Le torchon brûle entre le Sénégal et l’Iran


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Le gouvernement sénégalais a officiellement rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran, mercredi. Dakar accuse Téhéran de fournir des armes aux séparatistes de Casamance. Entre Abdoulaye Wade et Mahmoud Ahmadinejad, c’est la fin de l’idylle.

Rien ne va plus entre le Sénégal et la République islamique d’Iran. « Le Sénégal est outré de remarquer que des armes iraniennes sont liées à la mort de soldats sénégalais. Par conséquent, le Sénégal a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec la République d’Iran », a annoncé le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Madické Niang, mardi soir sur la télévision publique. Cette rupture des relations diplomatiques entre Dakar et Téhéran intervient dans un contexte de forte recrudescence de la violence en Casamance, région sud du Sénégal en proie depuis près de trente ans à une rébellion indépendantiste.

Depuis le 31 octobre dernier, les relations entre les deux pays s’étaient considérablement détériorées. Ce jour-là, un navire en provenance d’Iran fait escale dans la capitale nigériane, Lagos. Les douaniers découvrent alors que treize conteneurs sont bourrés d’armes dont des lance-roquettes et des grenades. Sa destination ? Kanilai, le village natal du fantasque président gambien, Yahya Jammeh. Inquiet, le Sénégal somme l’Iran de lui donner des « explications claires » concernant la destination finale de cette cargaison et l’identité réelle des convoyeurs de la cargaison. La Gambie, enclavée dans le Sénégal, a toujours été soupçonnée de soutenir le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC).

En décembre, le Sénégal rappelle son ambassadeur à Téhéran, mais suite à une médiation menée par la Turquie, Abdoulaye Wade reçoit Ali Akbar Saheli, alors ministre iranien des Affaires étrangères « par intérim » puis autorise le retour en Iran de son ambassadeur. Cette normalisation s’était accompagnée d’un chèque de 100 millions de dollars au titre de la coopération entre les deux pays…

À son arrivée au pouvoir en 2000, Abdoulaye Wade s’avère rapidement déçu par les Américains et se tourne dès 2002 vers les pays du Golfe et notamment l’Iran. D’autant que le Sénégal doit organiser le prochain sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) et entend en profiter pour se doter à moindres frais en infrastructures. Isolée diplomatiquement, la République islamique souhaite de son côté étendre son influence en Afrique pour y trouver des soutiens politiques.

L’axe Dakar-Téhéran semble prometteur. Lors d’une visite d’Abdoulaye Wade à Téhéran en 2002, l’Iran manifeste l’envie d’investir dans des grands projets au Sénégal comme l’exploitation des phosphates de Matam, la modernisation des chemins de fer et la relance des Industries chimiques du Sénégal (ICS). Wade en profite pour visiter l’usine automobile Iran Khodro. Quatre ans plus tard, aura lieu en grandes pompes la pose de la première pierre de l’usine Seniran Auto à Thiès, détenue à 60% par Iran Khodro, à 20% par l’Etat sénégalais et à 20% par des privés.

« Ami de Téhéran », Abdoulaye Wade veut faire de l’Iran un partenaire privilégié. En 2006, confronté à une crise énergétique sans précédent, il appelle son ami iranien à la rescousse. On annonce l’achat de pétrole brut à des prix défiant toute concurrence, l’entrée de la National iranian oil refining and distribution Company (NIORDC) dans le capital de la Société Africaine de Raffinage (SAR), la participation à la construction d’un méga parc de stockage d’hydrocarbures. Des projets qui resteront lettres mortes.…

Pas rancunier pour autant, Gorgui (« le vieux » en wolof) continue de faire la cour à l’Iran et ne cesse de prendre sa défense dans l’épineux dossier du programme nucléaire iranien. Lors d’une visite éclair de son homologue à Dakar en 2009, il déclare à la sortie d’un entretien consacré aux questions énergétiques et à la coopération entre les deux pays que « tant que l’Iran défendra sa liberté et son indépendance, le Sénégal restera à ses côtés ». Avant d’ajouter : « Si quelqu’un me demandait si j’ai caché une bombe atomique dans ma cave, je n’aurais pas à le prouver. C’est celui qui accuse qui doit prouver. Dans le cas de l’Iran, on n’a rien prouvé jusqu’à présent. » Mahmoud Ahmadinejad s’était lui félicité du fait que « des pays comme l’Iran, le Brésil, le Venezuela, la Bolivie, la Gambie et le Sénégal ont la capacité d’instaurer un nouvel ordre (politique, ndlr) dans le monde ».

Soucieux de se forger une stature de « sage » sur la scène internationale, Abdoulaye Wade joue tour à tour de la position du Sénégal en tant que pays du Sud, de sa population à 95% musulmane ou de l’image de démocratie soutenue par la France et les Etats-Unis dont son pays bénéficie. Ce qui lui permet de se rapprocher de l’Iran tout en donnant des gages de fidélité à son allié américain. Un grand écart diplomatique dénoncé par ses détracteurs. En mai 2010, on se rappelle que le président sénégalais s’était attribué le mérite de la libération de la Française Clotilde Reiss, accusée d’espionnage par le régime des Mollahs et retenue dix mois en Iran. Contrarié par le manque de reconnaissance du président Sarkozy à son égard, il avait d’ailleurs raconté aux médias qu’elle aurait pu être libérée six mois plus tôt.

Aujourd’hui, malgré les belles paroles, Seniran Auto reste l’exemple de coopération irano-sénégalais le plus concret. L’entreprise n’a vendu qu’une cinquantaine de voitures à des particuliers, mais a pu en écouler 1000 dans le cadre d’une opération de renouvellement des taxis lancée par l’Etat. Des taxis à moteur essence qui consommeraient plus qu’annoncé et dont les chauffeurs en colère ont finalement obtenu un rééchelonnement des traites. Au Sénégal, les promesses iraniennes n’auront pas tenu la route bien longtemps…

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