De plus en plus de prostituées africaines en France


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La montée en puissance, en France, des réseaux de prostitution originaires d’Afrique sub-saharienne inquiète l’Office central pour la répression du trafic des êtres humains (OCRTEH). Comme son nom l’indique, celui-ci est un organe de veille et de répression contre l’exploitation des êtres humains, notamment à des fins sexuelles. Son responsable, le Commissaire divisionnaire Jean-Michel Colombani revient sur le phénomène.

La France compte entre 15 000 et 18 000 « travailleurs du sexe ». En 2003, les deux-tiers de cette population était étrangère. Bien qu’elle ne dépasse pas en proportion celle des « filles de l’Est », le tiers de ces personnes était originaire d’Afrique sub-saharienne, selon l’Office central pour la répression du trafic des êtres humains (OCRTEH). Ces chiffres, qui n’ont cessé d’augmenter depuis 2000, constituent un motif d’inquiétude pour cette structure. L’OCRTEH constitue en effet, avec près de 60 experts sur la centaine que compte la France, le coeur du dispositif français contre la prostitution. L’une des missions principales de l’OCRTEH est de « centraliser au niveau national les renseignements pouvant faciliter la lutte contre le proxénétisme et coordonner l’action répressive des services de police et de gendarmerie ». Une structure unique en son genre en Europe qui connaît ses limites du fait de sa mission répressive. Entretien avec le commissaire divisionnaire Jean-Michel Colombani, chef de l’OCRTEH.

Afrik.com : Y a-t-il vraiment de plus en plus de prostituées africaines en France ?

Jean-Michel Colombani :
Entre 2002 et 2003, nous avons constaté une augmentation de la population des prostituées originaire d’Afrique sub-saharienne. En 2003, elles représentaient 27,5% des femmes victimes. Ce chiffre était de 20% en 2002, de 15% en 2001 et de 10% en 2000. De même, en 2002, nous avions démantelé six réseaux. En 2003, ce chiffre a doublé. C’est cela qui nous inquiète.

Afrik.com : A quoi tient cette recrudescence ?

Jean-Michel Colombani :
Les difficultés économiques… L’Afrique est un continent où il est difficile de survivre pour toutes les raisons que nous connaissons. Grâce aux moyens de transport, l’Afrique est à une encablure de l’Europe. Par ailleurs, l’implantation d’un réseau fait boule de neige.

Afrik.com : De quels pays viennent ces filières ?

Jean-Michel Colombani :
Quand je parle d’Afrique, j’entends principalement le Nigeria, le Cameroun et la Sierra Léone. A noter que les Nigérianes, sur le conseil de leurs proxénètes, se font généralement passer pour des Sierra léonaises et ont souvent des récépissés de demande d’asile politique.

Afrik.com : Comment ces réseaux sont-ils organisés ?

Jean-Michel Colombani :
Dans le cas de la filière nigériane, des personnes se rendent en Afrique pour recruter des filles qu’ils achètent auprès de leurs parents. Ils passent des contrats avec ces derniers. Puis c’est le passage chez le sorcier avec des objets souillés appartenant à la victime. Un lien se crée ainsi entre le proxénète et la prostituée qui utilise la famille comme moyen de pression sur cette dernière (l’un des membres de la famille pourra être victime d’un sortilège, ndlr). Elles arrivent alors en Espagne, en France ou en Italie, les principales destinations européennes, où elles vont se prostituer pour le compte de femmes, les « mamas », pour se libérer d’une dette, en général de 45 000 dollars qu’elles auraient contractées auprès de celles-ci. Plus tard, les victimes font elles-mêmes faire venir des filles… Le réseau camerounais est globalement semblable. Ce sont des filles qui souhaitent venir en Europe à qui l’on propose de prendre en charge leur voyage. Elles savent généralement qu’elles vont s’acquitter des frais occasionnés par leur déplacement en se prostituant. Les hommes dirigent les réseaux mais la prostitution se fait sous la coupe des femmes.

Afrik.com : Quelle est la politique française en matière de traite des êtres humains et notamment dans le cadre de la prostitution ?

Jean-Michel Colombani :
La France est un pays abolitionniste. La prostitution est libre mais considérée comme une activité qui porte atteinte à la dignité humaine. Par contre, le proxénétisme est sévèrement puni. La France dispose dans ce domaine de l’arsenal le plus complet au monde. Un proxénète est passible de 7 ans d’emprisonnement à la réclusion criminelle à perpétuité.

Afrik.com : Quelle est la place des lois Sarkozy dans cet arsenal ? Ont-elles eu un impact particulier sur votre travail ?

Jean-Michel Colombani :
La prostitution en France a évolué, elle est devenue de plus en plus le fait d’étrangers. Ce qui a occasionné des troubles à l’ordre public. Le racolage est alors devenu un délit qui, ainsi qualifié, permet de soustraire les personnes incriminées de la voie publique. Les « lois Sarkozy » permettent d’établir le contact avec les autorités administratives qui peuvent concéder un droit de séjour, assurer la protection de la victime en échange de sa collaboration. Sinon, ces lois n’ont pas révolutionné notre travail.

Afrik.com : Certains acteurs sociaux estiment que les lois Sarkozy visent spécifiquement les Africaines alors que les réseaux chinois seraient intouchables. Que répondez-vous à cela ?

Jean-Michel Colombani :
Les Africaines sont peu expulsées, car elles ont souvent des documents en règle. Ce sont plutôt les filles de l’Est, notamment Bulgares et Roumaines, qui ont fait l’objet de procédures de rapatriement. Sur 248 décisions d’expulsion en 2003, seulement une dizaine concernaient des Africaines – neuf Nigérianes et une Ghanéenne. En France, deux visions cohabitent. Il y a d’une part, le ministère de l’Intérieur qui souhaite que l’ordre public soit rétabli. D’autre part, les associations qui estiment que les personnes incriminées sont des victimes – une vision que nous partageons puisqu’on parle de victimes de trafic – qui doivent être prises en charge et bénéficier d’un droit de séjour, qu’elles collaborent ou non. Cependant, nous sommes dans un système de droit et l’OCRTEH est un service répressif. Nous estimons que ce volet social doit être mis en œuvre par les associations avec lesquelles nous collaborons. Par ailleurs, nombre d’Africaines ne souhaitent pas sortir de la prostitution compte tenu des menaces qui pèsent sur leurs familles. Depuis trois ans que je suis à la tête de l’OCRTEH, c’est seulement la semaine dernière qu’une Nigériane en a exprimé le désir. Je lui ai donné l’adresse d’une association. En ce qui concerne les réseaux chinois, ces derniers, lorsqu’ils organisent des activités délictuelles, le font généralement en milieu fermé : dans des appartements des quartiers chinois, à destination de Chinois. Il est donc très difficile de les appréhender.

Afrik.com : Les filières africaines présentent-t-elles des spécificités ?

Jean-Michel Colombani :
Les prostituées africaines semblent être forcées à tout pour de l’argent. D’où des pratiques extrêmes et une grande exposition au sida puisqu’elles n’utilisent pas toujours de préservatifs. C’est peut-être cela qui attire les clients et qui explique leur nombre croissant. Les réseaux, quant à eux, ne sont pas très structurés, je dirais même qu’ils sont un peu brouillons.

Afrik.com : Combien rapporte la prostitution ?

Jean-Michel Colombani
Une prostituée « gagne » 500 euros par jour. Les Africaines, moins : entre 200 et 300 euros voire 50 à 150 euros la semaine. Une somme qui peut être en partie ou totalement reversée au proxénète.

Afrik.com : Avez-vous constaté une augmentation, comme l’ont fait certaines associations, des mineurs prostitués d’origine africaine ?

Jean-Michel Colombani :
Nous n’avons pas effectué de constat particulier en ce sens. Sur les 900 victimes interpellées en 2003, 50 étaient des mineurs. Ils étaient majoritairement Français et originaires des pays de l’Est.

L’Office central pour la répression du trafic des êtres humains distingue trois catégories de personnes impliquées dans la prostitution : les personnes mises en cause – les proxénètes -, les victimes identifiées et les personnes prises en flagrant délit de racolage. En 2003, selon Jean-Michel Colombani, sur les 700 proxénètes arrêtés, 27 % étaient des femmes. 24% d’entre elles étaient originaires d’Afrique sub-saharienne, 4% d’Afrique du Nord et près de 34 % d’Europe de l’Est. L’Afrique noire représentait 35,5% de cette population étrangère et l’Europe de l’Est, 49,5%.
Concernant les victimes identifiées, 900 au total, 98% étaient des femmes. Les filles de l’Est représentaient 44% de personnes arrêtées et 27,5% était originaire de l’Afrique noire. Cinquante-six pour cent des étrangères étaient ressortissantes d’Europe de l’Est et 35% d’Afrique subsaharienne réparties comme suit : 41% pour le Cameroun, 28% pour le Nigeria et 16% pour la Sierra Léone.
Pour ce qui est du racolage, 2 400 personnes ont été interpellées. Elles sont ainsi réparties : Afrique noire, 31%, Europe de l’Est, 36% et France, 16%. L’Afrique représentait 37% – 53% venait du Nigeria, 18% du Cameroun et 18% de Sierra Léone – de la population étrangère et l’Europe de l’Est, 42,5%.
Sur le territoire, les principales villes où l’on retrouve les prostituées africaines son Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux. On retrouve, à Paris, 29% des Africaines contre 49% pour les Européennes de l’Est. A Lyon, elles supplantent les Européennes de l’Est : 46% contre 40%. A Marseille, la répartition est de 21% pour l’Afrique, 24% pour l’Europe de l’Est et 15% pour le Maghreb. Enfin, à Bordeaux, elles représentent 32% des « travailleuses du sexe ».

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