Le lapin en chocolat fait fondre la Russie


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Tablette de chocolat
Tablette de chocolat

Le chanteur Camerounais Pierre Narcisse fait un tabac en Russie avec sa chanson « Lapin en chocolat ». Un exploit dans ce pays où les incidents à caractère racistes ne sont pas rares. Avec ce tube, le jeune ex-locataire de « La fabrique des stars », un programme de télé réalité russe, estime avoir beaucoup fait pour changer l’image des Noirs auprès des Russes.

« Je suis un lapin en chocolat et je fonds si facilement en touchant tes lèvres… », chante Moudio Moukoutou Pierre Narcisse. Le jeune camerounais, âgé de 27 ans, est au sommet des hit-parades russes avec sa chanson « Lapin en chocolat ». Un titre qu’il interprète en russe et que tout le pays fredonne depuis des mois. Plus vedette que véritable chanteur, Pierre Narcisse s’est révélé au public au cours d’un programme de télé réalité crûment appelé « La fabrique des stars ». Avec son tube, mais également par son image, il explique à Afrik être parvenu à faire évoluer l’image des Noirs auprès des Russes. En effet, le pays fait plus souvent la une de l’actualité pour les violences commises par des groupes de skins contre des ressortissants africains que pour la qualité de son accueil.

Afrik : Avez-vous été surpris par votre succès ?

Pierre Narcisse : Surpris, ce serait trop dire de ma part, car depuis 1996, à mon arrivée en Russie, j’ai travaillé dur pour modifier l’image que les Russes ont des Noirs africains. On peut dire que je ne suis qu’au début de ma carrière. Comme un avion sur le tarmac avant de prendre son envol.

Afrik : Etes-vous le compositeur de la chanson « Lapin en chocolat »?

Pierre Narcisse : Non, la musique est du producteur, Maxime Sadeef, et les paroles de Rita Muller. Cette chanson a été écrite quand j’étais à l’académie des stars. Lorsqu’on m’a désigné pour sortir, le producteur m’a dit ‘tu peux aller te reposer, ta chanson, on va la chanter partout dans le monde’. Quand je me promenais, je l’entendais partout, dans les restos, dans les voitures…

Afrik : A-t-elle été écrite spécialement pour un Africain ?

Pierre Narcisse : C’est une chanson que n’importe qui peut chanter. Pendant les trois mois de l’émission, les producteurs de l’émission nous ont regardé, puis, selon nos caractères, ont écrit des chansons pour chacun de nous. Mais je m’y suis parfaitement retrouvé. Les filles aiment particulièrement la chanson, le côté macho… Un couplet dit par exemple « Si tu touches le bout de mes oreilles, tu risques de réveiller tous mes sens, tu risques de te perdre ». Les enfants aussi l’apprécient, pour le côté chocolat, « sucré à 100% ».

Afrik : La musique est-elle une vocation, pour vous ?

Pierre Narcisse : J’étais dans le ventre de ma mère que je chantais déjà. Au Cameroun, je faisais du saxo, je chantais également dans le groupe de l’école française, où j’ai étudié, mais tout cela, je le faisais en amateur. En Russie, j’ai commencé par faire du Rap, en français, puis, 1 ou 2 ans après, je me suis dit que si je voulais accéder à la scène russe, il me fallait chanter en russe. C’est là que j’ai commencé à chanter avec un Nigérian, en français et en russe. Nous avons eu un succès avec « Madame », mais les gens se disaient que nous restions des étrangers, belges ou français.

Afrik : D’autres africains ont-ils percé en Russie, avant vous ?

Pierre Narcisse : Jimmy J Mister Boss, qui faisait de la musique pop russe il y a 15 ans, a bien marché. Mais ce n’était pas de la grande scène. Je suis d’ailleurs devenu soliste de ce groupe quand le chanteur, Chérif, est parti à Londres. Aujourd’hui, tu peux allumer la télé et voir un Africain chanter. Un Camerounais m’a appelé un jour pour me remercier. Je lui ai demandé de quoi et il m’a dit qu’« avant, les Russes nous traitaient de nègres, mais maintenant, ils nous appellent ‘lapin en chocolat’. Ce n’est pas outrageant, car c’est positivement qu’ils disent cela. La chanson a quand même un peu changé l’image des Noirs. Selon les sondages, j’étais considéré dans « La fabrique des stars » comme le mieux élevé, le plus diplomate et amical, en quelque sorte. J’ai donné une bonne image de la communauté noire. J’ai même été invité par l’ambassadeur de France.

Afrik : Etiez-vous le premier Noir à participer à cette émission ?

Pierre Narcisse : Non, Chérif avait déjà participé à la première édition. Mais il était un peu agressif, il a fait des gaffes. Quand je suis allé au casting, ils ont d’abord refusé puis m’ont rappelé. Ils m’ont dit que Chérif avait fait du boucan. Beaucoup de gens m’appelaient pour me soutenir, des Africains mais aussi des Géorgiens, des Russes, des Français… Seule l’ambassade du Cameroun m’a ignorée. Elle ne se rendait pas compte qu’à travers cette émission, elle pouvait améliorer les relations entre nos deux pays. Aujourd’hui, quand je marche dans la rue, les mères russes viennent m’embrasser.

Afrik : Avez-vous personnellement été victime d’actes racistes ?

Pierre Narcisse : Bien sûr. Par exemple, il y a eu une grande bagarre au mariage de mon ami Chérif. La famille de sa femme, russe, nous attendait, et je me suis arrêté pour acheter un bouquet de fleurs. Lorsque nous sommes sortis du magasin, nous avons été attaqués par une trentaine de personnes. Le racisme touche particulièrement les Noirs, mais mêmes certains Américains, Français ou Chinois, par exemple, n’osent pas trop sortir le soir.

Afrik : Vous expliquez que la perception que les Russes ont des Noirs a changé. Comment vous voyaient-ils auparavant ?

Pierre Narcisse : Lorsque je suis arrivé en 1996, on disait que tous les Noirs étaient des vendeurs de drogue. Qu’ils ne savaient rien faire d’autre. On s’est alors dit qu’il fallait leur montrer qu’un Noir pouvait également étudier… Je suis sorti de la plus réputée des universités russes, avec un diplôme en journalisme. Il y a aussi un footballeur du Spartak Moscou, Tuisse, qui donne une bonne image des Noirs.

Afrik : Avant de vous rendre en Russie, en 1996, connaissiez-vous la situation des Africains en Russie?

Pierre Narcisse : Non. Au Cameroun, tout étranger est le bienvenu. Je pensais que c’était pareil ailleurs. Mais ici, c’était différent. Quand je suis arrivé, je voulais être pilote de ligne. Mais lorsque j’ai vu la ville où on m’avait envoyé, je me suis dit que je ne pouvais pas rester. Alors je suis allé à Moscou. Mais je n’ai pas aimé non plus. J’ai alors demandé un visa pour repartir au Cameroun, et pendant la semaine d’attente, j’ai répondu à un casting pour « Le Barbier de Sibérie », de Nikita Mikhalkov. J’ai été pris et quand je suis rentré à Moscou, j’ai été engagé comme mannequin. Je me suis alors dit que j’avais peut-être un peu de chance. Un jour, une journaliste de mode française est venue. Je lui ai fait part de mon envie de partir. Mais elle m’a dit qu’à Paris, ou New York, il y en avait des milliers comme moi. Alors qu’ici, le marché était fermé et que je pouvais persévérer.

Afrik : Y aura-t-il des chansons en dialectes camerounais, dans votre album ?

Pierre Narcisse : Oui, il y en aura. J’ai déjà chanté une chanson, « Akouna Matata », en Douala. Avant-hier, j’ai écris trois nouvelles chansons, ce qui fait six. Nous espérons sortir l’album avant la fin de l’été. Nous pensons également sortir « Lapin en chocolat » en anglais et en français.

Afrik : Pilote de ligne, journaliste, aujourd’hui chanteur, entendez-vous aujourd’hui vous consacrer à la musique ?

Pierre Narcisse : Je suis le premier Noir à avoir travaillé dans une radio russe, j’ai également été le premier à animer une émission à la télévision russe, sur MTV. J’ai reçu de nombreuses propositions mais comme je suis toujours en tournée… Mon souhait, à l’avenir, serait d’être présentateur d’un programme musical ou pour les enfants.

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