A l’écoute des mineurs isolés étrangers


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Le Service Mineurs d’Enfants du Monde -Droits de l’Homme, créé en 2001, accueille dans son centre parisien des mineurs isolés étrangers, dont une partie est originaire d’Afrique noire. Ces enfants sont pour la plupart « trafiqués ». Victimes de réseaux communautaires, ils se retrouvent dans des ateliers clandestins, sont obligés de mendier ou de se prostituer. Le point avec Marie-Claire Vallaud, directrice du Service.

Le Service Mineurs d’Enfants du Monde -Droits de l’Homme a été créé en 2001 par le docteur Gisèle Ritter, pédiatre, et Marie-Claire Vallaud, juriste, pour accueillir et orienter les mineurs isolés étrangers, en errance à Paris et dans la région. Le premier centre d’accueil de cette section a ouvert ses portes en juin 2002 et accueille aujourd’hui les enfants jour et nuit, 7 jours sur 7. D’octobre 2002 à septembre 2003, le service a reçu 307 jeunes et suivi 301 mineurs, dont 33% étaient originaires d’Afrique noire et du Maghreb. La capacité d’accueil du centre est de 8 enfants la nuit et une moyenne de 25 le jour. Capacité qui devrait doubler avec une extension des locaux prévue pour fin septembre 2004. Les enfants qui se présentent au centre ont généralement entre 13 et 17 ans et sont accueillis par une équipe pluridisciplinaire qui parle 28 langues et dialectes. Des travailleurs sociaux choisis pour leur expérience de la rue, du travail avec les enfants, de la culture d’origine et des langues, comme l’explique Marie-Claire Vallaud, actuelle directrice de la Section.

Afrik : Le centre accueille des enfants du monde entier mais en ce qui concerne les Africains, quels profils observez-vous sur le terrain ?

Marie-Claire Vallaud :
Certains mineurs isolés étrangers ont fui à cause de la guerre, ils peuvent être envoyés par leurs parents pour échapper à la situation de leur pays. Nous voyons aussi des enfants soldats, venant notamment du Liberia. D’autres sont des « migrants économiques » : des enfants qui doivent travailler et envoyer de l’argent aux parents. Mais le plus souvent, ils sont victimes de la traite des êtres humains en arrivant sur notre territoire et sont forcés à mendier ou à se prostituer. Et il y a les enfants « trafiqués ». Des enfants ramassés, vendus, volés, loués ou à qui on a promis un travail lucratif dans les pays riches et qui se retrouvent prostitués, à travailler dans des ateliers clandestins ou à être « petites bonnes ». Ce dernier phénomène touche les petites filles d’Afrique de l’Ouest. Exploitées 15h par jour, elles font le même travail qu’en Afrique, chez des familles d’origine africaine installées en France. Cela se passe dans un contexte familial et de communauté. Mais certaines petites bonnes, déjà isolées dans leur pays, viennent d’elles-mêmes. Celles que nous recueillons au centre sont parvenues à s’échapper. Le problème qui se pose alors c’est que l’employeur a souvent gardé les papiers…

Afrik : On entend aussi parler des enfants « mulets »…

Marie-Claire Vallaud :
Oui. Beaucoup d’adolescents camerounais sont des enfants « mulets », qui transportent la drogue. Souvent, ils sont déjà utilisés de cette manière au pays. Ce sont des orphelins, des enfants des rues. La perspective de venir en Europe fait qu’ils ne se posent pas de question. Ils n’ont pas de notion de bien ou de mal. Il y a aussi ces jeunes garçons, du Cameroun, du Mali ou du Congo qui viennent pour être embauchés par des clubs de foot et qui, quand on s’aperçoit qu’ils ne seront pas les Zidane de demain, finissent dans la prostitution forcée. On a accueilli deux cas comme ça. Pour tous ces enfants, on peut vraiment parler de « traite » organisée à partir de l’Afrique et qui trouve ses relais dans les communautés ou la sphère familiale. La famille entre en compte dans la structure des réseaux de la prostitution africaine. Tout se fait par « relation », au sein d’une communauté. Car c’est chaque communauté qui exploite ses propres ressortissants. Un Malien se fera toujours exploiter par un Malien.

Afrik : Comment se passe le premier accueil de l’enfant ?

Marie-Claire Vallaud :
On reçoit l’enfant dans sa culture. Quand un mineur arrive, il a toujours deux référents parmi nos éducateurs, dont un qui parle sa langue. On lui explique qu’il a des droits et des obligations. Tous les jours, il y a des cours de français-langue étrangère car un enfant doit pouvoir communiquer. Il n’est pas question de s’apitoyer sur leur sort. Je suis contre tout discours misérabiliste et contre l’assistanat. Je dis aux enfants qu’ils sont responsables de leur vie. Par le biais des cours d’instruction civique, on essaie de leur transmettre des valeurs de base comme la démocratie, la laïcité, l’entraide. Notre but est de faire que l’enfant soit acteur de sa vie. La notion de liberté n’est pas la même pour tous. On leur explique qu’ici, être libre, c’est avoir les moyens de faire un choix et en assumer les conséquences, qu’elles soient positives ou négatives. Pour la majorité de ces enfants, cette notion de liberté n’existe pas. Pour eux, il s’agit d’obéir aux parents, leur devoir le respect. Or, il est très difficile de dire à un enfant que ses parents sont irresponsables parce qu’ils l’ont envoyé ici.

Afrik : Ça doit être difficile de recueillir leurs témoignages…

Marie-Claire Vallaud :
Les enfants ne parlent pas, ceux qui se sont prostitués ne l’avouent pas facilement. On ne force jamais un enfant à parler, on le laisse s’exprimer lorsqu’une relation de confiance est établie. Ce sont des enfants pris entre le marteau et l’enclume. Par exemple, nous avions fait témoigner une « petite bonne » africaine sous couvert d’anonymat, pour montrer que les enfants trafiqués ne sont pas que des petits Roumains qui cassent les parcmètres. Malgré cela, la jeune fille a été reconnue dans son pays et a été menacée, a subi des pressions terribles. Nous avons donc adopté la règle de ne jamais parler des enfants lorsqu’ils sont au centre. Le centre est un lieu d’où rien ne doit sortir. Quand la douleur est trop grande, elle doit être traitée par un professionnel et nous orientons les enfants vers un psychiatre, psychologue ou analyste. Nous sommes un centre d’accueil et de rotation, le but est de faire entrer l’enfant dans une procédure de droit commun et qu’il soit ensuite pris en charge par l’Aide Sociale à l’enfance. Nous pensons qu’il faut traiter chaque enfant au cas par cas. Nous refusons d’avoir des méthodes de travail rigides. Il faut continuellement s’adapter à l’enfant.

Afrik : Certains enfants acceptent de raconter des choses mais celles-ci sont parfois très éloignées de la réalité.

Marie-Claire Vallaud :
Les enfants ne sont pas des menteurs, ils sont victimes des mensonges de ceux qui les instrumentalisent. Les passeurs demandent aux enfants de mentir. Résultat : ils ont un discours stéréotypé, racontent souvent que leurs parents sont morts et que c’est un oncle qui a payé leur voyage. Tuer ses parents, ce n’est pas innocent psychologiquement. Certains enfants, en grandissant, deviennent complètement schizophrènes. Ces enfants mentent à leur société d’accueil, il n’y a donc pas d’intégration possible. Ils continueront, une fois adultes, à se faire exploiter par leur communauté d’origine. Certains enfants sont aussi porteurs d’un espoir au village et donc ils mentent à leurs familles en disant qu’en France, tout va bien pour eux. Quant aux mineures africaines qui se prostituent sur le périphérique parisien, elles mentent sur leur âge, elles se vieillissent pour accéder aux demandes d’asile.

Afrik : Pourquoi ?

Marie-Claire Vallaud :
Pour avoir le doit d’asile, il faut être majeur ou avoir un tuteur. C’est d’ailleurs pour cela qu’on répertorie de nombreuses tutelles frauduleuses. Avant, on pouvait demander une tutelle d’Etat pour les 16-18 ans, ce qui permettait de faire une déclaration de nationalité. Depuis novembre 2003, pour faire cette déclaration, l’enfant doit être sur le territoire français depuis au moins 3 ans. A un moment, la France donnait la nationalité française très facilement mais donner la nationalité française à un enfant n’est pas forcément une très bonne chose. C’est comme un dénigrement de la nationalité d’origine. Et dans certains pays, la double nationalité n’existe pas. L’enfant en situation précaire en France est en danger, a besoin de protection : il va prendre la nationalité française sans en comprendre les enjeux jusqu’au jour où il voudra rentrer dans son pays et aura besoin d’un visa pour le faire… Il ne faut pas confondre nationalité et identité. Dans l’idéal, je suis pour qu’on donne à l’enfant un permis de séjour jusqu’à ses 24 ans pour qu’il puisse changer de nationalité en toute connaissance de cause. Mais il faut une vraie réflexion autour de la situation de ces enfants et ne pas proposer la nationalité parce qu’on a rien d’autre à leur offrir.

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