« Mon engagement politique est une démarche citoyenne »


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Madeira Diallo
Madeira Diallo

Madeira Diallo fait partie des quelques Français d’origine africaine présents sur les listes des partis politiques pour les élections régionales françaises de dimanche. Né au Sénégal, ce père de famille syndicaliste nous livre les clés de son engagement politique au sein de l’UDF de François Bayrou.

Madeira Diallo a 43 ans et figure sur la liste de l’UDF (Union pour la démocratie française, dirigée par François Bayrou) pour les élections régionales françaises, dont le premier tour se tient dimanche. Ce père de deux enfants, né à Dakar, au Sénégal, vit en France depuis 20 ans et a acquis la nationalité française dans les années 90. Venu pour poursuivre ses études (Sciences politiques, anthropologie, anthropologie politique et droit), il est resté à Paris par amour. C’est ce qu’on appelle en anthropologie, l’une de ses matières fétiches, une « rupture des motivations initiales ». Mais motivé, Madeira Diallo l’est toujours, cela ne fait aucun doute. Il nous explique son engagement politique.

Afrik : Comment êtes-vous « entré » en politique ?

Madeira Diallo : Je suis issu d’une famille très politisée. Mon père était syndicaliste au Sénégal. Il a été le premier à organiser une grève syndicale sous la colonisation, dans les années 30. J’ai plusieurs oncles qui ont été députés au Sénégal. Et si je m’appelle Madeira, c’est à cause du Malien Madeira Keïta, l’un des pères de l’Indépendance de la Guinée… Lorsque je suis arrivé en France, j’ai mené des actions politiques avec l’extrême gauche, pour défendre les droits des travailleurs immigrants. J’ai participé à des occupations d’usines, des manifestations… Aujourd’hui, je ne vis pas de la politique et ne souhaite pas en vivre. Je suis conseiller à l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi, ndlr) et mon engagement politique est une démarche citoyenne.

Afrik : Pourquoi militez-vous à l’UDF, alors que vous étiez plutôt positionné à gauche ?

Madeira Diallo : Je ne renie rien de mon passé mais je pense qu’aujourd’hui, certaines formes de lutte ne sont plus adaptées… Pourquoi l’UDF ? Parce-que c’est le seul parti qui ne m’ait jamais dragué ! C’est moi qui suis allé vers lui. C’est un parti centriste au sein duquel je retrouve des valeurs qui me plaisent et où la priorité est l’humain. En 2000, j’ai commencé à m’en rapprocher, à participer à des forums Internet. Et puis « l’Appel pour une France humaine » de François Bayrou a fini de me convaincre, j’ai adhéré et me suis fortement impliqué pendant les présidentielles de 2002. J’ai été élu par les militants responsable de section dans le 19ème arrondissement de Paris, dans lequel je vis depuis plus de 13 ans.

Afrik : Comment vous êtes-vous retrouvé sur la liste des régionales ?

Madeira Diallo : Apparemment, des personnes ont souhaité que je sois sur la liste. J’ai donc envoyé un courrier pour dire que je désirais y figurer. Les gens me connaissent car je suis aussi conseiller national et membre du bureau politique UDF-Paris. Je suis délégué régional adjoint du syndicat national des agents ANPE et co-animateur des équipes syndicales populaires, qui travaillent au niveau européen. Je m’implique aussi dans le Projet UDF qui concerne la coopération et le développement avec d’autres pays.

Afrik : Quel a été votre rôle pendant la campagne ?

Madeira Diallo : J’ai participé à des débats radio et aux meetings. Et tous les jours, je suis sur le terrain. Dans mon arrondissement mais aussi dans des endroits où les communautés africaines sont importantes. J’étais récemment à Grigny et à Corbeil-Essonne. J’ai décidé de moi-même de m’appuyer sur l’ethnique et de viser ces populations.

Afrik : Et ça marche ?

Madeira Diallo : Oui, en plus je suis en contact étroit avec des associations et quand je peux, je donne un coup de main. Je dépasse parfois le cadre de mon travail de conseiller pour sortir un chef de famille du chômage. Ça me fait des semaines très longues !!

Afrik : Vous pensez que les Français vont aller voter dimanche ?

Madeira Diallo : J’avoue que je ne lis plus les journaux sur cette question d’une possible abstention ! Ce que je peux dire c’est que dans tous les cas, l’abstention n’est pas une bonne chose pour la démocratie. Ces régionales seront un vrai test pour le PS (Parti socialiste, ndlr). J’aimerais bien sûr que l’UDF passe en tête en Ile-de-France car André Santini est le seul à proposer un vrai programme. On a l’impression que les autres se présentent parce-qu’il faut bien se présenter.

Afrik : Avez-vous d’autres ambitions politiques ?

Madeira Diallo : J’ai bien sûr un intérêt pour le 19è arrondissement et je pense être appelé à donner mon avis sur certaines choses le concernant. J’ai récemment travaillé avec Africagora* et même si je n’approuve pas leur idée de listes « black » pour les élections européennes, je participerai au débat !

Afrik : Vous êtes pour ou contre les quotas en politique ?

Madeira Diallo : Contre. Car rien n’empêche les Noirs de se présenter dans les partis. Il ne faut pas être présent juste pour apporter de la couleur, il faut être porteur d’un projet politique. En revanche, je suis pour les quotas en ce qui concerne l’accès à l’emploi et l’accès au logement car les niveaux sociaux ne vont pas se niveler eux-mêmes. Il faudra une loi de discrimination positive, c’est essentiel, pour donner un coup de pouce et d’accélérateur.

Afrik : Est-il difficile d’être noir en politique ?

Madeira Diallo : Quelque soit notre couleur, nous sommes toujours soutenus par la formation politique pour laquelle nous militons. Quelques vieux caciques de la politique pourraient freiner une certaine évolution vers plus d’ouverture mais les choses évoluent. De nombreux jeunes d’origine africaine et nord-africaine s’engagent à l’UDF, notamment dans le Val d’Oise où ils sont très actifs. A Paris, certains ont même des responsabilités. La force de l’UDF, c’est sa jeunesse, surtout au niveau des militants.

Afrik : Un maire noir à Paris, ce serait possible ?

Madeira Diallo : Pas partout. Un maire noir dans le 19è, c’est faisable.

Afrik : Vous retournez souvent au Sénégal ?

Madeira Diallo : Tous les ans. J’y ai des contacts avec des partis politiques. J’aide notamment Mamour Cissé, le président du PSD, un jeune Sénégalais qui a un projet très intéressant. Je m’engage pour l’Afrique en général par le biais du Projet de l’UDF et des relations Europe-Afrique qui y sont développées. Les accords ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique, ndlr) n’ont servi à rien, l’Afrique n’a pas avancé, il faut donc penser à mettre en place une meilleure coopération. C’est une problématique compliquée car je déteste le paternalisme !

Afrik : Que pensez-vous de la loi sur l’immigration de Nicolas Sarkozy ?

Madeira Diallo : Je vis les lois sur l’immigration en France comme des lois racistes. A chaque fois qu’on touche à la loi sur l’immigration, on s’attaque d’abord aux Africains. Les charters sont inacceptables pour un pays qui se revendique des droits de l’Homme. Cette façon de faire me rappelle Vichy et les Nazis. Ceux qui expulsent un jeune Sénégalais sans papiers semblent avoir oublié que son grand-père a payé le prix fort pendant la deuxième Guerre Mondiale pour libérer la France. Que fait-on de l’Histoire ? On ne va jamais vers plus de justice pour les Noirs. Porter atteintes aux statuts civils des migrants, les agresser dans leurs droits, cela veut dire agresser la France entière. Ce qui les touche nous touche tous.

Afrik : Quelle a été votre réaction lorsque Jean-Marie Le Pen est arrivé au deuxième tour de la présidentielle 2002 ?

Madeira Diallo : Cette possibilité était déjà évoquée 4 jours avant le scrutin et à 16h, c’était déjà confirmé ! C’était prévisible. Il y avait eu deux gros plans sociaux dans l’année, Moulinex et Marks & Spencer, et l’on sait que les extrêmes mobilisent. Il n’y a pas eu une montée très forte de l’extrême droite en chiffres, ce sont les autres qui n’ont pas été voter. Le Pen au second tour a révélé la naïveté de la gauche. Lionel Jospin a oublié de proposer un programme, il n’avait pas de projet pour l’avenir. Si Le Pen arrive au pouvoir un jour en France, alors je serai résistant, comme mes oncles l’ont été en 39-40.

*Africagora est né en 1999. C’est un club et une association composés d’entrepreneurs, de cadres et d’élus originaires d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique, et oeuvrant pour l’intégration économique, l’insertion professionnelle et la promotion sociale des minorités ethniques.

Voir aussi le site d’africagora et son action « Voter c’est compter »

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