Les premiers barils du Tchad


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Un oléoduc
Un oléoduc

Le Tchad vient d’entrer dans le cercle très fermé des pays producteurs de pétrole. L’oléoduc qui doit transporter son brut jusqu’au Cameroun est opérationnel depuis le 15 juillet. Le pipeline est le projet pétrolier le plus ambitieux du continent, mais aussi le plus controversé. Décryptage.

Le mois de juillet 2003 restera dans les annales de N’Djamena. En effet, mardi 15, le Tchad a rejoint le club plus que select des pays producteurs de pétrole. Au terme de trois ans de construction, l’oléoduc de 1 070 km qui relie le bassin de Doba, au sud du Tchad, au terminal pétrolier off-shore de Kribi (sud-ouest du Cameroun), est enfin opérationnel. Le brut mettra deux mois pour rejoindre Kribi et il faudra compter deux mois supplémentaires pour le chargement du premier navire pétrolier. Le début de sa commercialisation est donc prévu pour novembre 2003. 50 000 barils devraient être produits dans un premier temps, passant à 70 000 et 90 000 et pouvant atteindre des pics de 250 000 b/j.

Les réserves de brut du Tchad sont estimées à 900 millions de barils. Leur exploitation, par le consortium composé d’ExxonMobil (40%), Petronas (Malaisie, 35%) et Chevron Texaco (25%), doit durer 25 ans. Pendant cette période, le pétrole devrait rapporter 80 millions de dollars par an au Tchad (soit 45 à 50% du budget national) et 20 millions au Cameroun. L’Etat tchadien intervient à hauteur de 5% dans le capital de Tchad Oil company, la société de commercialisation du brut, et à hauteur de 15% dans la même société, côté camerounais.

Villages vidés

D’un coût de 3,7 milliards de dollars (1,5 milliard pour le champs pétrolier et 2,2 milliards pour l’oléoduc), l’oléoduc Tchad-Cameroun est le projet pétrolier le plus ambitieux d’Afrique mais aussi le plus controversé. Son tracé a touché des centaines de communautés rurales, des villages entiers ont été vidés de leurs habitants sans programmes de relogement et de nombreux agriculteurs n’ont pas été suffisamment dédommagés pour la perte de leurs terres. Malgré les prédictions alarmistes des organisations de défense de l’environnement et des droits de l’Homme, la Banque mondiale avait donné son feu-vert au projet en 2000.

Aujourd’hui, même si le Président tchadien Idriss Déby assure que la richesse engendrée par la commercialisation du pétrole permettra au pays « de sortir de la grande pauvreté », de nombreux observateurs pensent qu’elle lui servira surtout à asseoir ses ambitions de leader de l’Afrique centrale. Pour preuve : en 2000, le gouvernement a déjà utilisé 4 millions de dollars d’avance sur recettes pour acheter des armes. Dans ce pays enclavé, parmi les plus pauvres du monde, « l’or noir est une source potentielle de conflits et un accélérateur de paupérisation », note Bakary Mana Bello, l’éditorialiste de Ialtchad, prenant en exemple les cas du Nigeria et de l’Angola.

Cadre législatif flou

Bakary Mana Bello note que « les retombées en terme d’emplois ne sont pas à la hauteur du projet : seulement 400 emplois permanents, côté tchadien, ont été créés par le consortium », la plupart mal rémunérés et non-qualifiés (l’essentiel étant des postes de chauffeurs et d’agents de sécurité). Il affirme que le pipeline a « bouleversé les zones de cultures et de pâturages » et que les agriculteurs expropriés sont venus grossir le nombre de chômeurs de la capitale.

Pour que la manne pétrolière soit un réel outil de développement économique et social dans un pays marqué par 30 ans de guerre civile et rongé par la corruption, l’exploitation du brut est théoriquement soumise à un conseil de surveillance formé de représentants du gouvernement, du Parlement et de la société civile. Bakary Mana Bello indique cependant que les « Tchadiens souhaitent l’indépendance de ce collège de contrôle vis-à-vis du Palais rose et de la primature ».

10% pour les générations futures

La Banque mondiale a obtenu de N’Djamena l’adoption d’une loi assurant une gestion « saine et transparente » des revenus pétroliers. Celle-ci prévoit que 85% de ces revenus seront investis dans les secteurs prioritaires (éducation, santé, environnement, eau, développement rural, infrastructures). 10% seront bloqués sur un compte d’une banque internationale à l’étranger, « pour les générations futures », et 5% iront d’office au bénéfice des populations de la région de Doba.

L’ONG américaine Catholic Relief Services pointe déjà les lacunes du cadre législatif : la loi ne concerne que les trois gisements de Doba (Komé, Miandoum et Bolobo) et pas ceux qui ne sont pas encore exploités. Elle reste muette sur les revenus tirés des taxes et des droits de douane qui représentent tout de même 45% du total des revenus. Elle est également évasive à propos de la répartition régionale des investissements alloués aux secteurs prioritaires, avec le risque que seule la région de N’Djamena en soit bénéficiaire. Ainsi, entre craintes et espoirs, les Tchadiens attendent de savoir ce que leur réserve l’or noir.

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