Les logiciels libres en Afrique, état des lieux


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Où en est l’usage des logiciels libres en Afrique ? Sylvain Zongo, président de l’Association burkinabé des logiciels libres, interviewé au Burkina Faso lors des premières Rencontres africaines des logiciels libres, fait un état des lieux de l’usage de cette nouvelle technologie en Afrique.

Rendre l’Afrique autonome grâce aux logiciels libres. C’est l’un des paris que ce sont fixés les associations des utilisateurs de logiciels libres africains, dont la création a commencé en 1999 avec le concours de l’Agence de la Francophonie. Leur rôle est d’informer la population de leur pays sur les avantages de ce système d’exploitation alternatif, moins cher, plus sûr et plus adapté aux attentes et besoins du Continent. Sylvain Zongo, président de l’Association burkinabé des logiciels libres, interviewé à Ouagadougou (Burkina Faso) dans le cadre des premières Rencontres africaines des logiciels libres (Rall, du 27 septembre au 7 octobre), fait un état des lieux de l’utilisation de cette nouvelle technologie en Afrique.

Afrik.com : Pour quels usages les Africains se tournent-ils vers les logiciels libres ?

Sylvain Zongo : L’utilisation reste souvent limitée à l’Internet, ce qui est une avancée, mais nous voudrions que les Africains les utilisent aussi à d’autres fins. Mais le problème est que certains logiciels libres (de comptabilité, de gestion de stock et de personnel,…) mis en place au Nord ne sont pas transposables en Afrique. Il faut forcément un effort d’adaptation.

Afrik.com : Les sociétés africaines mesurent-elles pleinement les avantages des logiciels libres ?

Sylvain Zongo : Certaines, oui. Citons pour exemple le grand fournisseur d’accès ivoirien Aviso, qui utilisait un logiciel israélien qui un jour est tombé en panne. Pour réparer la défaillance, les Israéliens avaient donné un délai de trois semaines. Aviso a donc décidé de se tourner vers les logiciels libres et a abandonné le logiciel israélien, dont la licence leur coûtait par an 34 millions de F CFA. On peut dire qu’une entreprise qui utilise un logiciel libre peut espérer faire un gain de 75% par rapport à celles qui utilisent des systèmes d’exploitation propriétaires. Mais la plupart des sociétés ne peuvent pas se rendre compte des avantages financiers des logiciels libres car elles utilisent des logiciels piratés et n’ont donc pas l’habitude de payer.

Afrik.com : Quels sont les facteurs qui pourraient permettre la promotion des logiciels libres ?

Sylvain Zongo : La stabilité et la sécurité de cet outil par rapport aux autres. Car les systèmes d’exploitation classiques sont créés par de grandes puissances, comme les Etats-Unis, qui ne donnent pas les codes sources, fait que les utilisateurs ne savent pas si le ministère de la Défense du pays producteur n’est pas en train de les espionner. Ce n’est pas le cas avec les logiciels libres. Il y a donc là une vraie question d’indépendance stratégique et d’information. Or, celui qui maîtrise l’information, maîtrise le pouvoir. Autre facteur qui jouera en faveur des logiciels libres est le fait que Microsoft applique une nouvelle politique demandant aux sociétés de se mettre à jour dans le paiement de leurs licences. Ce qui implique de lourdes dépenses. Les entreprises vont donc se retrouver devant une nouvelle problématique, devront élaborer une nouvelle stratégie et envisageront la possibilité de se tourner vers les logiciels libres. Le problème est qu’il n’y a pas suffisamment d’informaticiens capables de répondre à la demande et que les Africains savent faire des apports aux logiciels libres de base, mais ils ne savent pas encore comment mettre leur travail au service de la communauté. Il faut travailler dans ce sens pour y remédier, ce qui passe par la formation des jeunes. Il faut aussi impérativement que le débat sur les logiciels libres ne se limite pas aux seuls informaticiens, mais se développe dans la société.

Afrik.com : Sur le plan économique, quelles possibilités offrent les logiciels libres ?

Sylvain Zongo : L’idéal serait que les Africains développent des logiciels libres et qu’une industrie spécialisée en naisse. A partir de là, les gouvernements n’auraient plus à acheter à l’étranger et les devises resteraient dans l’Etat. Par ailleurs, au travers des formations que nécessite cette nouvelle technologie, des emplois peuvent être créés.

Afrik.com : En 1996, vous avez créé une première association concernant les logiciels libres. Quel était son but ?

Sylvain Zongo : Nous avons monté l’association burkinabé des utilisateurs d’Unix et des logiciels ouverts avec Pierre Ouedraogo (organisateur du Rall, ndlr) et le Professeur Oumarou Sié. Notre objectif était de montrer qu’en dehors des systèmes d’exploitation propriétaires, comme Windows, il existait d’autres alternatives. Mais cette initiative n’a pas marché car nous étions trop en avance sur notre temps. A cette époque, on ne parlait même pas beaucoup des logiciels libres dans les pays du Nord.

Afrik.com : C’est le Burkina Faso qui a initié la création d’associations des logiciels libres. Comment ?

Sylvain Zongo : En 1998, Pierre Ouedraogo, est allé voir l’Institut francophone des nouvelles technologies de l’information et de la formation avec sous la main un programme de formation sur les logiciels libres. Il s’est dit que ce qui n’avait pas marché dans son pays pouvait fonctionner à l’échelle continentale. L’idée a plu à la Francophonie qui, en 1999, a organisé la première formation sur les logiciels libres en Côte d’Ivoire, à la suite de laquelle une association est née. C’est ainsi qu’à chaque formation dans un pays, une association a été créée. La nôtre a vu le jour il y a deux ans. Grâce à toutes les associations, près de 3 000 personnes ont été formées. Le Burkina Faso à lui seul en compte seul environ 800.

Afrik.com : Qu’offrent les associations aux utilisateurs des logiciels libres ?

Sylvain Zongo : Elles permettent aux gens de se regrouper et de s’organiser autour d’un espace d’expérimentation sur ces logiciels. Ils ont accès à 15 postes d’ordinateurs, deux serveurs Internet, une connexion permanente et du matériel pédagogique (un vidéo projecteur, livres, CD d’installation et de démonstration,…). C’est un réel avantage car beaucoup n’ont pas de machines chez eux.

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