Le « Marchez noir » d’Amazigh


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Amazigh Kateb reprend dignement le flambeau de son père Kateb Yacine, et défend la dignité et l’identité perdus de l’Algérie et des Algériens en musique, en plus des mots. Marchez noir (Iris Music, Distr. Harmonia Mundi) est un album engagé et puissant, qui confirme Amazigh comme l’un des meilleurs artistes d’Algérie, et du Maghreb.

Il y a plusieurs manières de lutter pour la liberté, de dénoncer l’injustice et la misère organisée, et de donner de la force aux peuples opprimés, pour qu’ils se révoltent et renversent la situation. La musique est l’une des plus efficaces, et le reggae de Marley en est un bon exemple. Autre exemple: sans les chansons pour Mandela, celui-ci aurait-il été libéré, et l’apartheid aboli ?

Amazigh Kateb, qui vit basé en France depuis 1988, a choisi de dénoncer, en musique, les désastres humains, économiques, et sociaux, que vit l’Algérie aujourd’hui, sous le poids du traditionalisme religieux, du capitalisme sauvage et de la corruption d’Etat :

“Le soleil et les astres du ciel, témoins du désastre
Et les esprits africains observent nos massacres
Les vents s’acharnent à couvrir notre histoire de poussière
De voiles, de viols, de mort et d’arbitraire
Les ombres du passé ne veulent pas disparaître »

Une Algérie se meurt dans une autre en train de naître”, chante-t-il dans “Ma tribu”. Ou encore “Je maudis vos meurtrières prières/Et vos odeurs de couvent”, dans “Sans histoire”. Et dans “Mociba”: “Strip-tease d’Etat avec photos et caméras. (…) Leur monde est vertical/ Ils ne nous voient pas/Ils nous laissent des miettes/Pour nous mettre à genoux”.

Dans “Koma”, il chante en arabe:

“Donne-moi une bière ou c’est la guerre
Donne-moi une vodka ou je fais un casse (…)
Donne-moi un whisky j’ai envie d’une bagarre
Donne-moi un pastis espèce de connard
Le barman me donne un coup de tête (…)
Je suis sonné par la supercherie (…)
Un destin de moutons
Qui s’encornent mutuellement.”

On connaît l’amour que voue Amazigh aux musiques gnawa : le groupe qu’il avait formé en 1992 s’appelait Gnawa Diffusion. Ce sont donc les rythmes gnawas, et africains en général, qui dominent ici, avec le guembri, cette guitare saharienne à trois cordes, comme fil conducteur. Mais Amazigh convoque également le reggae, le hip-hop, le rock, le raï ou le chaabi, pour exprimer son identité plurielle, qui est sa profession de foi, comme elle fut celle de son père, l’écrivain Kateb Yacine, qui défendit l’identité berbère en Algérie, tout en écrivant en français, qu’il considérait comme le “butin de guerre” du colonisateur et non le signe d’une soumission, et en développant un théâtre populaire en arabe algérien dialectal…

C’est d’ailleurs une filiation revendiquée avec le père qu’opère Amazigh dans cet album, d’abord en mettant en musique quelques poèmes du grand écrivain. Comme “Bonjour”, qui ouvre le disque, chanté en français avec un lourd accent algérien qui roule les “R”, comme le parlaient les immigrés jadis, et sur une musique chaabi, très populaire du temps de la jeunesse du père écrivain… “Il y a aussi la rencontre vivement souhaitée du vers paternel avec la mélodie d’un fils”, explique l’artiste. “Il est devenu soudain possible d’offrir à un père trop tôt parti une partie de vie et d’émotion, de couleur et de sensation, pour lui rassemblées en bouquet. C’est un plaisir de s’accaparer une écriture, autant qu’elle peut vous emmener. Je ne rêve plus de mon père. Il est debout à mes côtés”. Mais pas d’intellectualisme: car la musique d’Amazigh est aussi convaincante, et forte, que ses mots. Un album énergique et puissant, qui signe le réveil d’une nouvelle génération d’Algériens pour retrouver leur fierté et leur identité, bafouées par les évolutions de ces dernières années.

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