

Afrik : Quel était le message du Conseil supérieur des Rois et Chefs traditionnels de Côte d’Ivoire au Forum de Cotonou ?

Nanan Dodo N’Depo :
Nous disons qu’il existait autrefois des micros Etats constitués de royaumes, de tribus et de villages. Lorsque le colon est venu, il a créé de nouvelles structures pour diviser et mieux régner. Pour son intérêt propre. Il a créé le canton, une structure au-dessus des tribus. Il a imposé les chefs de cantons en les payant et en leur donnant les moyens d’employer des ouvriers, au détriment de l’ancien chef de tribu, assujetti. Le chef de canton a prélevé des impôts, ce qui n’existait pas avant. Il existait des alliances, des pactes de non agression. Les gens travaillaient pour les chefs de village et pour eux. Quand les colons sont partis, les Africains eux-mêmes ont trouvé cette tradition comme une charge. Ils ont préféré ce qui a été imposé. Mais nous pensons que les grandes nations le sont devenues grâce aux pensées de leurs aïeux. C’est pourquoi nous estimons que les pays africains doivent se servir de leurs acquis afin que tout le monde puisse travailler pour le pays tout entier. Les rois sont les papas de tout le monde, et ils coiffent les autres pouvoirs. Les ONG nous demandent conseil, l’administration moderne s’appuie sur nous pour faire son travail, sans rémunération. Notamment sur les chefs de villages, qui sont à la base de tout le système.

Afrik : Que pourrait faire le Conseil des rois pour régler la crise ivoirienne ?

Nanan Dodo N’Depo :
Aujourd’hui, nous souhaiterions réactiver quatre ceintures d’alliances traditionnelles entre ethnies. La première concerne ainsi les Yacouba, les Gouros, les Kayaka, les Senoufo, les Tabanas, les Djiminis, les Djamala, les Dongouros et les Lobi. Tous ceux là n’ont pas le droit de verser le sang entre eux.

Afrik : Ces alliances sont-elles efficaces ?

Nanan Dodo N’Depo :
Elles sont nées des premières violences en Afrique. Elles fonctionnaient autrefois mais beaucoup de gens les ignorent aujourd’hui. Ils ne sont plus sensibilisés et elles devraient être enseignées à l’école.

Afrik : Les ethnies de différentes alliances peuvent-elles s’attaquer entre elles ?

Nanan Dodo N’Depo :
Non, car les quatre ceintures comprennent toute la Côte d’Ivoire et il existe des alliances entre ethnies de ceintures différentes. Comme l’ami de mon ami est mon ami… Aujourd’hui, nous demandons à ce que soit confiée la gestion de la réconciliation nationale aux chefs traditionnels. Nous en avons fait la demande à la Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) et à l’UE (Union européenne), qui ne nous ont pas répondu. Je ne sais pas pourquoi. Un jour, Tuo Fozie (adjudant, autoproclamé chef de Bouaké et ministre de la Jeunesse et du Service civique) a arrêté un homme à Bouaké et l’a jeté en prison. Un civil yacouba a alors tancé le chef rebelle en lui disant qu’au nom d’une alliance passée, il n’avait pas le droit de mettre cet homme en prison et encore moins de verser son sang. Sans quoi il serait maudit à jamais. Tuo Fozie s’est exécuté.

Afrik : Vraiment… ?

Nanan Dodo N’Depo :
Oui, c’est authentique. C’est dans la tête des gens. Il sait que s’il ne le libère pas, il aura des sanctions, des malédictions, des problèmes auxquels il ne s’attend pas. Fozie connaissait cette alliance et ses risques, mais comme c’était la guerre…

Afrik : Combien existe-t-il de rois ?

Nanan Dodo N’Depo :
L’organisation compte huit « véritables » rois – trois à l’Est, deux au centre, trois au Sud – et deux « assimilés », au Nord. En réalité, ce sont des rois comme ceux du reste du pays, mais ils n’en n’ont pas le titre. Alors, par commodité, nous les considérons comme tels. La seule différence est qu’ils élisent leur chef. Nous leur avons demandé d’arrêter car on ne peut pas élire son chef…

Afrik : Comment les choisir ?

Nanan Dodo N’Depo :
Les chefs sont ceux qui sont arrivés les premiers. Le chef de terre désigne le chef du village. Je suis moi-même le chef d’un village qui se nomme Dodo Koi. Il a été établi par Dodo 1er, mon papa, en 1937. En 1942, mon père a reçu le premier Burkinabé sur ses terres, qui est devenu le premier manœuvre et a obtenu une portion de terre, où il a pu faire venir ses parents. Certains disent qu’ils ne sont pas ivoiriens, mais ils ont eu des enfants sur cette terre, il y a eu des mélanges, et ils font parti de ma population. Les Maliens sont ensuite venus et eux aussi, s’ils le veulent, peuvent être Ivoiriens. Que l’on régularise tous ceux qui le souhaitent.

Afrik : Comment s’organise la confédération ?

Nanan Dodo N’Depo :
Nous sommes 11 800 chefs de villages et seulement 23 au bureau. Il faut composer pour éviter les jalousies. Il y a 145 chefs de cantons et tribus et 10 rois, dont trois au bureau. Au Nord, Gaoussou Dramane Ouattara, Roi de Kong – il est le frère d’Alassane Ouattara. Le Roi du Djuablin Agnini Bile II, qui est un ancien ambassadeur, tout comme le Roi de l’Indénié Boa Kouassi II, chargé de la grande médiation.

Afrik : Beaucoup ont exercé des fonctions au sein de l’administration moderne…

Nanan Dodo N’Depo :
Bien sûr. Nous avons aussi des professeurs d’Université, d’anciens sous-préfets, des députés…

Afrik : Vous avez parlé d’« ultime recours », lors du Forum de Cotonou…

Nanan Dodo N’Depo :
L’Etat moderne existe, mais nous aussi. Nous avons parlé aux gens dans le Nord, à Khorogo, Bouaké… il nous faut des moyens. Nous avons demandé 3 millions de Fcfa à Teovodjre (Albert, Ancien secrétaire général adjoint des Nations unies) pour assurer nos frais. Nous avons parlé plus de dix heures à Alassane Ouattara au Gabon, il s’est vidé.

Afrik : Que pense Gbagbo de votre démarche ?

Nanan Dodo N’Depo :
Il dit que les FN (Forces nouvelles) doivent faire des efforts parce qu’il en a fait assez. Mais le propriétaire du chien et du cabri ne mangent pas de la même manière. Celui qui est au pouvoir ne peut pas avoir le même comportement que celui qui le veut. Il ne peut pas dire qu’il fait trop d’efforts. En 2003, nous avons insisté pour aller à Marcoussis, car tous les chefs y étaient. Gbagbo, Bédié, Ouattara et Soro, plus les rois et chefs, la paix aurait été là.

Afrik : N’est-il pas dangereux de demander à des gens de ne pas s’entretuer seulement parce qu’ils sont liés par une alliance ?

Nanan Dodo N’Depo :
Ce n’est pas une question d’alliance. Tuer n’est pas bon quel que soit le mobile. Il faut que les FN se repentent aussi. Ils ont fait une erreur. Pour être crédibles, ils doivent des excuses, car il y a eu trop de morts, et cela continu. Nous sommes très durs également avec Guillaume Soro, qui est le seul que nous n’ayons pas encore rencontré.

Afrik : L’équivalent de votre organisation existe-t-elle dans d’autres pays de la sous-région ?

Nanan Dodo N’Depo :
Elle existe sous forme d’ONG au Ghana, comme au Nigeria et au Burkina Faso.

Afrik : Considérez-vous faire de la politique ?

Nanan Dodo N’Depo :
Nous sommes apolitiques. C’est pour cela que nous pouvons agir efficacement.

 Lire aussi notre dossier complet sur le Forum des partis, des médias et de la société civile de Cotonou

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