Kabiné Komara fait le point sur le processus électoral en Guinée


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La période de transition devant conduire la Guinée aux élections législatives, en octobre, et à la présidentielle, en décembre, est à moitié écoulée. Mais les opérations d’enrôlement des électeurs peinent à avancer. Réalisées à près de 80%, elles ont été suspendues depuis quelques semaines, faute de ressources suffisantes, ont indiqué les autorités. C’est dans ce climat d’incertitude grandissant qu’Afrik.com a été reçu, fin mai, à Conakry, par le Premier ministre, Kabiné Komara.

Le bureau est situé au quatrième étage de la Primature, une bâtisse à l’image de son occupant, sobre et discrète, sise à l’entrée du petit Palais présidentiel de Boulbinet, dans la commune de Kaloum. Feu le président Lansana Conté passait, semble-t-il, le plus clair de son temps dans ce palais qu’il préférait au nouveau qui porte le nom du premier chef d’Etat guinéen, Sékou Touré. Il est 9 heures passées, ce vendredi 29 mai, lorsque Kabiné Komara, le Premier ministre, reçoit Afrik.com. L’homme parle d’une voix basse et pausée, marquant régulièrement des arrêts, comme à la recherche du mot exact. Il affirme former avec le président un tandem complémentaire. «Je ne le connaissais pas avant ma nomination, mais croyez-moi, assure-t-il, sa détermination est contagieuse». Interview.

KbanieK.jpgAfrik.com : Du retard a été pris sur le calendrier électoral établi au lendemain de la prise de pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara. Où en est exactement du processus électoral?

Kabiné Komara : Le schéma mis en place par le président de la République, Moussa Dadis Camara et les forces vives de la nation, au lendemain de son accession au pouvoir, suit son cours. Le chef du CNDD[[Conseil national pour la démocratie et le développement]] maintient son engagement à respecter le calendrier de la transition qui a été établi. Des actions sur le terrain sont en cours, notamment l’enrôlement des électeurs, la vérification des fichiers, la mise en place des organes de la transition et des commissions chargées d’organiser et de contrôler les élections. Un groupe de contact, mis en place par la communauté internationale, a promis d’accompagner financièrement le pays aussi bien pour les élections que pour d’autres activités prioritaires.

Afrik.com : Les opérations d’enrôlement des électeurs ont justement été suspendues depuis quelques semaines…

Kabiné Komara : Nous avons déjà réalisé entre 70 et 80% des enrôlements. L’achèvement de cette opération dépendra de la mise en place du financement. Une équipe de la CENI vient de rentrer d’une mission qui avait pour objectif de faire le point sur la situation à travers le pays. Une réunion va être convoquée très prochainement et aura pour objectif de dégager les moyens à mettre en oeuvre pour redynamiser le processus.

Afrik.com : Le budget global des élections est estimé à près de 39 millions de dollars. Visiblement, ce budget a des difficultés à être bouclé…

Kabiné Komara : Ce qu’il faut noter, c’est qu’il reste aujourd’hui un gap de 17 à 18 millions de dollars pour boucler le budget des élections. Des engagements ont été pris et nous espérons que la prochaine réunion du Groupe de contact va consacrer la matérialisation des engagements. Malgré les difficultés budgétaires auxquelles nous sommes confrontés, la part du gouvernement se mettra progressivement en place.

Afrik.com : La mise en place du Conseil national de la transition, le CNT, connaît également des retards. Comment l’expliquez-vous ?

Kabiné Komara : Pour le président de la République, la constitution des organes de la transition ne doit pas incomber au CNDD. Cela doit se faire, selon le capitaine Moussa Dadis Camara, avec toutes les forces vives de la Guinée. Je parle des forces vives au sens large du terme, c’est-à-dire les partis politiques, les syndicats et toutes les composantes de la société civile. Les projets qui circulent actuellement prévoient que ce CNT soit le plus représentatif et le plus consensuel possible. Les discussions sont en cours.

Afrik.com : Finalement, des retards sont accusés dans tous les projets. Est-ce que vous pouvez nous garantir que tout sera achevé avant les dates fixées pour les élections?

Kabiné Komara : Je vous ai dit que tout dépend des financements. La volonté de tous est que tous les préalables soient mis en place et que la liste électorale soit prête bien avant les échéances. Parce que une chose est d’enrôler les électeurs une autre en est de vérifier tous les fichiers avant la publication des listes électorales.

Afrik.com : Une ambiguité plane sur l’éventuelle candidature du capitaine Moussa Dadis Camara à l’élection présidentielle. Même s’il est revenu sur ses propos, depuis son discours de Boulbinet dans lequel il a menacé d’ôter sa tenue de militaire et de se présenter, les Guinéens ont du mal à cerner ses vraies intentions. Quelles sont les ambitions du président Moussa dadis?

Kabiné Komara : Je vais vous répéter exactement ce que le chef de l’Etat a dit. Il n’est pas candidat aux élections. Aucun membre du CNDD ne sera candidat. Le Premier ministre, non plus, ne sera pas candidat. Je crois que le président a été très clair là-dessus. Nous devons jouer un rôle de neutralité de façon à ce que cette élection se tienne de la façon la plus transparente et équitable possible.

Afrik.com : La Guinée fait face à une grande pénurie d’électricité et d’eau. Les populations, qui avaient douze heures de courant par jour, n’en disposent que de six heures aujourd’hui. Elles se demandent même si elles en auront demain. Comment expliquez-vous ce problème ?

Kabiné Komara : Le problème d’électricité en Guinée est structurel. A Conakry, par exemple, nous avons deux sources de production d’électricité : l’hydraulique et le thermique. Quand la saison sèche arrive à son terme, et que le niveau d’eau baisse dans le barrage, le système thermique vient en complément. Mais étant donné que les investissements n’avaient pas été suffisants dans le système thermique, celui-ci peine a combler le déficit causé par l’arrêt du barrage hydraulique. Nous voulons rompre ce cycle absolument inadmissible grâce à un programme ambitieux qui permet de planifier les choses à l’avance et non de les subir. Croyez-moi d’ici six mois tout ceci ne sera qu’un mauvais souvenir avec les mesures d’urgences que le chef de l’Etat a annoncé, à savoir l’achat de groupes thermiques qui seront placés dans certains endroits de la capitale et la mise en place de systèmes de fourniture d’énergie plus économiques.

Afrik.com : Le président Dadis Camara avait annoncé la révision des contrats miniers. Où en est ce projet ?

Kabiné Komara : Il est en cours, même si on en parle pas. La révision des contrats dont il est question comprend plusieurs étapes. Il s’agit d’abord, dans un premier temps, de réexaminer les conventions qui ont été signées pour s’assurer que les clauses ont été respectées. Croyez-moi, il y a déjà beaucoup à faire à ce niveau-là. Ensuite, il y a aussi les cas les plus criards pour lesquels il faut faire quelque chose. Et enfin l’élaboration de conventions-type, de façon à ce que le poids décisionnaire des décideurs soit réduit à néant dans le futur. Nous travaillons sur ces trois fronts.

Afrik.com : Est-ce que le contexte actuel de la crise mondiale, qui frappe sévèrement le secteur minier, ne réduit pas les marges de manoeuvres du gouvernement?

Kabiné Komara : Dans le secteur de l’aluminium par exemple, le marché est plus que morose, avec une baisse de la production qui se traduit par des fermetures d’usines. Nous sommes bien obligés de prendre en compte tous ces éléments. Cela ne veut pas dire que nous allons laisser les choses se poursuivre comme avant car, dans d’autres domaines comme celui de l’or et du fer par exemple, les marchés repartent. Pour des raisons stratégiques, nous évitons de parler de ces projets de révision de contrats sur la place publique.

Afrik.com : Il est justement reproché au président Moussa Dadis Camara sa façon de trancher certaines affaires à la télévision. Quelle position adoptez-vous personnellement sur cette méthode ?

Kabiné Komara : Il ne faut pas confondre des débats télévisés à des procès. Le peuple guinéen ne croyait tellement plus en un certain nombre de choses que pour lui faire prendre conscience de la profondeur du mal, il était important qu’à la télévision le chef de l’état intervienne pour dénoncer ces maux et montrer au peuple les présumés coupables. Je dis bien « les présumés coupables ». Cela n’empêche en rien la justice de faire son travail. Nous sommes dans un Etat de droit. Le chef de l’Etat n’est pas un procureur, il l’a dit lui-même à maintes reprises. La justice doit fonctionner suivant les procédures conformes à la loi. Dans les deux à trois semaines à venir, des procès en bonne et due forme vont se tenir. C’est important pour la crédibilité de la Guinée, du président et de la lutte qui a été engagée.

Afrik.com : Human Right Wath a publié récemment un rapport dénonçant des exactions commises sur des civils par des militaires. Comment réagissez-vous à ce document?

Kabiné Komara : En toute chose, il faut toujours être sincère. Je suis optimiste mais, en même temps, j’apprécie objectivement les situations. Le CNDD en Guinée est au pouvoir depuis cinq mois. Quand vous faites d’abord la liste de tous les acquis politiques en terme de respect des droits de l’homme, vous verrez les points qui restent à améliorer. Vous serez, comme moi, heureux de constater que le CNDD a combattu la drogue, les détournements de fonds, la traite des enfants… Moussa Dadis Camara a été le premier à s’emparer du dossier dont vous parlez. Il a fait le tour de toutes les garnisons en mettant en garde les auteurs de ces exactions. Son combat se poursuit. Tout ne peut pas se faire en un seul jour.

Afrik.com : On vous dit souvent effacé par la forte présence du président Camara sur la scène publique. Que répondez-vous à cela ?

Kabiné Komara : Un tandem c’est l’association des meilleures qualités pour combattre les défauts des uns et des autres. Il faut toujours comprendre cela. Le président a cette énergie, cette fougue qui lui permet d’aller au devant des choses… C’est une chance pour la Guinée. A un de mes collaborateurs qui avait fait cette même remarque, j’avais demandé : « pourquoi la Guinée se priverait-elle d’une personne qui n’a pas peur de changer les choses au risque de sa vie ? » Nous sommes dans une période d’exception. Il faut capitaliser cela pour que les Guinéens se réveillent.

Par Stéphane Ballong et Ismaël Kabiné Camara

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