De l’Afrique à la France, la dignité meurtrie des demandeurs d’asile


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Quelque quatre-vingt réfugiés somaliens et soudanais qui occupaient illégalement une caserne de Pontoise, en banlieue parisienne depuis des mois, sont en train d’être relogés dans des hôtels de la région. Une décision prise jeudi dernier par les autorités municipales et préfectorales de la ville, forcées de réagir après la surmédiatisation des conditions de vie insalubres dans lesquelles vivaient ces immigrants. Reportage.

Finie la situation précaire du squat. Bonjour, la chambre d’hôtel. Mais pour combien de temps ? C’est désormais la question que se pose la soixantaine de réfugiés somaliens et soudanais qui a été relogée jusqu’à présent dans des hôtels de la région parisienne par la Préfecture du Val d’Oise jeudi, après que la découverte de leur situation illégale a été révélée par la presse française en milieu de semaine dernière. Soulagés par ce relogement en chambres doubles payées par les autorités, ces immigrants occupaient jusqu’ici les bâtiments laissés à l’abandon de la caserne Bossut, à Pontoise, dans le nord-ouest de Paris. Sans eau ni électricité courante, ils vivaient là depuis des mois, à l’insu de tous. Une vingtaine d’entre eux s’y trouverait encore.

Des terres en guerre à la terre d’accueil : vivre et survivre

groupe_somaliens_2.jpgDe l’extérieur, vendredi, il était difficile de savoir si des personnes occupaient toujours les lieux. Le terrain de la caserne, qui dépasse facilement les 12 hectares, est encerclé par un mur haut de plusieurs mètres, ce qui rend impossible toute vue de l’intérieur du camp. Ce n’est qu’en se rapprochant des grands halls désaffectés de ce qu’il reste de l’établissement militaire que des poubelles et des caddies, dispersés de part et d’autre des allées, laissent à penser que quelqu’un y vit encore.

A l’intérieur des bâtiments, des draps à même le sol, des papiers journaux et des détritus viennent confirmer cette hypothèse. C’est là qu’ Issa Abdi et ses compatriotes ont réussi à installer des matelas et des couvertures prêtés par la municipalité de Pontoise. L’endroit ressemblerait presque à une chambre, si ce n’était le réchaud qui trône au milieu de la pièce et les odeurs de fritures froides. « Nous vivons à dix dans cette pièce. Heureusement que nous sommes nombreux, on se tient chaud », confit Issa.

Issa AbdiComme la plupart de ses concitoyens, ce Somalien d’une quarantaine d’années est arrivé en France au mois d’août par avion, à l’aéroport international Roissy Charles de Gaulle de Paris. Aux policiers de la frontière qui l’interrogent, il déclare qu’il est demandeur d’asile. « J’ai quitté mon pays à cause de la guerre, raconte-t-il. J’étais boulanger à Mogadiscio. Au mois de juillet, des insurgés de la milice Al-Shabab sont venus me chercher pour que je les suive dans leur combat contre le gouvernement. J’ai refusé. Ils m’ont alors menacé de mort. C’est pour ça que j’ai fui ». Un récit semblable à celui des quatre-vingt Somaliens et Soudanais installés dans la caserne, fuyant pour les uns les combats de Mogadiscio ou de Kismayo en Somalie, pour les autres, la région du Darfour au Soudan.

« Nous sommes tous des réfugiés politiques qui avons quitté notre pays pour fuir la guerre, » explique Jama Ahmed, un Somalien de 29 ans, qui s’est improvisé représentant des réfugiés somaliens auprès des autorités préfectorales et municipales. « Nous avons tous déposé des demandes d’asile politique auprès de l’OFPRA [Office français de protection des réfugiés et apatrides] en arrivant sur le territoire français. Mais l’OFPRA ne nous considère pas, on ne se soucie pas de nous ici. On se fiche de savoir comment on vit, ou plutôt comment on survit ! » poursuit-il avant de raconter comment il cherchait de la nourriture dans les poubelles de la Gare du Nord à Paris, il y a encore quelques semaines pour se nourrir.

Les autorités ont fait la sourde oreille jusqu’à la médiatisation du squat

Poubelles.jpgJusqu’en début de semaine dernière, personne ne semblait avoir entendu parler de ces réfugiés installés dans la caserne Bossut, en plein centre de la ville de Pontoise, les autorités préfectorales et municipales se renvoyant dos à dos la responsabilité de la situation. Les associations d’urgence elles-mêmes avouent avoir pris connaissance du dossier il y a deux semaines à peine. « C’est la municipalité de Pontoise qui nous a sollicités. C’est à ce moment-là seulement que nous avons apporté à ces personnes des vêtements, des légumes, des laitages en grande quantité », déclare Djamila Bordet, Secrétaire générale du secours Populaire du Val d’Oise où se trouve Pontoise.

Il aura fallu l’article du journal Le Parisien pour révéler au grand jour les conditions de logement préoccupantes de ces demandeurs d’asile et faire réagir la Préfecture du Val d’Oise auprès de laquelle les immigrants ont déposé leur demande. Deux jours après la parution de l’article, Préfecture, municipalité et communauté d’agglomération, se réunissaient pour décider de reloger les occupants. « A ce jour, près d’une soixantaine de demandeurs d’asile a été relogée. La plupart sont des Somaliens. Nous avons eu plus de difficultés à convaincre les Soudanais, notamment en raison des incompréhensions liées à la barrière de la langue car ils ne parlent que très peu anglais » explique la Mairie de Pontoise, ajoutant que « d’ici quelques jours, toutes les personnes qui vivent encore dans la caserne seront relogées ».

Mec_ds_chambre.jpgPlutôt sceptiques à l’idée d’être logés dans des hôtels, il semblerait que les quatre-vingt « squatteurs » de la caserne Bossut y aient finalement trouvé leur compte. Mais jusqu’à quand ? Certains, par peur d’être remis à la rue deux semaines après avoir vécu à l’hôtel, ne souhaitaient pas bénéficier de cette alternative. Les autorités auront eu raison de leur méfiance en les rassurant quant à l’engagement des procédures initiées. Malgré leur relogement, somaliens et soudanais gardent la tête sur les épaules et savent que rien n’est encore gagné concernant l’obtention de leur statut de réfugié. « La procédure prend beaucoup de temps. Il faut que les enquêteurs vérifient la nationalité des demandeurs d’asile, ce qui est très difficile à faire puisque pratiquement aucun d’entre eux ne possèdent de carte d’identité », précise Djamila Bordet.

Il n’en demeure pas moins que pour cette fois, ces réfugiés auront eu gain de cause, et qu’une solution, même précaire, aura été trouvée pour eux. « Comme quoi, quand les autorités françaises veulent parfois, elles peuvent », conclue avec un sourire la Secrétaire générale du Secours Populaire Val d’Oise.

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