Le pharmacien africain en première ligne


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Dr Cissé Djita Dem

Quel est le rôle du pharmacien en Afrique ? A-t-il les moyens de lutter contre les marchés parallèles de médicaments ? Faut-il encourager les génériques ? Quelles sont les relations entre la pharmacie et la pharmacopée traditionnelle ? Autant de question auxquelles répond le Dr Cissé Djita Dem, présidente de l’Ordre des Pharmaciens du Mali.

En prélude au 6e Forum pharmaceutique international, qui se tiendra à Bamako, au Mali, du 6 au 9 juin, une conférence de presse a été organisée jeudi au Centre d’accueil de la presse étrangère (Cape), à Paris. Nous y avons rencontré le Dr Cissé Djita Dem, la pétillante présidente de l’Ordre des Pharmaciens du Mali. Cette professionnelle est également présidente du Comité d’organisation du prochain Forum.

Afrik : Les médicaments sont chers en Afrique…

Dr Cissé Djita Dem :
Oui, surtout les spécialités. Lors de la dévaluation dans la zone CFA, les prix ont quasiment doublé. Pour faire face, les Etats ont réduit les taxes sur les médicaments de 15 à 5%, ce qui était un gros effort. Ce sont les laboratoires qui fixent les prix, même pour les génériques.

Afrik : Justement, encouragez-vous la vente des génériques, ces médicaments dont les molécules sont tombées dans le domaine public et qui sont fabriqués par des laboratoires à moindre coût ?

Dr Cissé Djita Dem :
Nous sommes obligés de donner une grande place aux génériques car il faut prendre en compte l’accessibilité financière et géographique des médicaments. En ce qui concerne l’accessibilité financière, les pays africains ont mis en place des politiques de médicaments génériques. C’est très bien, mais il faut, en parallèle, développer certains volets comme le contrôle de la qualité de ces médicaments. Le principe actif des médicaments est en règle générale très fragile. Tous les pays doivent se doter de laboratoires de contrôle performants. Le contrôle des appels d’offres est aussi important, avec une véritable pré-sélection des industries pharmaceutiques qui fournissent ces génériques. On ne peut pas recevoir des produits de n’importe quel laboratoire ! Il ne s’agit pas d’avoir les médicaments les moins chers. Il faut surtout qu’ils soient de bonne qualité. Au Mali, il faudrait que les secteurs public, privé et communautaire fassent des commandes groupées afin d’obtenir les prix les plus compétitifs. Quant à l’accessibilité géographique, il faut inciter les jeunes pharmaciens à s’installer dans les régions reculées et améliorer, au niveau des Etats, la distribution des médicaments.

Afrik : Au Mali, 90 à 95% des besoins en médicaments sont importés. Il n’existe pas d’unités locales de production ?

Dr Cissé Djita Dem :
Il y en a au Gabon ou en Côte d’Ivoire mais c’est encore peu développé. Au Mali, nous possédons une unité de fabrication de génériques et une unité de conditionnement. L’Etat malien est aussi en train de prendre des dispositions en matière d’anti-rétroviraux et il possible que nous montions une unité de fabrication. Les fonds sont là car le Mali a reçu des financements.

Afrik : Ce serait une façon de lutter contre le marché parallèle et la contrefaçon…

Dr Cissé Djita Dem :
Le marché illicite des médicaments est un véritable fléau en Afrique. Sous-tendu par des enjeux économiques très importants, il pose un vrai problème de santé publique. Nous interpellons nos Etats. Mais le Mali est un pays très vaste dont les frontières étendues sont difficilement maîtrisables. Le marché parallèle représente 10 milliards de FCFA au Mali. Face à la contrefaçon, le pharmacien n’a pas d’arme. C’est à l’Etat de garantir la sécurité sanitaire des citoyens. Le Président malien a signé une loi pour lutter contre le marché parallèle et la contrefaçon. Une structure lutte au niveau de chaque région et l’action décentralisée permet l’implication de chaque gouverneur. Il y a régulièrement des saisies et chaque mois une séance de destruction. Les populations, largement analphabètes, sont mal informées. Par exemple, beaucoup de médicaments sont moins chers dans les officines qu’au marché mais peu de gens le savent… Il faut sensibiliser, divulguer la bonne information. Expliquer que la consommation abusive de médicaments et l’auto-médication sont dangereuses car elles mènent au développement des souches les plus résistantes des maladies.

Afrik : Que pensez-vous du recyclage des médicaments du Nord vers le Sud ?

Dr Cissé Djita Dem :
Nous ne pouvons pas refuser catégoriquement les dons du Nord. Malheureusement, les principes établis par nos Etats en ce qui concerne les dons ne sont pas respectés. Il faut sélectionner les dons. De nombreux lots arrivent périmés depuis 1, 2, voire 6 mois ! Au lieu de détruire ces médicaments périmés, le Nord les envoie en Afrique ! Le Continent est considéré comme une poubelle… Nous avons même demandé cette année que l’on arrête les dons. Ils doivent être organisés et suivis.

Afrik : Comment l’Ordre des pharmaciens se place par rapport à la médecine et pharmacopée traditionnelles ?

Dr Cissé Djita Dem :
Nous sommes impliqués dans la médecine traditionnelle et nous y sommes favorables. Nous ne sommes pas opposés aux tradi-thérapeutes. Il existe d’ailleurs les médicaments traditionnels améliorés, qui proviennent de plantes identifiées et traitées par des professionnels.

Afrik : En quoi consiste le Forum pharmaceutique international ?

Dr Cissé Djita Dem :
C’est la rencontre annuelle de tous les professionnels de la santé et du médicament sur le Continent. Il a été instauré en 1998 au Bénin et depuis, s’est tenu notamment au Cameroun, au Sénégal et au Burkina Faso, l’année dernière. Cette année le thème retenu est « Le pharmacien, acteur de santé publique ».

Afrik : C’est-à-dire ?

Dr Cissé Djita Dem :
Nous voulons que le pharmacien soit au centre du combat et du débat. Qu’il travaille dans une officine, un hôpital, un dispensaire ou une faculté, il joue un rôle social prépondérant. Il est en contact direct avec les patients et sert d’interface entre le médecin et l’utilisateur. C’est lui qui stocke et dispense les produits. Il a un rôle dans la lutte contre le sida, avec la distribution des anti-rétroviraux, dans la lutte contre le paludisme et dans la lutte contre le marché illicite et la contrefaçon des médicaments. Nous souhaitons une implication effective des pharmaciens dans les programmes de santé publique.

Afrik : Qu’attendez-vous de ce 6e Forum ?

Dr Cissé Djita Dem :
Bamako sera un nouveau départ. Depuis 6 ans, il n’y a pas vraiment eu de suivi des résolutions prises chaque année, il va falloir mettre en place un comité spécial. Jusqu’ici, le Forum ne rassemblait que les acteurs de la zone francophone. Cette année, nous souhaitons nous ouvrir aux pays anglophones, lusophones et hispanophones. A Ouagadougou, nous étions 500 pharmaciens de 27 pays. Cette année, nous serons plus !

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