Tracy : Mon frère, mon proxénète


Lecture 6 min.
arton7263

Tracy, boursière de l’Etat camerounais, vient de terminer sa maîtrise en LEA en France (langues et civilisations étrangères) quand son frère, « grand homme d’affaires », lui demande de le rejoindre en Suisse pour y faire un stage dans son entreprise. C’est le début de son cauchemar. Tracy a 36 ans lorsqu’elle se confie à Amely-James Koh Bela.

La prostitution chez les femmes africaines prend de plus en plus d’ampleur en Europe et plus particulièrement en France. Alertée sur le sujet par Amely-James Koh Bela . Diplômée d’une école de commerce, c’est après une longue expérience dans le milieu associatif et dans l’humanitaire, qu’elle a écrit son livre La prostitution africaine en Occident. Afrik a décidé à sa manière de tirer la sonnette d’alarme. Ainsi nous vous proposerons dans les semaines à venir des témoignages récoltés par la Camerounaise entre 1995 et 2000 ainsi qu’une série d’articles de la rédaction sur la prostitution des femmes, des enfants mais aussi celle des hommes africains.

 Propos recueillis par Amely-James Koh Bela

«Je suis arrivée à Genève pour travailler avec mon grand frère dans ses sociétés. Mais le soir de mon arrivée, les ennuis ont commencé. Il m’a demandé de lui remettre mes papiers pour les mettre à jour et m’a aussitôt enfermée dans une chambre en me demandant d’être très gentille avec tous ceux qui allaient y entrer. Il m’a parlé de notre mère qui serait heureuse de savoir que j’ai épousé un homme qui va me rendre riche moi et ma famille. Malgré ce qui était en train de se passer sous mes yeux, je n’ai pas pensé une seconde que les affaires de mon frère étaient en fait le trafic des femmes et qu’il était en train de me vendre, de me prostituer. Ce fut ma première nuit avec un client : une nuit difficile. Cet inconnu qui était en moi en train de posséder mon corps, un corps que j’avais jusque-là préservé pour le prince de ma vie. Il n’a pas arrêté de la nuit. Il m’a demandé des choses dégueulasses et dégoûtantes, mais j’ai refusé la sodomie. Il est parti furieux et a laissé beaucoup d’argent sur la table. Le matin, mon frère est venu me gronder, il m’a giflée et m’a menacée en me disant qu’il ne me laissera pas détruire les affaires qu’il avait mis longtemps à monter. Il m’a dit qu’il le faisait pour nos parents pour qu’ils ne manquent de rien…

« Comme une chienne en cage »

C’est à ce moment que j’ai compris que mon frère tant aimé, tant respecté, était un « proxo ». Et j’ai alors fait le rapprochement avec une histoire survenue trois ans plus tôt, avec une cousine qui a écrit à nos parents pour se plaindre de ce que mon frère l’avait vendue à des Suisses. Mais personne n’y a cru, nous avons tous pensé à de la jalousie à cause du statut de mes parents qui fait jaser. Je ne peux pas croire que mon frère me prostitue, qu’il me frappe. De peur que je ne me sauve, il m’a droguée et m’a vendue dans un bordel en Hollande. Dès mon arrivée, la mère maquerelle, une vielle femme africaine est venue me violenter en m’attrapant par les cheveux et m’a fait comprendre que j’étais son esclave et que je lui avais coûté cher. J’apprends que j’ai une dette de 20 000 dollars, ce qui équivaut à 5 années de travail à plein temps. Elle me jette des bodys et des strings pour que je me prépare pour la nuit. Pendant 5 ans, je vais travailler pendant des heures, exposée dans une vitrine presque nue, livrée au regard des passants jour et nuit. Comme une chienne en cage. Des dizaines de clients à satisfaire par jour, la douleur au fond des entrailles, la violence, l’alcool, la drogue, pour soutenir le rythme infernal imposé par la cadence des clients…

Je me sentais sale, une machine à foutre, une poubelle, une vraie merde, je n’avais plus de larmes, ni de force, c’est dans la drogue que je me réfugiais. Mais je n’étais pas encore au bout des mes surprises. J’envoie un peu d’argent à ma famille qui ignore tout de ma situation…Un jour, je tombe sur un client suisse fortuné. Il viendra me voir pendant quatre journées d’affilée. Il finit par me réserver pour le week-end. Dans son hôtel, il a eu pour son argent. Pour me permettre de souffler, il me posait des questions sur la tristesse de mon regard, mes performances, ma beauté… Et c’est ainsi que le dernier soir, il m’a proposée de le suivre en Suisse. Je lui suis vendue assez cher, mais il donne un peu plus que ce que lui demande la mère maquerelle. Le lendemain, j’étais à nouveau en Suisse, suivant un inconnu, mon nouveau propriétaire qui me traîne partout comme une chienne en laisse. Mais je lui ai dit que je n’y connaissais personne.

Epouse, mère mais toujours « sa pute »

Chez lui, il m’installe dans une chambre. Il est aux petits soins, mais il a une relation de client et de prostituée avec moi. Je dois le satisfaire autant de fois qu’il veut dans la journée ou dans la nuit et ceci n’importe où. Ma vie dépend de ses envies. Je suis son esclave, sa chose, et, même s’il met tout en œuvre pour que je décroche de la drogue, il m’a sortie de la cage en verre et m’a mise dans une autre. Je mène exactement la même vie sauf que je n’ai qu’un unique client. Mais les aphrodisiaques dont il abuse me mettent dans un sale état car j’avais l’impression d’avoir reçu vingt clients dans la journée…Après trois ans de prostitution à domicile, il m’épouse malgré lui parce que je suis enceinte. Je lui fais une petite fille après le fils aîné. Mais à la maison, notre relation n’a pas changé. J’ai ma chambre et c’est là que tout se passe. Je ne suis pas assez propre pour lui pour coucher dans son lit. Je ne dors jamais avec lui. Je suis juste sa pute, parfois, il me paie quand j’ai été ‘bonne’. Adepte de l’échangisme, il me prête souvent à ses copains parfois pendant des jours et il reste avec les enfants.

Ainsi d’après lui, c’est l’argent que je gagne de cette façon que j’enverrai à ma famille et non le sien qui appartient à ses enfants uniquement…Malgré la situation qui peut être enviable pour les filles qui ne savent pas la vérité, je vis un enfer au quotidien. Je passe à la casserole à tout moment, mon mari et des inconnus sont mes clients. C’est horrible et je n’ai pas le choix. Je supporte cette vie de chien, je suis violentée et violée si je dis non. Mais pour ma famille et mes amis, j’ai réussi ma vie, j’ai épousé un riche Suisse et j’ai fondé une famille. La réalité est toute autre, je suis une pute à domicile, mariée à un pervers, je mène une vie de merde et je me consume lentement, je ne sais pas jusqu’à quand…»

 Commander le livre La prostitution africaine en Occident

Suivez Afrik.com sur Google News Newsletter