Jean-Pierre Bemba face à la justice internationale


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Le destin de Jean-Pierre Bemba, l’ancien sénateur et vice-président de la République Démocratique du Congo (RDC), est entre les mains de la Cour pénale internationale (CPI). Son procès s’est ouvert ce lundi à La Haye. Il est accusé, depuis 2008, de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité. Selon ses accusateurs, il est responsable de meurtres, de pillages, de viols, commis par les hommes de sa milice, le MLC, Mouvement de libération du Congo, envoyée en Centrafrique entre 2002 et 2003 pour soutenir le régime de l’ancien président Ange Félix Patassé.

Cette fois, Jean-Pierre Bemba ne peut plus échapper au jugement que ses avocats ont tenté de repousser à maintes reprises. L’ancien sénateur et vice-président de la République Démocratique du Congo s’est présenté cet après-midi devant la Cour pénale internationale au tribunal de la Haye, au Pays-Bas. Il est accusé d’avoir permis sciemment à 1500 hommes de sa milice d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. De forte corpulence, vêtu d’un costume marine et d’une cravate bleue ciel, il est resté de marbre pendant la lecture des accusations qui pèsent contre lui. Il risque la réclusion criminelle à perpétuité. « Oui, monsieur Jean Pierre Bemba a parfaitement compris et plaide non coupable », a répondu à cinq reprises son avocat Me Nkwebe Liriss, répondant à la juge brésilienne Sylvia Steiner qui lui demandait si son client avait bien compris les charges qui pesaient contre lui.

La CPI a autorisé la participation de 759 victimes au procès, et d’après la présidente « 653 demandes sont en attente d’une décision des juges ». Selon Paolina Massidda, responsable du bureau de conseil public pour les victimes, « c’est la première fois dans l’histoire de la justice internationale qu’un groupe aussi nombreux est autorisé à participer ». Les victimes sont représentées par deux avocats centrafricains en fonction de leur origine géographique. Elles peuvent obtenir des réparations devant la CPI, premier tribunal pénal international permettant la participation des victimes aux procédures.

Rappel des faits

Les faits reprochés à Jean-Pierre Bemba remontent à octobre 2002. À la demande du président centrafricain Ange Félix Patassé, il a envoyé ses troupes en Centrafrique en guise de renfort pour mettre un terme à la rébellion du général François Bozizé. Au cours de cette opération, ses milices se seraient livrées à des crimes de grande échelle : pillages, viols, meurtres. Des femmes, des enfants et même des hommes auraient été violés par plusieurs hommes de la MLC. Des viols commis devant les membres des familles des victimes, dans les lieux publics, dans des champs, des fermes et la rue. Jugé par la CPI, il doit répondre de ces actes en qualité de supérieur hiérarchique. En décembre 2004, le général Bozizé saisit le procureur Luis Moreno Ocampo de la CPI des crimes commis par le MLC. Deux ans plus tard, une enquête est ouverte.

Les ennuis judiciaires de Jean Pierre Bemba débutent le 24 mai 2008 par son arrestation à Bruxelles. Le chef du MLC, principal mouvement d’opposition au Congo, demande à être libéré provisoirement. Mais les juges de la CPI refusent, considérant qu’il a les moyens financiers d’échapper à la cour. Mais la défense de Jean Pierre Bemba ne l’entend pas de cette oreille et pointe du doigt l’armée centrafricaine. « Les hommes du MLC se battaient avec l’uniforme de l’armée centrafricaine, sous le drapeau centrafricain », affirme Aimée Kiolo, l’un des avocats de l’accusé. Ange Félix Patassé est donc directement visé. Toutefois, le procureur affirme aujourd’hui ne pas disposer de preuves suffisantes pour l’inculper.

Bemba : un poids lourd de la vie politique congolaise

Jean-Pierre Bemba, ou le « petit Mobutu » comme certains le surnomme, est un poids lourd de la vie politique en République démocratique du Congo. Très grand, le regard vif, il s’impose aisément par sa carrure de chef. Fils du millionnaire Jeannot Bemba, ancien proche du défunt président Mobutu, il est né en 1962 à Bokada dans la province de l’Equateur, au nord du Congo. Après des études de commerce à Bruxelles, il se lance dans les affaires et fonde sa fortune dans les secteurs de la télécommunication, de l’audiovisuel, et de l’aviation. Aujourd’hui encore, il monopolise les ondes dans sa province de l’Equateur et à Kinshasa. A plusieurs reprises, la Haute Autorité des Médias l’a d’ailleurs rappelé à l’ordre pour concurrence déloyale.

En 1997, après la prise de pouvoir de Joseph Désiré Kabila, il choisit l’exil en Ouganda. En 1998, alors qu’une nouvelle rébellion a éclaté au Kivu avec le soutien du Rwanda, Bemba se lance lui aussi dans la lutte armée et crée un an plus tard le Mouvement pour la libération du Congo(MLC) et, son bras armé, l’armée de libération du Congo (ALC).

Jean-Pierre Bemba soutient le régime du président Félix Patassé en 2002. Puis, en 2003, il dépose les armes et entre dans le nouveau gouvernement de transition et devient vice-président de la RDC. Le MLC est alors promu au rang de parti politique officiel. En janvier 2007, il est élu sénateur mais déterre sa hache de guerre suite à sa défaite aux élections présidentielles contre Joseph Kabila. La tension entre les deux hommes est plus vive que jamais. Son refus de désarmer l’ALC en mars 2007 provoque de violents affrontements qui font deux cents morts à Kinshasa.

Des vues sur l’élection présidentielle

Malgré la menace qui plane aujourd’hui sur lui, M. Bemba croit en ses chances de devenir le futur président de la RDC. Il n’a pas encore renoncé à la fonction suprême. Bien qu’il soit derrière les barreaux, sa mainmise sur le MLC n’a pas faibli. Il a encore de multiples appuis dans son pays. Certains de ses partisans n’hésitent pas à crier au complot au terme d’un accord passé entre Kabila et Bozizé.

L’arrestation du chef du MLC a fait l’effet d’une bombe à Kinshasa. Qu’ils l’aiment ou non, les habitants n’ont pas oublié le « chairman » qui entraînait les foules lors de l’élection présidentielle de 2006. Il est encore considéré comme le meilleur opposant politique à Joseph Kabila. Selon ses partisans, le pouvoir en place qu’ils critiquent en raison de la hausse du coût de la vie a manipulé la justice internationale pour paralyser l’opposition. Claude, un étudiant qui n’a pas voté évoque un coup dur pour l’opposition : « Ce n’est pas juste, eux aussi doivent avoir un chef. C’est même une catastrophe». Mais tous les habitants de Kinshasa ne sont pas du même avis: « Le sénateur Bemba qui n’a jamais reculé devant la violence, n’a que ce qu’il mérite » estime autre citadin, à l’instar d’une bonne partie de la population de Kinshasa. Il semble bien que Jean-Pierre Bemba n’ait pas encore fini d’attiser les passions.

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