Haïti ou l’invention de l’indépendance


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Toussaint Louverture
Toussaint Louverture

Haïti s’apprête à fêter le bicentenaire de son indépendance, à célébrer sa naissance en tant que première république noire du monde. C’était le 1er janvier 1804. Retour sur ces événements devenus une référence pour les Caraïbes et l’humanité entière.

1er janvier 1804. Saint-Domingue devient Haïti. Pour la première fois de l’Histoire, une ex-colonie européenne à population noire proclame son indépendance. Malgré ces débuts chaotiques, Haïti fait figure de référence. Et au-delà de cette destinée historique, il faut bien sûr évoquer l’homme par qui la liberté est arrivée. Celui qu’on a surnommé le « Spartacus noir » : Toussaint Louverture, dont le bicentenaire de la mort a été fêté en 2003. Fils d’un ancien roi du Bénin dont la tribu a été déportée à Saint-Domingue, ancien esclave affranchi, il devient lui-même maître de biens et d’esclaves. C’est pourquoi il ne participe pas aux premiers événements de l’insurrection générale des esclaves, des 22 et 23 août 1791 qui suit les différentes révoltes passées d’île en île (Martinique, Guadeloupe, Guyane). Il ne rejoint le camp des insurgés qu’à la fin 1791.

Après l’annonce de l’exécution de Louis XVI et de la déclaration de guerre de la France à l’Espagne, Toussaint rejoint l’armée espagnole dominicaine qui s’était jointe aux Noirs pour combattre la République française. En 1793, cette dernière décrète la liberté générale de tous les esclaves et Toussaint se rallie en 1794, avec son armée, aux autorités françaises. A la tête de ses nombreux partisans, il écrase les Espagnols. Il gravit rapidement les échelons de l’armée française et devient en 1797 général en chef de l’armée de Saint-Domingue, et, du même coup, premier général noir de l’Histoire. Il instaure alors un régime autonome dans l’île et met en place une première Constitution en 1801 qui le fait gouverneur à vie. Il tente ensuite d’unifier l’île : avec une armée de 40 000 hommes, épaulés par ses lieutenants Dessalines et Christophe, il occupe la partie espagnole. Il divise Saint-Domingue en six départements.

L’exil et la mort

En février 1802, Napoléon Bonaparte envoie une expédition militaire commandée par le général Leclerc pour rétablir l’esclavage et reprendre le pouvoir dans la plus riche des colonies françaises. Louverture ne plie pas. Malgré le débarquement des troupes françaises, les Noirs sont appelés à l’insurrection en février. Un conflit terrible s’engage. La soumission de Christophe et Dessalines oblige pourtant Toussaint à offrir sa reddition. Il est autorisé à se retirer sur l’une de ses plantations, dans l’ouest de l’île, d’où il reste en contact avec ses partisans. La France l’attire dans un piège pour le capturer. « En me renversant, on n’a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs. Il repoussera par les racines qui sont puissantes et nombreuses », déclarait-il alors de façon prémonitoire. Déporté en France, il meurt le 7 avril 1803 dans sa cellule de la prison d’Etat du Château de Joux. Les mauvais traitements, le climat et la solitude auront eu raison du grand homme. Mais pas de ses idées ni de son combat.

Alors que l’esclavage a été rétabli de force à la Guadeloupe, les généraux noirs et mulâtres de Saint-Domingue et leurs armées ont repris la guerre. Dessalines devient général en chef. La tentative de reconquête des Français tourne au désastre et devient la première défaite militaire de Napoléon : en novembre 1803, le commandant Rochambeau capitule et doit rembarquer. Sa flotte est capturée par la croisière anglaise. Le 1er janvier 1804, Haïti devient une nouvelle république où, selon les mots du poète Aimé Césaire, « la négritude s’est pour la première fois mise debout ».

Dédommager les colons

Le général Dessalines est proclamé Empereur sous le nom de Jean-Jacques Ier. Le nouvel Etat est libre mais toujours menacé : les Français restent dans la partie espagnole de l’île, où ils ont rétabli l’esclavage, jusqu’en 1809. Puis ce sont les Espagnols qui reprennent cette partie du pays.

En France, les projets de reconquête sont constamment agités et la polémique est vive entre anciens colons et partisans de la reconnaissance du nouvel Etat. Il faut attendre 1825 pour que l’indépendance et la reconnaissance diplomatique soient officiellement « concédées »… et encore, moyennant finances : Haïti devra payer, pour « dédommager » les colons dépossédés, une « indemnité » d’à peu près à peu près à 1,22 milliards d’euros payables en cinq ans. Le pays paiera pendant tout le XIXème siècle.

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