Jean Christophe Servant : « La menace Boko Haram sert les intérêts de beaucoup de personnes »


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Le Nigeria est en proie depuis plusieurs années à des attaques meurtrières menées par la secte Boko Haram. La dernière en date, les attentats de Noël contre la communauté chrétienne, qui ont fait 44 morts. L’organisation, qui fait beaucoup parler d’elle dans les médias, est en réalité méconnue. Qui se cache derrière Boko Haram ? Éléments de réponse avec Jean-Christophe Servant, journaliste spécialiste du Nigeria pour Le Monde diplomatique.

Afrik.com : Boko Haram est à nouveau au cœur de l’actualité depuis les attentats de Noël qu’elle a revendiqué. Mais la secte est méconnue. Qui se cache derrière Boko Haram ?

Jean Christophe Servant :
On ne sait pas trop qui se cache derrière cette organisation. On ne sait pas non plus qui en est le chef. C’est une forme de nébuleuse dont tout le monde parle sans savoir de quoi il s’agit. Même les autorités nigérianes ne savent pas réellement à qui elles ont à faire. La preuve en est que le président Googluck Jontahan tente régulièrement d’envoyer des émissaires pour discuter avec le groupe mais ils ne trouvent pas d’interlocuteurs. Des chercheurs mènent des études pour répondre à toutes ces questions. Il faut être très prudent lorsqu’on parle de cette organisation. Il y a beaucoup de supputations de part et d’autre. Contrairement aux idées reçues, Boko Haram n’est pas composée que d’islamistes. C’est une organisation très complexe en réalité. D’ailleurs jusqu’à mi-2010, les attaques que menait Boko-Haram n’étaient pas à l’encontre de la communauté chrétienne mais contre les musulmans. C’était une guerre interne entre musulmans sunnites, on peut même parler de règlement de compte. Ce n’est que fin 2010, que Boko Haram a commencé à s’en prendre aux chrétiens. Pourquoi ce changement de cible ? Je ne sais pas. Il est encore trop tôt pour répondre à cette interrogation.

Afrik.com : Hormis les islamistes, de quels autres membres est composée Boko Haram ?

Jean Christophe Servant :
Boko Haram est composée de militaires démobilisés de l’armée nigériane. Comme on peut le constater, le groupe utilise du matériel militaire explosif très sophistiqué pour mener ses attaques. On y trouve aussi des criminels qui veulent déstabiliser le pouvoir central, et aussi une partie de la jeunesse nigériane, originaire du nord du pays, désespérée par ses conditions de vie très dures. Lorsque vous avez une jeunesse sans perspective d’avenir, il est en effet très facile de l’instrumentaliser. Il y a notamment d’anciens membres de l’organisation islamiste Maitacine, qui a sévit dans le pays durant les années 90, bien avant Boko Haram. Maitacine, originaire du nord du pays, revendiquait un islam très radicale et fondamentaliste, avec en ligne de mire l’instauration de la charia. Mais l’organisation a été durement réprimée par les autorités du pays. Il faut aussi savoir que dix Etats du Nord du Nigeria appliquent la politique de la charia. Les populations au début avaient porté beaucoup d’espoir sur cette politique de la charia, croyant que leurs conditions de vies allaient s’améliorer. Mais elles ont été très déçues car elles n’ont pas vu de changement. La charia n’a pas été au bénéfice des plus pauvres.

«Dès que le Nigeria tousse, les prix du pétrole grimpent»

Afrik.com : Boko Haram n’est pas composée que d’islamistes. Donc quels sont les intérêts des autres composantes du groupe ?

Jean Christophe Servant :
Les médias occidentaux ont une vision très dichotomique du Nigeria. Ils donnent l’impression que les attentats de Noël sont dus à une guerre entre musulmans et chrétiens. Mais les choses ne sont pas si simples. Le Nigeria est un pays très complexe avec 160 millions d’habitants. Un Africain sur trois est Nigerian. C’est aussi le premier pays producteur de pétrole en Afrique, devant l’Angola et l’Afrique du Sud. Il fait donc l’objet de convoitise par les puissances étrangères et les pays émergents, tels que la Chine, l’Inde ou le Brésil. En réalité, la menace que représente Boko Haram pour le Nigeria sert les intérêts de beaucoup de personnes. Y compris les pays occidentaux qui assistent ainsi Goodluck Jonathan dans sa lutte contre l’organisation. On est dans une sorte de jeu qui se mène en coulisse. Il y a donc des intérêts politiques et économiques qui doivent être pris en considération. Avec les attentats de Noël, les prix du pétrole vont monter sous prétexte que le Nigeria est le théâtre d’une guerre entre différents communautés religieuses. Dès que le Nigeria tousse, les prix du pétrole grimpent.

Afrik.com : Pouvez-vous nous expliquez les interêts que certains Nigerians peuvent avoir en se revendiquant de Boko Haram?

Jean Christophe Servant :
Le nord du Nigeria est très pauvre contrairement au sud qui s’est développé ces dernières années. Et contrairement aux idées reçus, le nord n’est pas composé que de musulmans, il y a aussi des chrétiens qui y vivent. Depuis les années 2000, les Etats du nord n’ont cessé de partir en turpitude. Ils se sont appauvris et les entreprises ont mis la clé sous la porte. Cette situation a ainsi poussé beaucoup de jeunes a adopté la casquette Boko Haram pour participer aux troubles que l’organisation crée dans le pays. Pour la jeunesse c’est une espèce de cri de colère contre le pouvoir. Les jeunes sont très faciles à manipuler dès qu’ils reçoivent un peu d’argent. Mais dans le sud du Nigeria, il y a des sectes aussi folles que Boko Haram, qui commettent des crimes. Le sud n’est pas composé que de chrétiens, des musulmans y vivent. Encore une fois le Nigeria est un pays très complexe.

Afrik.com : Comment vivent les populations du sud ?

Jean Christophe Servant :
Le Sud du Nigeria qui s’est développé profite beaucoup plus des ressources du pétrole que le nord. Il est même très probable que des groupes politiques du nord, qui réclament une meilleure redistribution de l’argent du pétrole, se revendiquent de Boko Haram, à travers différentes attaques, pour envoyer un signal au pouvoir. Aujourd’hui, le Nigeria vit une situation politique inédite, avec l’arrivée au pouvoir du président Goodluck Jonathan qui est sudiste, et issu d’une ethnie minoritaire, Idjo. Ces prédécesseurs étaient généralement originaires du nord. Même le chef d’Etat major de l’armée qu’il a nommé est sudiste contrairement aux précédentes années. C’est donc une géométrie inédite. La composition ethnique des forces au Nigeria a changé.

Afrik.com : Quels sont aujourd’hui les véritables attentes du peuple nigérian ?

Jean Christophe Servant :
Aujourd’hui, il est sur que les principales préoccupations des Nigerians ce n’est pas Boko Haram mais la réduction du prix de l’essence qui ne cesse de grimper. Plus de la moitié de la population du Nigeria vit avec moins de deux dollars par jour. On assiste à l’émergence d’une classe moyenne à Lagos et à Abuja, mais que représente-t-elle face aux millions de Nigerians ? Cette classe moyenne est d’ailleurs généralement composée d’occidentaux qui sont complètement coupés des réalités du pays. Il y a beaucoup de colère de la part de la population due aux conditions de vie très difficiles dans le pays.

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