La FAO veut mieux encadrer la « bataille des terres »


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Le comité de sécurité alimentaire mondiale (CSA) de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a approuvé le 11 mai, lors d’une réunion extraordinaire à Rome et à l’unanimité, un papier d’une quarantaine de pages, baptisé « Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire ». Celui-ci vise à aider les gouvernements et les peuples à mieux gérer et encadrer les flux d’achat, de droit ou d’obtention de terres et des pêches à travers le monde.

Ce nouveau papier d’une portée historique et quasi inédite dans l’histoire de la FAO, présente les principes, les normes et les pratiques, censés servir de référence aux Etats et gouvernements dans le cadre d’élaboration de lois, de la gestion et de la mise en application des droits relatifs à l’accès aux terres, aux forêts et aux pêches dans le monde. Rappelons à juste titre que l’Afrique et l’Asie sont principalement visées par ces nouvelles directives, car ce sont les deux parties du globe, qui souffrent de plus en plus de cette course effrénée à la terre.

Les directives, mises sur pied dans le cadre d’un processus de consultation organisé par la FAO et négociées avec les représentants des gouvernements, des organisations de la société civile, des représentants du secteur privé, des organisations internationales et des universités, visent à garantir la sécurité alimentaire et le développement durable, notamment la sécurité d’accès aux terres, aux pêches et aux forêts et la protection des droits de millions de personnes à travers le monde.

Améliorer la gouvernance foncière

Elles entendent aussi améliorer la gouvernance foncière en mettant à la disposition des Etats et gouvernements des indications et des informations sur les pratiques acceptées au niveau international, contribuer à l’amélioration et à l’élaboration des cadres politique, juridique et organisationnel qui régulent l’ensemble des droits fonciers sur ces ressources et renforcer la transparence des systèmes fonciers et améliorer leur fonctionnement, les capacités et le mode de fonctionnement des organismes.

Ces problématiques de gestion de la terre sont d’autant plus important qu’il est nécessaire de rappeler les enjeux sociaux et économiques qu’ils représentent pour les populations des pays pauvres. Sur l’île de Madagascar, dans la région Sud ouest de Madagascar, 95 000 familles vivent en milieu rural. Ces populations, très souvent illettrées et vivant dans des conditions d’extrême pauvreté, doivent remuer ciel et terre pour trouver des moyens de survie au quotidien.

Une explication à cela c’est tout simplement leur « méconnaissance » par les pouvoirs publics. Seuls 7 % de ces paysans sont membres d’une organisation professionnelle. Plusieurs catastrophes naturelles tels que la sécheresse qui y sévit depuis 3 ans et les invasions de sauterelles n’ont fait qu’aggraver les conditions des vie de ces personnes sur l’île depuis 2010.

Beaucoup de transactions relatives à la terre, représentant environ 1,7 % de la surface agricole mondiale (Afrique, Amérique latine, Asie du Sud-Est, Europe de l’Est), font souvent l’objet de nombreuses rivalités entre les investisseurs américains, européens ou asiatiques dans les pays pauvres. Ceux-ci s’emparent des terres sur place au détriment des populations autochtones.

Ce document ne se veut pas seulement garant d’une meilleure gestion des espaces terrestres et fluviaux ou de l’amélioration des conditions d’exploitation de ceux-ci dans les quatre coins du monde, mais entend aussi combattre la forte « mainmise sur les terres » par des groupes et gouvernements minoritaires au grand dam des pays pauvres. La FAO a ainsi voulu mettre au cœur de ses préoccupations, les droits de l’homme et la protection de l’environnement, par le renforcement des moyens de subsistance, la promotion et l’amélioration de la sécurité alimentaire locale, le combat de la pauvreté, la création d’emplois et l’octroi des privilèges particuliers aux pays et à leurs peuples, plus exactement « aux plus pauvres et plus vulnérables ».

Renforcer les organisations d’agriculteurs

Il sera également question de renforcer les organisations d’agriculteurs et de petits producteurs, pêcheurs et utilisateurs de la forêt, des pasteurs, des peuples autochtones et autres communautés, de la société civile, du secteur privé, du monde universitaire, et de toute personne concernée par la gouvernance foncière, et promouvoir la coopération entre ces divers acteurs. La dignité humaine, la non-discrimination, l’équité et la justice ou encore l’égalité des sexes sont également les maîtres-mots qui viennent entre autres renforcer les volets administratif et politique du dispositif.

Outre l’aspect humain du document, plusieurs autres considérations ont été retenues, devant une fois de plus renforcer le statut du propriétaire terrien et par ricochet la position des petits paysans, très souvent en mauvaise posture, démunis et incapables d’influencer d’une manière ou d’une autre les situations contraignantes auxquelles ils doivent faire face et le rapport de force qui les lie avec leurs acquéreurs. Ainsi certains principes de droits aux communautés autochtones ont été formulés, tout comme des mécanismes de résolution des conflits aux droits fonciers. On retiendra par ailleurs la gestion des expropriations et la restitution des terres aux communautés évincées par le passé, la gestion de l’empiètement des villes sur les zones rurales ou encore la garantie de la responsabilité et la transparence des investissements dans les terres agricoles, pour ne citer que ceux-là.

L’accord des gouvernements représente une « percée historique »

Dans son discours d’intervention sur l’adoption du document, le Directeur général de la FAO José Graziano da Silva, a estimé que « donner aux populations pauvres et vulnérables une sécurité d’accès et des droits équitables à la terre et aux autres ressources naturelles, est une condition fondamentale de la lutte contre la faim et la pauvreté ». Avant de poursuivre en qualifiant cet accord intergouvernemental et mondial de « percée historique » et de conclure que désormais tous, gouvernements et peuples ont « une vision commune qui servira de point de départ pour contribuer à améliorer la situation souvent dramatique des pauvres et des affamés ». Il a également indiqué que la FAO serait prête à offrir son soutien et son assistance aux pays pour l’adaptation et la mise en œuvre des directives.

Le directeur du CSA, le nigérian Yaya Olaniran, visiblement très satisfait de ce grand pas au sein de la FAO, a estimé que « ces directives sont le fruit d’un processus inclusif de consultations et de négociations qui a duré trois ans, rassemblant de multiples parties prenantes et donnant à beaucoup d’entre elles voix au chapitre », avant d’en appeler aux chefs d’Etat et de gouvernement qu’il leur revient désormais de mettre en application les directives qu’ils ont approuvées.

« Une administration locale des registres fonciers ne doit pas être entachée par la corruption »

Luc Maene, Président du Réseau « International Agri-Food Network », porte-drapeau du secteur privé, a déclaré que pour le secteur privé « il est important qu’une administration locale efficace des registres fonciers ne soit pas entachée de corruption. Des règles équitables et transparentes servent l’intérêt général, en garantissant aux femmes une égalité d’accès à la terre et en encourageant l’investissement responsable tout au long de la filière agroalimentaire ».

Paul Mathieu, expert foncier à la FAO, voit aussi dans le texte adopté la possibilité de « rendre accessibles les lois foncières aux plus pauvres ». Il estime que ce dispositif permettra de déboucher, par exemple, sur la mise en place de certificats fonciers comme en Ethiopie, à Madagascar ou au Niger. De tels titres légaux garantissent les droits des paysans, même si leur mise en place est souvent complexe.

Toutefois il convient de rappeler qu’au-delà du caractère historique et ambitieux que revêtissent ces directives, il ne s’agit que de directives d’application facultative, censées juste exposer les règles, les principes et les normes internationalement reconnues et dont la mise en place est souvent complexe. C’est ainsi que plusieurs ONG et associations de droit à une alimentation digne et équitable, n’ont pas manqué de faire entendre leur regret, car selon elles, les directives n’étant pas obligatoirement applicables, il faudra donc que les États concernés se les approprient et les appliquent.

Depuis de nombreuses années, les ONG n’ont eu de cesse de dénoncer la forte influence négative de la course à la terre dans les pays pauvres, qui se traduit par des achats massifs et gigantesques de terres agricoles. Encore une fois l’Afrique et l’Asie en payent cruellement le prix.

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