Yto Barrada, une enfant de Tanger à Venise


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Née à Paris il y a quarante ans, Yto Barrada a grandi à Tanger, sa ville. Sa vie et son œuvre y sont profondément liées. D’abord de part sa famille, car sa mère Mounira Bouzid El Alimi est une figure de la vie associative de Tanger et dirige aujourd’hui Darna, la Maison Communautaire des Femmes. Son père, journaliste, fût un opposant politique à Hassan II. La vie de l’artiste Yto Barrada est donc intimement liée à la fois à cette ville si particulière et à la nécessité de la quitter, son père ayant longtemps vécu en exil en France.

À la fois atlantique et méditerranéenne, Tanger est une ville d’exception au Maroc, elle a toujours attiré les artistes et les écrivains occidentaux ou américains, ceux qui refusaient le modèle du consumérisme occidental. C’est aussi, et surtout, la ville des Rifains, rebelles au pouvoir du roi Hassan II. Enfin, c’est la porte du Maroc vers l’Europe et de l’Europe vers le Maroc. C’est une ville rencontre, une ville cosmopolite, un bazar magnifique. Et c’est de cette ville frontière qu’Yto Barrada a tiré son très beau travail photographique, « Le détroit », réalisé entre 1998 et 2004, posant son appareil photo sur ce lieu même du passage entre le Sud et le Nord.

Elle précise : « Dans mes photographies, j’essaie d’exorciser la violence du départ (des autres) tout en vivant l’expérience, qui n’est pas dépourvue de violence, du retour (à la maison). Il y a peut-être un rapport entre cette expérience très personnelle et la situation d’une population qui cherche à partir du pays, qui n’y a pas trouvé sa place. (…) Plutôt que la nostalgie d’une ville ghetto internationale, je voudrais montrer comment s’inscrit cette obstination du départ qui marque un peuple. » Dans les images de cette série, dans un rapport à la fois très intime et respectueux de la distance, on rencontre ceux qui vivent ou traversent ce lieu de passage, cette frontière à la fois physique et fantasmée.

Aujourd’hui, et jusqu’au 27 novembre, c’est à la cinquante-quatrième biennale de Venise (installation à l’exposition « ILLUMInations » à l’Arsenale), que le travail de cette artiste franco-marocaine se fait remarquer. Elle y dévoile une toute nouvelle vidéo « Hand-me downs » (2011), film d’une quinzaine de minutes. Dans cette œuvre, Yto Barrada nous fait entendre les anecdotes, les récits, presque les mythes, d’une quinzaine de familles marocaines, les illustrant avec des d’images de films amateurs des années 30 aux années 70 que l’artiste a recueillis. Barrada nous emmène sur les chemins intimes de la question de la transmission orale et de la création des mythes personnels, avec une rare qualité, touchante au delà de l’évidente séduction nostalgique.

Il faut ajouter que Yto Barrada, outre d’être une artiste transmettant les histoires des siens et donnant valeur à une mémoire collective, est à l’origine (avec Cyriac Auriol) de l’ouverture de la cinémathèque de Tanger qu’elle dirige aujourd’hui. Ceci explique peut-être cela.

Par Baptisé Deleau

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