Bilinguisme et délinquance : le rapport Bénisti


Lecture 9 min.
arton8155

Le bilinguisme est le germe de la délinquance car source de difficultés scolaires. C’est en substance ce qu’avance Jacques-Alain Bénisti. En conséquence de quoi, le député UMP propose de forcer les parents et les enfants à parler exclusivement le français à la maison, au détriment de leur langue d’origine. Le rapport Bénisti, remis le 16 novembre dernier au ministre français de l’Intérieur, a provoqué de vives réactions au sein de la sphère universitaire et médicale. Autopsie d’un rapport inqualifiable aux relents néo-colonialistes.

Par Koceila Bouhanik

« Papa, parle moi français pour ne pas que je devienne un délinquant ! » L’invraisemblable rapport Bénisti, du député français UMP (Union pour la majorité présidentielle) du même nom, présente une sombre thèse sur le bilinguisme comme facteur de délinquance. Une pseudo-étude, qui piétine la liberté individuelle et la diversité culturelle, dans laquelle il propose un système coercitif pour contraindre les parents et leur progéniture à faire un usage exclusif de la langue de Molière dans les chaumières, et plus largement au sein de la cellule familiale. Son rapport, passé relativement inaperçu dans la presse, a soulevé un véritable tollé chez les universitaires, les syndicats, la Ligue des droits de l’Homme, la magistrature, les corps médicaux spécialisés et les travailleurs sociaux. Et pour cause…

Afrik ne pouvait se taire. Car loin de l’idée d’une rhétorique construite et assassine, qui pourrait être chère à l’homme Bénisti, il faut aller au fond des choses. Voir et comprendre, tel doit être notre but aujourd’hui, tel doit être notre difficile labeur. Car pour percevoir comment un rapport parlementaire remis au gouvernement de cette France multi-culturelle, mixte et colorée, en arrive à de telles extrémités, il faut s’accrocher.

La courbe Bénisti

Mais avant cela, présentons le sieur Jacques-Alain Bénisti[[<*>Toutes les expressions entre guillemets sont extraites du rapport Bénisti.]] : Député UMP du Val-de-Marne et président de la Commission prévention du groupe d’études parlementaire sur la sécurité intérieure, il est encore l’auteur d’un rapport éponyme sur la prévention de la délinquance, remis le 16 novembre dernier au Ministre de l’Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, M. Dominique de Villepin.

« Courbe évolutive d’un jeune qui au fur et à mesure des années s’écarte du « droit chemin » pour s’enfoncer dans la délinquance », accompagnée des « explications de la courbe évolutive d’un jeune qui au fur et à mesure… ». Des titres explicites par leur lourdeur. Quoiqu’il en soit, voilà le corps de ce fameux rapport. En d’autres termes, par des courbes savantes, des schémas d’annexes et des explications percutantes et soi-disant fondées, on nous explique allègrement que la délinquance est intimement liée aux difficultés qui peuvent exister dans l’apprentissage de la langue française, pour les familles d’immigrés et leurs enfants.

Phrases choc pour phases choc

Selon M. Bénisti, sept étapes jalonnent le manuel du parfait délinquant. Pour chacune de ces phases, M. Bénisti a cru utile de donner son point de vue quant à ce que doit être l’éducation, et plus encore que des conseils, il impose sa vision de l’intégration : « Seuls les parents, et en particulier la mère, ont un contact avec leurs enfants. Si ces derniers sont d’origine étrangère elles devront s’obliger à parler le français dans leur foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer », d’ailleurs « un contact direct avec le jeune devra être instauré de gré ou par la contrainte avec une personne formée à cet effet pour le soigner ou lui faire choisir un autre chemin que celui qu’il est en train de prendre». « Difficultés dues à la langue, si la mère de famille n’a pas suivi les recommandations de la phase 1 (…), l’enseignant devra alors en parler aux parents pour qu’au domicile, la seule langue parlée soit le français. Si cela persiste, l’institutrice devra alors passer le relais à un relais orthophoniste pour que l’enfant récupère immédiatement les moyens d’expression et de langage indispensables à son évolution scolaire et sociale ». Quelle obscure lumière, quelle confuse clairvoyance !

Pourtant, M. Bénisti se défend farouchement d’avoir voulu « stigmatiser ou caricaturer certaines catégories sociales ». Or ces « règles », édictées pour être un bon Français marchant dans le « droit chemin », ne sont pas des extraits provocateurs et démagogiques. Il s’agit bel et bien du contenu intégral du rapport Bénisti. Malgré tout, ce qui choque le plus, c’est l’insistance obsessionnelle de Bénisti à vouloir intégrer le corps médico-social dans ce processus de recadrage : « Des suivis sanitaires et médicaux réguliers doivent être opérés », « ces suivis sociaux réguliers devront aussi permettre à l’enfant d’être élevé dans une atmosphère saine et avec les bases d’éducation attentives, fondées sur le respect et avec une autorité parentale affirmée ». A croire que les immigrés sont des aliénés.

Bénisti invente le « parler patois »

Mais la perle de la page 9 reste sans conteste le point 1 de la rubrique ACTION : « Les réunions organisées par les associations de mères de familles étrangères financées par le F.A.S (ndlr : Fonds d’Actions Sociales) peuvent inciter ces dernières dans cette direction (ndlr : à s’obliger et à obliger leurs enfants à parler français). Si c’est dans l’intérêt de l’enfant, les mères joueront le jeu et s’y engageront. Mais si elles sentent dans certains cas des réticences de la part des pères, qui exigent souvent le parler patois du pays à la maison, elles seront dissuadées de le faire. Il faut alors engager des actions en direction du père pour l’inciter dans cette direction ». Parler patois?

Patois : (v. 1285 ; probabl. Du rad. Patt- [Cf. Patte], exprimant la grossièreté). 1° Parler, dialecte local employé par une population généralement peu nombreuse, souvent rurale et dont la culture, le niveau de civilisation sont jugés comme inférieurs à ceux du milieu environnant (qui emploie la langue commune). 2° Par extension. Langue spéciale (considérée comme incorrecte ou incompréhensible). V. Argot, jargon. Selon le dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française Petit Robert.

Minorités socio-fliquées

Ainsi donc Monsieur Bénisti, les différentes langues qui colorent le paysage culturel français seraient grossières, rurales, inférieures? Mais peut-être que cela est finalement voulu, peut être, Monsieur Bénisti, avez-vous tout simplement exprimé ce que vous pensiez de la diversité, du mélange, du melting-pot à la française. Peut-être ne supportez-vous pas tout cela, peut-être votre pré rapport n’est-il qu’un moyen détourné d’affirmer certaines de vos opinions, de clouer des populations dans des piloris socio-fliqués, de les isoler par une discrimination honteuse?

Peut-être, Monsieur Bénisti, que ces mesures qui n’en sont pas, sont-elles le reflet idéologique de la frange de la population que vous voulez satisfaire, à laquelle vous lustrez les chaussures en voulant plonger dans la fange cette autre catégorie de la population que vous êtes, ô noble âme, « loin de vouloir stigmatiser » ? Pauvre France déliquescente! Tes idéaux sont morts ! Autre chose, avant d’essayer d’exercer votre tyrannie éducative et de vous ingérer dans la vie privée des gens, qui n’est pas sans rappeler le traitement de la jeunesse de certains régimes, appliquez vos beaux conseils à vous-même et corrigez au moins les nombreuses fautes d’orthographes qui achèvent de décrédibiliser votre rapport! On vous a fait une fleur, on l’a fait pour vous. Mais quand l’hôpital se moque de la charité, on se doit de le dénoncer.

Diversité culturelle et respect : histoire croisée

Maintenant, parlons peu et parlons bien. La diversité culturelle est une richesse inestimable et indéniable pour ce pays. Mourir par asphyxie dans un orgueil suffisant ne doit pas être si drôle, non ? La double culture est une chance, un héritage, un témoignage, aussi, n’essayez pas de la détruire. Oui, les populations immigrées ont parfois du mal à s’intégrer dans la société française, c’est un fait reconnu et entendu. Mais avoir le toupet de prétendre que ne pas parler français à la maison est synonyme de criminalisation et de délinquance, c’est proprement scandaleux.

Mais récapitulons en citant vos propres termes et en suivant votre effroyable logique. Un enfant d’immigré, donc de la troisième génération, un petit Français de nationalité, mais pas de souche, vient de naître. A l’âge de 3 ans environ, il rentre à la maternelle, comme tous ses petits camarades. Dans l’intervalle, on aura « obligé » sa mère à parler uniquement le français dans son domicile. Si le père regimbe, on le bride. Surveillé de près par un personnel sanitaire et médical dans la structure éducative, il est prêt à devenir un citoyen modèle, un bon sauvage, comme on les appelait autrefois. Toutefois, « si la mère de famille n’a pas suivi les recommandations de la phase 1 », il faudra à tout prix impliquer les services socio-médicaux compétents, tels « l’orthophoniste », « l’assistante sociale », « le pédopsychiatre » ou « le pédiatre » « pour que l’enfant récupère immédiatement les moyens d’expression et de langage indispensables à son évolution scolaire et sociale » et « qui auront pour mission d’essayer, autant que faire se peut, de résoudre ces écarts de comportement ». Je ne peux m’empêcher de frissonner, M Bénisti, à la lecture de votre rapport. Qu’adviendra-t-il de notre culture, à nous, « familles étrangères », « enfants de familles étrangères » si de pareilles inepties se concrétisent en lois ?

Enfin, M. Bénisti, à l’avenir, si vous me le permettez, soignez au moins votre travail, qu’on ne vous soupçonne pas de spéculer et dites-nous, en définitive et de manière claire, quelles sont vos sources et quelle est votre formation ? Qu’avez-vous à opposer à tous vos détracteurs, universitaires reconnus, professionnels de la santé et autres, qui clament haut et fort leur indignation et qui font fronde commune contre l’inanité de votre compte-rendu, mis à part détourner le débat en tentant de le focaliser sur un clivage droite-gauche ? De plus, et pour terminer, dites-nous quelles sont les solutions que vous envisagez d’employer dans le cas d’un délinquant français de souche?

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News