Congo-Brazzaville : du bal des inimitiés politiques


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L’arnaqueur (1961), un film de Robert Rossen. Nous y sommes au Congo, sous Sassou. Les hommes politiques congolais, ceux de la majorité présidentielle surtout, jouent à merveille le remake de ce film d’une profondeur inouïe sur l’amour et la haine, l’amitié et l’inimitié… Sarah et Gordon, les héros, sont tous deux intelligents, mais ce point commun fait d’eux des rivaux, c’est-à-dire des meilleurs ennemis.

A quelques jours de la mascarade législative, chacun au Congo retient son souffle. En effet, dans un pays où les inimitiés au gouvernement sont légion et massives, à l’arnaque politique, Sassou ajoute une épaisse couche à cette laideur. Ainsi, sa propre fille Claudia Sassou sera opposée (nommée, devrait-on dire) à son ami Serge Blanchard Oba (ancien patron et fossoyeur de la Société nationale de télécommunication) dans la cinquième circonscription électorale de Talangaï, le 6e arrondissement de Brazzaville. D’ores et déjà, les partisans des deux camps s’affrontent violemment dans les rues. Talangaï voit défiler au quotidien des files de 4×4 (des VX, Prado, Hummer) pour le compte de la fille du président de la République. On distribue à tout-va de l’argent, jusqu’à 30 000 FCFA, au marché du même arrondissement, ce qui déplaît aux partisans de Serge Oba. Une belle inimitié en perspective.

Le PCT (Parti congolais du travail), dont le suicide collectif a été retardé, est rattrapé par ses démons. Comment comprendre que deux ministres du même gouvernement s’étripent dans une même circonscription ? Le ministre du Tourisme Martial Kani défie à mort son collègue des Finances Gilbert Odongo, là-bas chez eux, à Owando. Certes ces deux ministres inutiles ne sont pas du même parti ! Le premier est du moribond RDD (Rassemblement pour la Démocratie et le Développement) et le second, de la première secte du Congo, le PCT. Il n’en reste pas moins qu’ils défendent le même programme du gourou, le vide du Chemin d’avenir. Ce charivari déroute les électeurs, si tant est qu’ils existent. Deux ministres candidats dans une même circonscription, cela signifie qu’ils n’ont pas d’atomes crochus et qu’ils ne peuvent travailler ensemble. Foin de la solidarité gouvernementale, vive la guerre !

« Il en sera tout autant pour le choc annoncé entre le secrétaire général et président par intérim du PCT (le parti au pouvoir), Pierre Ngolo,et le porte-parole du Club 2002- Parti pour l’unité et la République (PUR), Juste Désiré Mondelé, dans la première circonscription du cinquième arrondissement, Ouenzé », se pâment Les Dépêches de Brazzaville dans leur Bulletin-Elections du lundi 18 juin 2012.

Rira bien…

Et il va sans dire que Sassou Nguesso s’extasie des inimitiés au sein de ses ouailles et qu’aucune logique ne préside à ce délire. Mais rira bien qui rira le dernier, car ce qu’il ignore, c’est qu’il a pris un risque inconsidéré en catapultant ses propres enfants à la crête de la médiocrité qu’est l’arène politique congolaise. Il aurait dû se comporter en bon père de famille : protéger ses enfants dont l’image est déjà au ras des pâquerettes… Chacun, quel qu’il soit, a le droit d’être candidat. Le problème est que les enfants Sassou partent en campagne avec des avantages énormes. Tous les moyens de l’Etat sont mis à leur disposition, et il faut être d’une autre planète pour croire en la défaite de Claudia Sassou face son ami Serge Oba ; de même celle de Cristel Sassou à Oyo, aux dépens d’un mastodonte de la secte PCT, François Ibovi. Combien de temps Claudia Sassou a-t-elle travaillé pour disposer de ces 4×4 de luxe qui sillonnent Talangaï ?

Le 15 juillet prochain, de belles inimitiés viendront s’ajouter à celles qui minent le gouvernement.

Qui parle avec qui au gouvernement ?

Oui, le gouvernement congolais est une véritable cour de récréation, au grand plaisir du directeur d’école. Une grande savane où il faut être armé jusqu’aux dents pour survivre. Comment est l’ambiance aux Conseils des ministres ? « Nous nous épions, nos sourires ne sont que de façade », répond un sous-ministre sous couvert d’anonymat. Et d’ajouter : « Tant que ça plaira au lion, les lionceaux se chantourneront. »

On ne compte plus les rivalités, les désamours, etc. Les inimités les plus tenaces : Yoka-Mvouba, Mvouba-Djombo, Djombo-Yoka ; Mvouba-Mougani, Mougani-Djombo, Djombo-Ikouébé ; Nsilou-Ondongo, Ondongo-Mvouba…

Aux dernières nouvelles, Mvouba tente de desserrer le corset de la haine qui caractérise ses rapports avec Djombo. Il contacte, en catimini, l’entourage de son ennemi intime pour le porter au pinacle. « Djombo est un homme d’Etat ; Djombo est finalement bon », chantonne Mvouba. Mais nul ne sait la réaction de l’inamovible ministre du Bois aux chants langoureux de Mvouba à son égard. Toujours est-il que la tension entre eux semble se désamorcer.

Le dernier crêpage de chignon entre ministres remonte à un mois à peu près. Henri Djombo (encore lui) prépare le sommet de Rio. Dans cette perspective, le président de la République, désigné par ses homologues africains pour porter la voix de l’Afrique à Rio, invite la presse africaine à parler davantage de ce sommet.

A ce moment chaque ministre se bat pour être la plume du président. Le facétieux et thuriféraire ministre de la Communication, Bienvenu Okiemy, exige que ses services rédigent le discours du président de la République. Il est soutenu dans son combat contre Henri Djombo par Firmin Ayessa, le directeur de cabinet ou l’assistant du chef. Refus du cabinet du ministre de l’Environnement. Ce dernier avance l’argument selon lequel il s’agit d’un sujet sur l’Environnement et qu’il lui appartient de rédiger le discours du président destiné à la presse africaine. Les noms d’oiseaux « volent en escadrille ».

C’est une immersion dans le film Les Duellistes, de Ridley Scott. L’un cherche en permanence l’affrontement, l’autre sans cesse l’évite. Mais le combat final aura bel et bien lieu.

En fait, Bienvenu Okiemy est affecté du syndrome Lissouba : pas une journée sans qu’il ne parle de ses diplômes. Hélas ! Il n’a pas le niveau qu’il veut se donner. Il ne suffit pas d’être docteur en Droit ou en Génétique pour devenir un homme d’Etat. Non. Encore faut-il être pourvu d’une hauteur de vue indéniable, d’un sens aigu de la chose publique… Les Congolais savent où Lissouba les a conduits, de la « petite Suisse » fantôme au pré-chaos réel.

Au gouvernement, seul le sapeur Alain Akoula semble ne pas exécuter la rumba des inimitiés, sans doute grâce à son goût pour le beau. Mais son propre frère, Conseiller en sports du Chef de l’Etat, l’y attire. Ce dernier ne rêve que d’entrer au gouvernement et à la place… du cadet.

Les inimitiés sont loin d’être rabotées dans la majorité présidentielle. Jésus-Christ ne les interdit pas, c’est même nécessaire. Mais Il recommande de les aimer…

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