Sankara ou le mythe burkinabé


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Thomas Sankara
Thomas Sankara

Avant 1983, on évoquait la Haute Volta surtout pour ses coups d’Etat, ses famines chroniques, ses épidémies endémiques… En arrivant au pouvoir, Thomas Sankara, jeune capitaine marxiste, ne fait pas que rebaptiser le pays en le nommant Burkina Faso. Il incarne aussi un espoir pour le continent et un renouveau pour le pays. Portrait d’un révolutionnaire au « pays des hommes intègres ».

Dès que le nom de Thomas Sankara est prononcé, les conversations s’animent, les yeux brillent. Les titres de biographies le concernant sont évocateurs : « L’espoir assassiné », « Un nouveau pouvoir africain »… C’est un fait, l’héritage spirituel de Sankara est toujours vivant, quinze ans après son meurtre. « Consommons burkinabé » ou « La patrie ou la mort, nous vaincrons ! » sont autant de leitmotivs qui symbolisent le mythe Sankara. Sa faconde séduit chez lui comme à l’étranger et on le compare aux pères des indépendances Lumumba (ex-Zaïre) ou N’Krumah (Ghana). Chef de l’Etat burkinabé de 1983 à 1987, il incarne un renouveau idéologique en décrétant des lois qu’il commence par appliquer à lui-même et à son gouvernement.

Né à Yako en 1948, en pays mossi, il est silmi-mossi, une « sous-classe » méprisée par les féodaux mossi. Son père, Peul, est un tirailleur voltaïque, combattant « volontaire » qui a servi la France sur trois continents. De ses souvenirs d’enfance, il racontait avec humour les jours où son père se retrouvait en prison par sa faute. Comme la fois où, jeune frondeur, il s’était rendu aimable envers un enfant blanc dans l’espoir qu’il lui prête sa bicyclette et l’avait finalement prise sans autorisation pour faire le tour du village.

Chef militaire et politique

Quant au mythe, Sankara trouve ses racines au Prytanée militaire du Kadiogo. C’est là que le démon de la politique le saisit, sous l’influence du professeur et mentor Adama Touré, militant communiste. Passionné, animé par ses convictions, le verbe exalté, il devient un orateur populaire. En 1980, alors secrétaire d’Etat à l’Information du gouvernement Saye Zerbo, il démissionne du poste avec fracas au cri de « malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ! »

Zerbo renversé en 1982, le Conseil du Salut du Peuple (CSP), présidé par le médecin-capitaine Jean-Baptiste Ouedraogo, fait de Sankara son Premier ministre. Déjà, aux meetings, il enflamme les foules en scandant « Le néo-colonialisme, à bas ! L’impérialisme, à bas ! » L’aile conservatrice du CSP prend peur de la radicalisation de Sankara et de son entourage. Il se retrouve emprisonné et sous la pression populaire il finit par être relâché. Vivant alors dans la défiance, il fomente un putsch avec son ami Blaise Compaoré qui débouche le 4 août 1983 sur l’instauration du Conseil National de la Révolution (CNR).

Un peuple « conscientisé »

Dorénavant, le jeune Président Sankara oeuvre pour rendre dignité, autonomie et indépendance économique à son pays qu’il rebaptise Burkina Faso « le pays des hommes intègres ». Pour ce faire, il applique des mesures inédites, certaines impopulaires, d’autres maladroites. Il supprime l’impôt par tête pour les paysans. Sur le critère « un ménage, un foyer », il impose le lotissement des parcelles en ville. Une de ses plus célèbres directives reste la gratuité des logements pour l’année 1985.

Sur le plan social, il combat l’excision, réglemente la polygamie, améliore les conditions de vie de la femme et promeut l’alphabétisation des adultes. D’un autre côté, il musèle la presse et multiplie les emprisonnements politiques. Pour « conscientiser » le peuple, il n’hésite pas à licencier 2 600 instituteurs pour les remplacer par des enseignants révolutionnaires peu qualifiés.

En politique extérieure, il est très proche des autres régimes progressistes africains, celui de Kadhafi en Libye, de Rawlings au Ghana, de Museveni en Ouganda. Il souhaite s’affranchir de la tutelle française qu’il soupçonne fortement d’être à l’origine de son arrestation. Il relance le conflit avec le Mali en 1985 en provoquant la « guerre des pauvres ».

Hommes intègres

Pour combattre la corruption et l’embourgeoisement, il montre l’exemple avec les membres de son gouvernement : remisées, les Limousines et Cadillacs, désormais il faut rouler en Renault 5, des voitures qui consomment moins. Au placard, les costumes sur mesure, maintenant il faut porter du Faso dan fani, le tissu en coton burkinabé.

Le jour où il oblige les fonctionnaires à déclarer leurs biens pour faire l’objet d’une enquête, il est le premier à se plier à l’exercice publiquement et rit lorsqu’un journaliste lui fait remarquer qu’il est probablement un des chefs d’Etat les plus pauvres du monde. Chaque année, il dissout le gouvernement : « C’est une formule pédagogique révolutionnaire qui impose que soit rappelé à chacun qu’il est à un poste pour servir et qu’il doit en permanence se remettre en question », explique-t-il alors.

Jeudi noir

Lors de l’anniversaire de la révolution, le 4 août 1987, Thomas Sankara fait un bilan. La révolution est une réussite entachée d’erreurs et de tâtonnements. Le peuple l’a suivi mais il sent bien qu’il faut faire une pause. « Il vaut mieux faire un pas avec le peuple que cent pas sans le peuple. » Le chef d’Etat annonce alors un adoucissement politique qu’il ne pourra amorcer : le jeudi 15 octobre 1987, il se fait mitrailler par un commando sur le parvis du Conseil de l’entente, siège du CNR, avec une douzaine de ses collaborateurs. Blaise Comparoé, ami fidèle et bras droit, prend alors le pouvoir, déniant être à l’origine de cet assassinat.

Que reste-t-il aujourd’hui de l’héritage de Thomas Sankara ? Sans doute plus qu’une légende et quelques nostalgiques. Pour preuve : au Burkina Faso, les dernières élections législatives de 2002 ont connu la montée en puissance – et en sièges – de partis d’opposition se réclamant de sa vision politique.

Bibliographie

Roger Bila Kabore, Histoire politique du Burkina Faso, L’Harmattan, Paris, 2002
Bruno jaffré, Burkina Faso. Les années Sankara, L’Harmattan, 2000, Paris
Valère Somé, L’espoir assassiné, L’Harmattan, 1992, Paris
Jean Ziegler, Un nouveau pouvoir africain, PM Faivre, Lausanne, 1986

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