A la recherche du sexe de Caster Semenya


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Le feuilleton dont la Sud-Africaine Caster Semenya est à l’origine pourrait s’intituler : « L’or et le sexe ». Le titre de championne du monde sur 800 m, raflé mercredi soir à Berlin, lui vaut d’avoir à justifier sa féminité, visuellement discutable, selon la Fédération internationale d’athlétisme, ses concurrentes et certains de ses compatriotes.

Ils s’interrogent tous sur son sexe. Et la médaille d’or décrochée par Caster Semenya sur 800 m mercredi soir, à Berlin lors des championnats du monde, porte l’incertitude à son paroxysme. D’autant qu’elle les a parcourus en 1’55 »45’, établissant ainsi une nouvelle performance mondiale. Peu après sa victoire, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a annoncé que la Sud-Africaine de 18 ans, native de Polokwane (province du Limpopo), serait soumise à des tests de féminité. En réalité, l’organisation ne faisait que poursuivre une procédure déjà enclenchée. Des tests, Caster Semenya en avait déjà subi avant la finale à cause de ses performances en qualifications et en demi-finales. Une commission de l’IAAF s’était réunie mardi soir pour statuer sur son cas. « Il n’y a pas de preuves qu’elle ne soit pas une femme, il y a juste un doute visuel. », a expliqué Pierre Weiss, le secrétaire général de l’IAAF. La fédération accorde pour l’instant le bénéfice du doute à la championne et précise que des enquêtes sont également en cours en Afrique du Sud. « Ces examens de vérification de sa féminité sont une procédure extrêmement complexe », a indiqué Nick Davies, le porte-parole de l’IAAF.

Une nation et une famille derrière Semenya

Les résultats des investigations ne seront disponibles que dans plusieurs semaines. Cependant, le genre de la nouvelle championne du monde ne fait aucun doute pour sa famille et les autorités sportives et politiques sud-africaines. Certains parlent de complot fomenté par l’Australie dont la presse a fait, la première, état des suspicions qui pesaient sur la féminité de l’athlète. « La presse australienne essaie toujours de ternir l’image de l’Afrique du Sud, s’est indigné Molatelo Malehopo, le directeur exécutif de la Fédération sud-africaine d’athlétisme (ASA). Rappelez-vous comme elle s’est acharnée sur nous pour récupérer la Coupe du monde de football 2010 en clamant que nous ne serions jamais prêts à temps » A la veille de la finale, il avait déclaré à propos de Caster Semenya : « C’est une femme. Nous en sommes absolument certains. Nous l’aurions pas inscrite en tant que femme si nous avions des doutes ». Leonard Chuene, le président de l’ASA est également monté au créneau ce jeudi. «Je continuerai de défendre cette fille (…). Je ne laisserai pas cette fille se faire humilier comme elle l’a été (…). Son seul crime est d’être née comme elle est née. »

Le Congrès national africain (ANC, au pouvoir) a appelé, quant à lui, les Sud-Africains jeudi à se « rallier derrière (leur) fille en or » par la voix de son porte-parole, Brian Sokutu. « Caster n’est pas la seule athlète femme à avoir une constitution masculine et l’IAAF le sait mieux que quiconque », a-t-il ajouté. Dans un communiqué publié jeudi, la Jeune ligue communiste parle de « racisme ». La requête de l’IAAF se fonderait sur une référence à la morphologie de « la femme blanche». La polémique laisse néanmoins indifférente Maputhi Sekgala, la grand-mère de l’athlète. « La controverse ne me gêne pas tant que cela parce que je sais que c’est une femme. Je l’ai élevée moi-même », rapporte le quotidien sud-africain Mail & guardian. C’est Dieu qui l’a fait comme elle est », conclut-elle. Même son de cloche chez le père de Caster Semenya. « Je veux qu’on laisse ma fille tranquille. C’est ma petite fille, je l’ai élevée et je n’ai aucun doute sur son sexe ». Sa famille a néanmoins confirmé que son aspect physique lui avait valu des moqueries et, qu’enfant, elle aimait jouer au football.

Chronique d’un « doute visuel»

Caster Semenya doit pourtant, depuis son apparition remarquée dans le monde de l’athlétisme, « prouver » sa féminité. Son allure masculine sème le doute dans l’esprit de ses concurrents. « Selon moi, c’est clair, c’est un homme », confiait l’Italienne d’Elisa Cusma à la Rai après la finale du 800 m. Depuis les 9e Championnats d’Afrique juniors, qui se sont achevés début août à Maurice et qui l’ont révélé, la rumeur court. « Elle avait déjà subi des tests en Afrique du Sud avant de participer à ces championnats et il semblait qu’elle n’avait pas beaucoup d’amis dans la délégation sud-africaine, se souvient le journaliste mauricien Cavin Tapesar, qui couvre les championnats du monde pour Canal France international (CFI), diffuseur en Afrique de l’évènement. Pour l’avoir interviewé, je peux dire que sa carrure est assez impressionnante. Sa voix est également assez masculine. Mais cela ne suffit pas pour se prononcer sur son genre ».

Le 800 m, la discipline des femmes-hommes

Le 800 m semble être la discipline où les suspicions sur le sexe des athlètes sont les plus courantes. L’Indienne Santhi Soundarajan a été ainsi privée de sa médaille d’argent remportée lors des Jeux asiatiques de Doha en 2006. Elle avait échoué aux tests de féminité. Plus tard, elle tentera de se suicider avant de s’offrir une carrière d’entraîneur. La Mozambicaine Maria Mutola et la Kényane Palema Jelimo ont également fait l’objet d’interrogations. « C’est parce qu’elles ressemblaient à des hommes », note le journaliste kényan Bernard Otieno, membre de l’équipe éditoriale de CFI à Berlin. « Cependant Maria Mutola et Palema Jelimo n’ont jamais été soumises à des tests de féminité. Jelimo est d’ailleurs mariée. »

Pour Caster Semenya, l’IAAF renoue avec une pratique tombée en désuétude depuis 1992 pour son manque de fiabilité. Dans les années 60, les pays de l’Est, qui présentaient des transsexuels, voire des hermaphrodites aux compétitions avaient obligé la fédération à recourir à des tests salivaires. Cela en plus de l’examen des parties génitales qui ne suffisent pas à définir le genre, selon le docteur Ross Tucker, spécialiste du sport interrogé par Mail & Guardian. Ces tests seront abandonnés dans les années 80 au profit d’examens chromosomiques. Les femmes possèdent deux chromosomes X (XX), et les hommes un chromosome X et un chromosome Y (XY). Mais dans certains cas, la femme peut se retrouver avec un seul chromosome X (X) et l’homme avec un de plus (XXY). Ce qui confirme bien les mystères de la nature et les contradictions morphologiques de Caster Semenya.

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