Amobé Mévégué : « Je suis fier d’être Africain »


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Amobé Mévégué

Plus qu’une voix sur RFI ou qu’un simple patron de presse avec Afrobiz, Amobé Mévégué est avant tout un homme de convictions, militant activement pour le développement du continent et de la communauté noire en France. C’est debout qu’il compte mener son combat. Et c’est debout qu’il affronte ses détracteurs. Afrik vous invite à découvrir un bâtisseur aux idées claires qui ne laisse personne bafouer son identité africaine.

Ne l’appelez plus Alain (Mévégué). Son prénom est Amobé. Et il ne s’agit pas là d’une lubie ou d’un caprice de star mais bel et bien une démarche culturelle et identitaire. Le célèbre homme de média, que beaucoup ne connaissent qu’à travers RFI et son émission Plein Sud ou son bimestriel Afrobiz n’est pas un Africain de façade ou de circonstance. Amobé Mévégué est tout le contraire. Il veut du concret pour le continent et il s’attèle à le lui apporter. Cultivé, simple, accessible et équilibré, il se heurte pourtant souvent à l’incompréhension des gens qui le qualifient volontiers d’extrémiste. Car son identité africaine revendiquée et son franc parlé dérange. Il a consacré une heure d’entretien à Afrik pour nous expliquer son parcours et sa quête. Pessimiste quant à l’intégration des Noirs, africains et afro caribéens, dans la société française, il milite pour l’union et l’action, ne serait-ce que pour exister.

Afrik : Vous êtes à la fois un homme de radio, de presse écrite, de cinéma et d’images. Comment vous définissez-vous exactement ?

Amobé Mévégué : Il manque parfois des mots dans la langue française. Les Américains ont inventé celui d’entertainment et l’on peut mettre ce que l’on veut dedans. Je dirais que je suis un diseur de choses qui utilise tous les supports possibles pour cela. Je n’ai pas l’impression de me disperser. C’est la même énergie, simplement elle est déclinée différemment.

Afrik : Votre premier amour est le cinéma. Comment êtes-vous arrivé à la radio ?

Amobé Mévégué : J’ai effectivement fait un Deug (diplôme d’études universitaires générales, ndlr) de communication, une licence d’études cinématographiques puis une école de cinéma : le Conservatoire libre du cinéma français (CNFC, promotion 92-94). Mais j’ai eu la chance d’arriver à Paris au moment où les radios libres explosaient. Il y avait quelques aînés avant moi, tel que Claudy Siar, Aziz Diop, Félix Mandong etc. Et je me suis engouffré dans la brèche. J’ai commencé à faire toutes les radios afro, Tabala FM, Tropic FM, Media Tropical etc. Mais je gardais évidement en tête l’idée de faire du cinéma. J’ai d’ailleurs fait des cours métrages.

Afrik : Vous êtes un enfant de l’Afrique ou un Français d’origine africaine ?

Amobé Mévégué : Je suis le produit du colonialisme. Je suis né au Cameroun et je suis venu en France à l’âge de cinq ans. Il n’y a aucune différence entre moi et un cousin de la Caraïbe francophone. Qu’il en ait conscience ou pas. Quand je suis arrivé en France, je ne parlais pas de langues africaines. J’ai vraiment épousé la « francitude ». J’ai consommé du Michel Delpeche, du Mike Brant etc. J’étais voué à être un assimilé total mais j’ai fait le chemin inverse. Car au fur et à mesure je sentais que ce n’était presque pas naturel que je sois là (en France, ndlr). L’Afrique m’a rattrapé. J’ai reconstitué un corpus culturel africain en apprenant ma langue maternelle. Avec mon expérience professionnelles et avec ce que j’ai éprouvé en France, je me suis vraiment replongé dans l’Afrique.

Afrik : Comment avez-vous reconquis votre africanité ?

Amobé Mévégué : C’est Tarzan, cette parodie d’Hollywood, qui m’a sauvé la vie. Comme tous les mômes de la planète, je m’identifiais aux super héros. Comme je suis l’aîné de la famille, chez moi à la maison j’étais Tarzan. Et mes frères c’étaient Cheeta, Timba, Moungawa (les animaux de Tarzan, ndlr) et éventuellement les pauvres Africains, que je fouettais. J’avais sept, huit ans. Mais quand j’allais à l’école et que je reproduisais les mêmes schémas ludiques dans la cour de récréation, j’avais mes petits copains blonds aux yeux bleus qui me disaient : « Hé mais toi là tu te fous de notre gueule ou quoi. Toi t’es pas Tarzan. C’est toi Cheeta, Timba, Moungawa ! ». Au bout d’un moment je me suis dit que j’étais effectivement plus un Cheeta qu’un Johnny Weissmuller dans Tarzan. C’est comme ça que j’ai eu conscience qu’il y avait quelque chose de pas normal. Avant je ne me posais pas la question.

Afrik : C’était le début d’un long processus…

Amobé Mévégué : Je me suis posé la question de l’universel qu’on nous brandit toujours en France. Et pour moi l’universel, c’est l’acceptation de toutes les spécificités. Un Chinois a le droit d’être Chinois et de se fondre dans l’universel. Or ce qu’on nous propose en France, c’est d’oublier une partie de soi. Je ne peux pas accepter. J’ai eu tout un cheminement de pensée et de réflexion qui m’a amené à découvrir que mes ancêtres avaient enfanté l’une des plus flamboyantes civilisations de l’histoire de l’humanité : la civilisation égyptienne. Et que je pouvais sans avoir honte me réclamer d’autres choses de ce que la télévision offrait.

Afrik : Sur votre Etat civil vous répondez au prénom d’Alain, mais vous vous faites appeler Amobé pourquoi ?

Amobé Mévégué : La première fois que j’ai fait de la radio, je me suis fait appeler Prince Yassa, du nom du célèbre plat africain. J’ai également officié sous le nom de Kounta Kinté (du roman Racine, ndlr). Ce n’était pas un caprice mais une démarche. Parce que pour moi, c’est quelque chose d’important un nom. Il a une charge émotive et une charge historique. C’est la mémoire et le miroir de l’âme. Je trouve insensé que les gens puissent s’offusquer du fait que je revendique un héritage qui existe. Je suis fier d’être Africain. Lorsque j’ai été appelé à RFI, je n’ai pas compris la mécanique mondiale que c’était. Administrativement, peut être par négligence, on m’appelait Alain à l’antenne. Je porte encore le prénom d’Alain sur mon Etat civil mais je suis en train de faire une transcription pour adopter celui d’Amobe.

Afrik : Votre changement de nom n’a rien de religieux alors ?

Amobé Mévégué : Ça n’est pas religieux. Beaucoup de personnes se sont effectivement demandées si je n’étais pas devenu musulman. Et j’ai, modestement, compris ce que quelqu’un comme Mohamed Ali a pu ressentir et ce qu’il a du affronter en changeant de nom. Il y a beaucoup de gens qui ne me disent plus bonjour depuis que je me fais appeler Amobé. Alors j’imagine à quoi il a du faire face, lui qui était un mythe mondial, quand il est passé de Cassius Clay à Mohamed Ali. Dès lors qu’on est différent de la majorité et qu’on revendique une partie de sa minorité, on devient un extrémiste. Ils ne comprennent pas le discours. Alors qu’il s’agit, pour moi, d’un sentiment naturel d’appartenance.

Afrik : Pourquoi Amobé ?

Amobé Mévégué : J’ai fait une démarche. Chez nous (au Cameroun, ndlr) la filiation est patriarcale. Je porte le nom de mon père qui a apposé en plus celui de mon oncle. Mevegue Ongodo. Pour créer le prénom Amobé, j’ai fait une anagramme de tous mes patronymes. A de Alain, pour respecter le choix de ma mère, M de Mévégué, O pour Ongondo et B pour Bineli, le nom de mon grand-père.

Afrik : Vous êtes dans les médias depuis plus de dix ans. Avez-vous remarqué une évolution de la place des Noirs dans le paysage audiovisuel français ?

Amobé Mévégué : Je trouve que rien n’a évolué depuis le théâtre nègre de 1923 avec Joséphine Baker (danseuse africaine-américaine, ndlr), qui est la première icône noire mondiale célébrée comme telle. Surtout en France qui a, par ailleurs, accueilli et reconnu le talent de nombreux illustres jazzmen noirs parmi lesquels Louis Armstrong ou Sydney Bechet. La France a toujours eu ce paradoxe de cultiver un mythe pour les Noirs d’ailleurs et de pratiquer l’omerta pour les siens. La République était à la fois coloniale. La patrie qui a enfanté la Déclaration des droits de l’Homme avait en son sein des gens comme les philosophes des Lumières qui étaient souvent des patrons négriers ou des esclavagistes. Il y a toujours eu ce paradoxe entre la vertu qu’elle proclame et ce qu’elle applique vraiment. Aujourd’hui la posture est toujours la même. Il faut faire allégeance. Cela paraît contre nature en France d’être Noir et médiatisé. Cela paraît exceptionnel. Donc cela signifie que ce n’est pas encore entré dans les mœurs.

Afrik : Le tableau que vous dressez n’est-il pas un peu trop sombre ?

Amobé Mévégué : Ce n’est pas de la paranoïa. C’est ce que nos adversaires nous opposent en nous disant que nous sommes dans la victimisation. Est-ce que j’ai l’air d’une victime ! Je fais plein de choses, je voyage, je gagne bien ma vie. Je pourrai fermer ma gueule et bien au contraire : je dis que rien n’a changé. Où sont nos élites scientifiques ou intellectuelles dans les médias français ? Les choses n’ont pas évolué et je n’ai pas beaucoup d’espoir quand j’entends la direction de France Télévisions nous dire que pour changer la donne on va mettre plus de Noirs et d’Arabes…mais dans le public de certaines émissions dont ils ont dressé la liste ! Ce n’est pas une plaisanterie. Ils vont également nous proposer des contrats de qualification et de professionnalisation. Parce qu’on considère, a priori, que les Noirs ne sont pas déjà formés.

Afrik : La solution est peut être dans l’union. Mais on a l’impression que la communauté noire n’est pas vraiment solidaire, même si l’on a vu avec l’affaire Dieudonné qu’elle pouvait parfois se mobiliser…

Amobé Mévégué : Je ne suis pas de cet avis. Il y a de nombreux exemples de solidarité. Le problème est que nous n’avons pas de média focalisateur, nous n’avons pas de vitrine positive de ce qui ce passe véritablement dans la communauté. Nous n’avons pas un média national, ce qui paraît contre nature puisque les médias nationaux sont censés nous représenter. Mais comme ils ne le font pas, qu’est ce que l’on fait ? On site souvent cette anecdote mais elle est très symbolique : quand on présente la météo en France, on ne présente jamais celle de la Guadeloupe ou de la Martinique. Alors que ce sont deux départements français. Nous sommes obligés de nous organiser. Ce n’est pas par communautarisme : c’est un réflexe de survie naturelle. On créé des magazines qui nous ressemblent, on créé des magazines qui parlent de nos communautés.

Afrik : Vous appelez donc les Noirs à se prendre eux-mêmes en main ?

Amobé Mévégué : On nous dit que les choses ont évolué mais c’est comme la condition féminine, je ne pense pas que le statut de la femme va évoluer dans la tête des hommes. Je pense qu’il faut, ou des lois, ou vraiment une offensive citoyenne qui opère sur le créneau du capitalisme pur et dur. Et qu’on érige des médias qui nous représentent et que nous puissions être respectés pour ce que nous sommes.

Afrik : Vous avez justement créé le magazine Afrobiz. Beaucoup de personnes critiquent le support pour son manque de régularité …

Amobé Mevegue : Beaucoup de gens n’ont déjà pas compris que c’était un bimestriel. Donc dans leur tête, il sort une fois quand il peut. Il y a eu effectivement une période de restructuration de la société où il y a eu quatre mois d’absence. Nous sommes un jeune titre. Je m’étonne que tous ceux qui passent leur temps à critiquer ne se disent pas : « Celui-là il a sorti un magazine en 2001 en papier glacé et qu’il faut reconnaître quand même que ce qu’ils font, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, a quand même une certaine qualité. Ils sont encore là, quatre ans après, en train de se battre. Pourquoi ne les a-t-on pas soutenus ? ». Personne ou presque nous a soutenus. Afrobiz est un support que j’ai financé, seul, de ma poche. Je ne suis adoubé à aucune chancellerie africaine et ça tout le monde ne peut pas en dire autant. Et c’est une fierté de dire qu’on est au combat pour chaque numéro. Ça veut dire qu’on se bat pour positionner un support avec une certaine éthique et qui trouvera, à coup sûr, le chemin de sa pérennité. On tend vers la mensualisation. Nous allons encore étoffer le tirage et l’on sera beaucoup plus présent dès la rentrée notamment sur Internet.

Afrik : Combien coûte la réalisation d’un numéro d’Afrobiz ?

Amobé Mévégué : Tout compris, chaque numéro revient environ à 75 000 euros et l’on oscille entre 35 et 50 000 tirages. Je m’étonne que les annonceurs ne soient pas un peu plus solidaires parce qu’on a vraiment fait des efforts pour proposer un contenu et une qualité esthétique différents. Nous avons vraiment apporté quelque chose. Afrobiz est un produit qui parle à toute la communauté. C’est un magazine très équilibré. Si je ne remercie pas les annonceurs, je remercie en revanche toute la jeunesse africaine car nous vendons beaucoup plus en Afrique qu’en France.

Afrik : Vous avez développé ce que vous appelez le Pacte d’actions des synergies solidaires. De quoi s’agit-il exactement ?

Amobé Mévégué : Il est inadmissible que des jeunes Africains qui habitent la terre la plus riche du monde soient condamnés à être les esclaves universels. Les richesses sont mal distribuées. Nous avons notre part de responsabilité mais il y a aussi des grands systèmes contre lesquels il faut s’ériger. Nous nous sommes dit : à part critiquer qu’est ce que nous pouvons faire ? Nous avons créé un réseau d’actions citoyennes à travers le Pacte d’actions des synergies solidaires (Pass). Nous intervenons sur la santé, l’éducation, la protection de l’environnement et les métiers de la culture. Notre objectif est de créer des emplois directs pour la jeunesse africaine.

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