Alexandre Djouhri, de la cité à l’Elysée


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La République des mallettes, le nouveau livre de Pierre Péan permet de découvrir Alexandre Djouhri, un petit caïd algérien de banlieue devenu l’un des intermédiaires occultes les plus influents de la sphère politique et économique française. Un itinéraire digne d’un grand polar de cinéma qui met sur le devant de la scène un homme hier encore inconnu du grand public et aujourd’hui à la Une de toute la presse.

Dans son nouveau livre « La République des mallettes » qui sort mercredi, le journaliste d’investigation Pierre Péan – auteur notamment d’ « Une jeunesse française : François Mitterrand 1934-1947 », « Affaires africaines » en 1983 ou « Noires fureurs, blancs menteurs : Rwanda 1990-1994 » en 2005 – raconte le parcours d’Alexandre Djouhri, homme central de la politique et de l’économie française, jusque là inconnu du grand public. Un parcours qui débute à Sarcelles, en banlieue parisienne, pour se terminer dans le bureau du président français Nicolas Sarkozy. Après Le Monde du vendredi qui lui a consacré sa Une et une pleine page, c’est l’hebdomadaire Marianne du 10 septembre qui le met en avant en publiant une enquête et plusieurs pages du livre de Péan.

Né le 18 février 1959, Ahmed Djouhri grandit à Sarcelles, dans la banlieue parisienne, où il s’impose vite comme un caïd de la cité, avant de faire ses preuves dans le milieu du coté de Montmartre, explique Péan. Un parcours relativement classique, mais Ahmed Djouhri se fait déjà remarquer pour son ambition d’une part et pour sa parfaite maitrise de la langue française et son bagout d’autre part. Cela lui permet de côtoyer des gens de tous les milieux et de s’introduire dans la jet-set parisienne, où il rencontre Anthony Delon, avec qui il lancera une marque de vêtements. En 1986, il fait l’objet d’une tentative d’assassinat et récolte une balle dans le dos, ce qui correspondra à la fin de sa première vie.

La seconde vie d’Ahmed Djouhri

Ahmed Djouhri va alors rencontrer un policier corse, François Antona, proche de Charles Pasqua. C’est le début d’une seconde existence. D’abord Ahmed obtient la nationalité française, prenant le prénom d’Alexandre, en référence à son héros Alexandre le Grand, et se fait domicilier en Suisse. Il sait être petit à petit un homme incontournable et gravite dans les méandres des affaires d’Elf, la société pétrolière française qui finance à tour de bras les politiques… avec de l’argent africain. Quelques années plus tard, il devient un intime de Dominique de Villepin, alors Secrétaire général de l’Élysée, sous la présidence de Jacques Chirac, et poursuit son ascension dans le milieu économique en se rapprochant des grands patrons du CAC 40… Il est dès lors un personnage incontournable dans les grands contrats de l’Etat français, donnant lieu à des systèmes de rétro-commissions. Influent sur l’Afrique où son nom est mêlé à l’Angolagate, raconte Péan, il est aussi présent sur l’Algérie et plus tard se développe sur la Russie où son fils a épousé la fille d’un puissant oligarque.

En parallèle, il négocie brillamment le passage de Chirac à Sarkozy. Soupçonné d’être l’instigateur de l’affaire Clearstream, il parvient à se rabibocher avec celui qui devient président de la République française, à tel point, explique Marianne, qu’il circule librement à l’Elysée et qu’il utilise quand il le souhaite le bureau de Claude Guéant, nouveau Secrétaire général de l’Elysée, auprès de Nicolas Sarkozy. En parallèle, il s’offre le luxe de rester fidèle en amitié, et reste un proche de Dominique de Villepin, pourtant ennemi juré de Sarkozy. Afrik.com a d’ailleurs révélé début septembre qu’Alexandre Djouhri avait déjeuné peu avant avec Villepin et Ali Bongo. Au menu, il y avait les informations sur le contenu du livre de Pierre Péan qu’Ali Bongo aurait tenues de Robert Bourgi, celui là même qui défraie la chronique aujourd’hui avec ses révélations sur les financements par l’Afrique des hommes politiques français, jusqu’en 2007 et l’élection de Nicolas Sarkozy… Alexandre Djouhri est donc encore au centre de l’histoire, sans que l’on sache exactement quel est son rôle.

Où s’arrêtera l’ascension d’Alexandre – Ahmed Djouhri ?

Après avoir toujours vécu dans l’ombre des puissants, Alexandre Djouhri est aujourd’hui à la Une de la presse, grâce au livre de Pierre Péan. Une publicité dont il se serait sans aucun doute bien passé, lui qui se présente, toujours selon Péan, comme le premier actionnaire de Véolia, avec 8% du capital, et comme l’homme à la manœuvre de la stratégie nucléaire française visant à dépecer Areva au profit du Qatar et d’EDF, dirigé par son « ami » Henri Proglio qu’il n’hésiterait pas à traiter devant témoin comme son subordonné. Maintenant quinquagénaire, Alexandre Djouhri pourra-t-il entamer une troisième vie ? Après le jeune caïd algérien de banlieue, l’homme d’affaire de l’ombre sous Pasqua et Chirac, il est peut-être temps pour le fringant milliardaire d’assumer son succès : n’est-il pas, avec toutes ses zones d’ombre, un exemple original de la réussite de l’intégration à la française? Nul doute que de nombreux cinéastes français y trouveront une source d’inspiration pour leurs prochains films, ce qui permettra de sortir des clichés sur les jeunes de banlieue… incapables de s’intégrer aux élites !

Lire aussi autour du livre de Pierre Péan : Affaire Bourgi : Sarkozy lâche t-il la Françafrique ?

Pour Commander le livre de Pierre Péan : La République des mallettes (relié, 484 pages, chez Fayard, 14 septembre 2011)

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