Tout savoir sur la musique capverdienne


Lecture 6 min.
Cesaria Evora
Cesaria Evora

Cabo love, mornas, coladeira, funana : quelle est la place et la santé de la musique capverdienne à travers le monde ? Quels en sont les grands noms d’hier et d’aujourd’hui ? José Da Silva, directeur général et fondateur de la maison de disques Lusafrica nous raconte son parcours et nous fait la radioscopie d’une musique dont Cesaria Evora, qu’il a lui même découvert, n’est que l’arbre qui cache la forêt.

Cesaria Evora, Bonga, Teofilo Chantre, Ildo Lobo et bien d’autres stars de la musique lusophone et en particulier capverdienne ont ceci en commun de faire partie de la même maison de disque : Lusafrica. Créée en 1992 par José Da Silva à l’issue d’un coup de cœur pour la Diva aux pieds nus, la structure dispose d’un catalogue de plus de 200 artistes. Un catalogue plus centré sur le patrimoine musical de l’archipel que tourné vers le très tendance cabo love.

Afrik : Comment est né Lusafrica ?

José Da Silva : La marque a été créée en 1987 quand j’ai commencé à travailler avec Cesaria (Evora, ndlr) pour faire son premier album. Mais c’est devenu une véritable société en 1992. Quand j’ai découvert Cesaria à Lisbonne en 1987, je suis tombé amoureux de sa voix. J’ai décidé de faire quelque chose pour elle, j’ai donc décidé de lancer l’enregistrement d’un premier album et j’ai essayé de lui organiser des concerts. Sous un label : Lusafrica. Comme le projet n’intéressait pas grand monde, j’ai dû me débrouiller tout seul pour fabriquer le disque et le vendre. C’est comme cela que je suis rentré dans le milieu. J’ai beaucoup appris en vendant le premier donc j’en ai fait un second. J’avais cette fois-ci réussie à trouver une distribution chez Mélodie. Puis j’ai senti, en 1992, qu’il fallait que j’aie ma propre structure. J’ai commencé à travailler chez moi avec ma femme. Aujourd’hui nous avons plus de 200 références dont 50% de musique capverdienne, le reste se partageant entre l’Afrique et l’Amérique latine.

Afrik : Lusafrica est basé à Paris. Y a-t-il un véritable public français pour la musique capverdienne ?

José Da Silva : Cesaria Evora a intéressé et intéresse le public français. On vend plus de ses disques ici (en France, ndlr) que partout ailleurs. Mais je ne dirais pas qu’il y a un véritable marché pour notre musique en France. J’ai tout fait à Paris parce que j’y vis depuis l’âge de 13 ans. Mais la musique capverdienne se vend surtout dans les pays lusophones comme le Portugal, l’Angola, le Mozambique et autres, qui représentent 70% de notre catalogue.

Afrik : L’énorme succès de Cesaria Evora n’a-t-il pas empêché l’émergence d’autres artistes capverdiens et en ce sens n’a-t-il pas fait de l’ombre à la musique du pays ?

José Da Silva : Avant elle personne n’avait entendu parlé du Cap Vert. Ça ne peut que faire du bien au pays. Mais c’est toujours comme ça. Youssou n’Dour est l’exception du Sénégal. Dans tous style de musique, quand une star émarge, il faut un temps pour que les autres trouvent leur chemin. Si Cesaria Evora n’existait pas, beaucoup d’artistes capverdiens qui évoluent ailleurs qu’au Cap Vert n’existeraient probablement pas non plus. Elle a tracé un chemin qui permet aux autres de se faufiler. Le Cap Vert est riche d’artistes. Au Portugal, il y a une trentaine d’artistes qui se battent tous les mois pour sortir un disque. Et c’est pareil aux Pays-Bas. Il y a un engorgement au niveau de la production mais quelques noms commencent à se détacher. Quelqu’un comme Teofilo Chantre fait ses 70 concerts par an et vend des disques partout dans le monde, même s’il ne fait pas les scores de Cesaria. Idem pour d’autres jeunes comme Lura (chanteuse, ndlr) dont on parle beaucoup en ce moment.

Afrik : Au-delà de Cesaria et de certains autres, la musique du Cap Vert se résume, pour beaucoup, au cabo love (le zouk capverdien). Est ce vraiment une fausse image ?

José Da Silva : 80% de la production capverdienne sont constitués de cabo love. Mais ce courant n’a pas un succès international. Il n’intéresse que les jeunes Capverdiens, la communauté angolaise ou mozambicaine des boîtes de nuit. Mais ça reste du zouk avec des paroles capverdiennes. Ce n’est pas l’essence même de la musique capverdienne. Notre tradition est très riche. Nous avons neuf îles habitées dans l’archipel et chaque île a au moins un style. Et une île comme celle de Santiago en a une dizaine. C’est seulement maintenant que les gens commencent à découvrir tout le potentiel de notre musique.

Afrik : Quel est le rapport entre le cabo love et le zouk antillais ?

José Da Silva : Il est clair que les Capverdiens ont copié sur le zouk antillais. Il n’y a pas de style de ce genre au Cap Vert. Nous avons uniquement ce que nous appelons la coladeira qui est proche de la biguine antillaise. Quand le zouk a explosé au niveau international, il a eu un énorme succès au Cap Vert et dans tous les pays lusophones. Avec le temps, les Capverdiens l’ont adopté et développé. Maintenant le zouk capverdien a pris la place du zouk antillais.

Afrik : La musique capverdienne marche-t-elle en Afrique non lusophone ou aux Antilles ?

José Da Silva : Il n’y a que le Sénégal où il y a vraiment une tradition de musique capverdienne. Parce qu’il y a une grosse communauté là-bas et que notre musique fait désormais parti du paysage culturel sénégalais. Notre musique n’est pas connue au niveau des Antilles. Mais je suis persuadé que le jour où les Antillais s’intéresseront au zouk capverdien ça fera un malheur là-bas. Il y a un barrage des producteurs locaux. Je les comprends aussi, chacun protège son marché.

Afrik : Quels sont les grands noms de la musique capverdienne ?

José Da Silva : Tout le monde au Cap Vert vous dira que Bana (qui vit aujourd’hui au Portugal, ndlr) est incontestablement la voix masculine du pays. C’est celui qui a enregistré le plus d’albums. Il a raté un peu le coche parce qu’il a voulu gérer sa carrière lui-même, mais il reste LE monument de la musique capverdienne. Les gens adorent également Ildo Lobo, un artiste d’ailleurs que nous produisons. Nous avons du mal à intéresser l’Europe à ce qu’il fait, mais c’est l’artiste qui vend le plus d’albums au Cap Vert. Plus que Cesaria, plus que les jeunes du cabo love et même plus que Bana. Chez les femmes, il y a Titina, Celina et bien d’autres…

Afrik : Vous venez d’organiser trois jours de concerts à Paris dans le cadre des Nuits lusafricaines dont c’était la deuxième édition. Pourquoi un tel événement ?

José Da Silva : Les Nuits lusafricaines sont la vitrine de notre catalogue. Avec ce qui se passe dans le monde de la musique surtout de la world music, le concert est devenu un de nos principaux moyens de promotion artistique. Nos artistes ne passent pas à la télé à l’étranger et très peu sur les grandes radios nationales. Si nous n’avons pas les concerts, nous ne pouvons plus montrer nos artistes. Or il est très difficile de trouver des agents pour le faire. Les producteurs n’ont pas confiance. Donc nous sommes obligés de tout faire nous-même. Il y a deux ans, nous avions fait la première à l’Olympia, là nous avons été plus ambitieux et nous avons fait trois dates au New Morning (une salle de spectacle parisienne, ndlr) en présentant six artistes.

Suivez Afrik.com sur Google News Newsletter