Dans le Sahel ravagé par la sécheresse, des chercheurs lancent un système novateur d’irrigation au goutte-à-goutte pour la production maraîchère


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Globe terrestre
Globe terrestre représentant une partie de l'Afrique

Alors même que le Niger et d’autres pays ouest-africains situés dans la ceinture sèche du Sahel connaissent une grave crise alimentaire, un agronome a annoncé aujourd’hui, au Forum sur la révolution verte en Afrique, un nouveau pas en avant pour un système novateur de production maraîchère irriguée — une solution prometteuse dans une région dont l’économie repose essentiellement sur l’agriculture pluviale vivrière.

Le nouveau système, connu sous le nom de Jardin potager africain, sera mis en place dans quelque 7 000 petites exploitations situées dans une centaine de communautés du Niger, du Bénin, du Burkina Faso et du Sénégal dans l’espoir de reproduire l’expérience concluante des 3 000 jardins déjà établis dans des pays du Sahel au cours des dernières années. Cette expansion est financée par Israël, l’Italie, la Suisse et les États-Unis, ainsi que par le Fonds international de développement agricole (FIDA), la Banque mondiale et différentes fondations et ONG internationales.

« Le Jardin potager africain associe un système efficace d’irrigation au goutte-à-goutte, qui économise l’eau, l’énergie et la main-d’œuvre, et la gestion améliorée des cultures, qui accroît les rendements agricoles et économiques des producteurs », a déclaré Dov Pasternak, du centre nigérien de l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides (ICRISAT), qui est financé par le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR).

« Le Jardin potager africain est une technologie riche de promesses pour les petits agriculteurs du Sahel, qui s’appuie sur une longue tradition de production maraîchère datant au moins de l’époque coloniale », a expliqué Pasternak. Au cours des dernières décennies, la demande de tomates, oignons, piments forts et autres légumes a fait un bond en avant sous l’effet de la croissance démographique et de l’urbanisation rapides, créant des marchés locaux et régionaux très dynamiques. Mais la production maraîchère traditionnelle n’a pas pu faire face aux nouveaux besoins, en partie à cause de l’exploitation inefficace de l’eau et des autres ressources. »

Fort de huit années de recherche dans onze pays, le Jardin potager africain offre une solution. Il profite tout particulièrement aux femmes – qui assurent l’essentiel de la production et de la commercialisation de légumes au niveau régional – en augmentant leurs revenus et en améliorant la nutrition des familles dans une région où l’avitaminose A est très répandue, a expliqué Pasternak.

Le nouveau système repose sur un dispositif d’irrigation au goutte-à-goutte à basse pression qui est installé dans un champ découpé en parcelles de 500 mètres carrés. Le Jardin potager africain réduit considérablement l’un des principaux obstacles à la production maraîchère traditionnelle — ses énormes besoins en main-d’œuvre et en énergie, qui représentent les trois quarts des coûts d’exploitation des jardins potagers traditionnels, selon le chercheur de l’ICRISAT.

Pour arroser un jardin potager traditionnel de 500 mètres carrés suivant la méthode conventionnelle, il faut environ quatre heures de travail par jour à un homme qui utilise deux arrosoirs à la fois ou huit de travail par jour à une femme qui utilise un seul arrosoir, contre à peine 10 minutes pour l’irrigation au goutte-à-goutte. L’utilisation d’une pompe à énergie solaire ou d’une autre source d’énergie renouvelable pour l’approvisionnement en eau permet d’économiser encore davantage et accroît la viabilité du système.

Le nouveau système utilise également l’eau de manière plus rationnelle, a ajouté Pasternak — un avantage évident dans cette région sèche. Malgré un faible volume de précipitations, le Sahel possède des ressources en eau non négligeables, notamment les fleuves Niger, Sénégal et Chari ainsi que d’importants aquifères, qui pourraient servir pour l’irrigation des cultures maraîchères. À mesure que l’irrigation se développe, les agriculteurs de la région devront utiliser l’eau plus judicieusement afin d’éviter de recourir à des méthodes anarchiques de récupération de l’eau avec des pompes de fortune qui épuisent rapidement les ressources en eaux souterraines, comme c’est le cas en Asie du Sud.

Les chercheurs ont également trouvé un moyen de faire face à la pénurie d’une autre ressource essentielle — les fonds nécessaires pour couvrir les frais d’exploitation. La solution qu’ils ont expérimentée au Bénin et au Niger consiste à organiser les jardins potagers suivant un modèle communautaire — par exemple, avec des associations de femmes qui partagent ces coûts ainsi que la responsabilité de la gestion de l’eau et des engrais tout en se faisant conseiller par des agents de vulgarisation sur les moyens de lutte contre les parasites et les maladies.

Au Bénin, trois associations de femmes cultivent avec succès des jardins potagers communautaires qui produisent des légumes en toute saison depuis trois ans, selon un rapport de l’ONG américaine qui mène un projet dans ce pays avec l’appui technique de l’ICRISAT. Le travail de chaque femme rapporte en moyenne un peu plus de 200 dollars par an sur une parcelle d’à peine 120 mètres carrés, soit deux fois que le profit tiré d’un jardin potager traditionnel, avec l’avantage supplémentaire d’améliorer la nutrition de la famille du fait qu’elle consomme davantage de légumes frais. Les jeunes filles apprécient tout particulièrement de plus devoir passer des heures à aller chercher l’eau nécessaire pour l’irrigation.

En plus d’alléger la corvée des femmes et de réduire les frais d’exploitation, les jardins potagers communautaires rendent le nouveau système plus accessible aux agriculteurs en leur permettant de gérer les coûts de démarrage. Le coût de mise en place d’un jardin potager de 500 mètres carrés dans un système de parcelles (y compris l’installation d’une pompe à énergie solaire et d’un dispositif de stockage de l’eau) est le même dans le nouveau système que dans le système traditionnel, soit 830 dollars. Mais du fait que le Jardin potager africain rapporte davantage, les groupes peuvent recouvrer les frais de mise en place en six mois environ, contre quatorze mois dans le système traditionnel, selon une étude de l’ICRISAT.

L’exploitation communautaire des jardins potagers facilite également la formation et l’assistance technique initiales nécessaires aux agriculteurs pour adopter ce système.

Une autre condition essentielle au succès du système est la mise au point d’une large gamme de variétés améliorées qui répondent aux goûts des consommateurs locaux et sont adaptées aux fortes températures et autres conditions difficiles des régions tropicales semi-arides. Soucieux de répondre à cette exigence, l’ICRISAT collabore avec l’AVRDC (Centre de recherche et de développement des légumes en Asie, aussi appelé Centre mondial des légumes) à la mise au point, la sélection et la reproduction de nouvelles variétés d’une douzaine d’espèces végétales.

Grâce à leurs travaux, des variétés améliorées d’okra, de tomates et autres légumes adaptés aux conditions locales connaissent un grand succès au Niger et dans d’autres pays de la ceinture sahélienne.

« Pour la première fois, les marchés de Niamey, la capitale, ont été bien approvisionnés en légumes, notamment en tomates, pendant la dernière saison des pluies », a déclaré Sanjeet Kumar, de l’AVRDC. « Une nouvelle variété locale d’oignon donne bon espoir, avec un rendement de 60 tonnes par hectare, soit près du double des autres variétés locales. »

L’ICRISAT et ses partenaires forment un nombre grandissant de petits producteurs de semences à la multiplication de semences de qualité des nouvelles variétés. Ceux qui adoptent ces variétés peuvent alors constituer leurs propres stocks. En disposant d’un plus grand choix de variétés végétales, les agriculteurs peuvent plus facilement produire des légumes en toute saison, en tirant parti des possibilités de production hors saison pour maximiser leur revenu.

Afin de diversifier encore davantage la production agricole dans le Sahel, les chercheurs de l’ICRISAT recommandent d’associer la production de légumes avec des arbres fruitiers. Une espèce qui se prête particulièrement bien à la culture intercalaire est le jujubier (Ziziphus mauritania), dont le fruit – appelé pomme du Sahel – est dix fois plus riche en vitamine C que les autres variétés de pomme et a une forte teneur en fer, en calcium, en phosphore et en acides aminés essentiels. Une autre espèce est l’arbre Moringa (Moringa oleifera), dont les feuilles contiennent sept fois plus de vitamine A que la carotte, quatre fois plus de calcium que le lait (et deux fois plus de protéines) et trois fois plus de potassium que la banane.

« La valeur du Jardin potager africain n’est plus à démontrer. Pour reproduire l’expérience à plus grande échelle, nous devons convaincre les pouvoirs publics, le secteur privé, les ONG et les organismes d’aide de collaborer avec nous pour créer les conditions de succès – notamment un meilleur appui technique aux agriculteurs et des marchés d’intrants et de produits agricoles plus efficaces », a indiqué William Dar, directeur général de l’ICRISAT. « Si nous agissons résolument, dès maintenant, nous pourrons offrir aux habitants du Sahel un bien plus bel avenir que celui qu’ils doivent affronter aujourd’hui », a-t-il ajouté.

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L’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides (ICRISAT) est une organisation à but non lucratif et apolitique qui mène des travaux novateurs de recherche agronomique et de renforcement des capacités au service du développement durable en collaboration avec de nombreux partenaires à travers le monde. L’ICRISAT a pour mission de donner à 600 millions de pauvres les moyens de faire face à la famine, à la pauvreté et à la dégradation de l’environnement dans les zones tropicales arides, grâce à une agriculture de meilleure qualité. www.icrisat.org

L’AVRDC – Centre mondial des légumes est le principal institut international de recherche et de développement des légumes à but non lucratif. Créé en 1971, le Centre met au point des variétés végétales et des techniques durables pour accroître la production et la consommation de légumes nutritifs et bons pour la santé dans les pays en développement, ce qui permet d’offrir aux pauvres de nouvelles possibilités de revenu et d’améliorer leur alimentation. Les principaux bénéficiaires visés sont les petits agriculteurs pauvres en Afrique, en Asie en Océanie. Basé à Taiwan, l’AVRDC a des bureaux régionaux en Thaïlande, en Inde, à Dubaï et en Tanzanie et des équipes de projet dans de nombreux pays en développement. www.avrdc.org

Le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) est un partenariat mondial qui rassemble des organismes de recherche pour le développement durable et des bailleurs de fonds qui financent ces travaux. Sa mission est de combattre la faim et la pauvreté, d’améliorer la santé humaine et la nutrition et de renforcer la résilience des écosystèmes dans les pays en développement grâce à des recherches agronomiques de qualité qui produisent un impact mondial. Le CGIAR compte parmi ses bailleurs de fonds des pays en développement et des pays industrialisés, des fondations privées et des organisations internationales et régionales qui financent les travaux menés par ses centres internationaux de recherche en collaboration étroite avec des centaines d’instituts de recherche nationaux et régionaux, d’organisations de la société civile et d’entreprises privées. www.cgiar.org

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